jeudi 16 novembre 2017

Contes du vieux château : l'art de courir après l'inspiration

Mon ami, ancien ou nouveau, connu ou inconnu, passé, futur, oublié
vous venez de me blesser, pire de me peiner; comble de ces maux:
vous me désespérez !
Ainsi, vous suggérez que l'écriture, cet acte gratuit, est un jeu nourri par une montagne de documents insipides fournies à satiété par internet, une acrobatie littéraire, un miroir aux vanités.
Savez-vous que vous niez la folie emportée et sauvage de cette chimère que les poètes supplient à grands cris et les amants à grands pleurs : "l'inspiration "?
Ou bien plus beau, mon ami, l'enthousiasme au sens grec, le bel enthousiasme qui faisait du petit poète, de l'humble chansonnier ami de Socrate, le fade et aimable Ion, un complice des dieux !
Je n'en demande pas autant, rassurez-vous !
Être moi-même, pareille à tant d'autres, et puis,à ma merveilleuse surprise, ressentir l'harmonie gouvernant le frais élan de l'invention, voici un miracle à la portée de chaque amoureux de l'instant. Peut-être devrais-je dire de chaque passionné de la vie sous ses aspects insolites, familiers, anodins, superbes, et toujours évidents.
 Mais, les choses les plus merveilleuses ne sont-elles aussi bonnes et douces que l'eau courante, la pluie sur la canicule, les pleurs de joie, l'averse imprévue qui rajeunit l'âme la plus lasse...
Ne sommes-nous des rivières épuisées d'amertume, charriant les branches pourries des désarrois ,des rivières lentes cherchant la mer  qui nous rendra l'horizon infini ?
L'inspiration est notre étoile, elle sent le parfum des blés mûrs le premier matin des vacances d'été, elle vole comme l'hirondelle bâtissant son nid sous les poutres d'une maison décatie dont le silence lui plaît, elle enlève le lourd tissu sombre voilant de mélancolie nos jours d'incertitude.
L'inspiration est l'étoile de ceux qui ont perdu l'amour, des Ulysses cherchant leurs Ithaques, des enfants qui osent rêver.
Elle est l'oiseau chantant dans la sonate "La tempête" de ce fou et génial Beethoven, elle est la musique de ceux qui pensaient n'avoir aucun sens musical !
On peut saisir l'inspiration et la perdre, on peut fouiller ciel et terre et ne jamais la dénicher.
Elle ressemble aux roses sauvages et pousse là où nul ne l'attend .
Elle est le souvenir, la comédie, le drame; et l'espoir de l'amour trahi; elle est la victoire de l'aurore sur les vestiges du chagrin, sur les rochers de la désolation,sur les cendres fumantes ...
Elle est braise couvante, elle est neige fugace sur les fleurs d'avril et douceur en décembre.
Elle est le sourire et l'âme du monde .
Elle vous guette derrière un chat endormi au coin du feu, un écureuil grimpant à toute allure vers le salut d'un arbre élevé, une biche s'élançant libre et preste sur les coteaux embrasés par l'automne.
 Elle vous nargue du fond d'un ciel couchant, rose vif au sein des nuées bleu-pâle.
 Elle est du matin et du soir ; elle ne respecte aucune heure et se moque des rendez-vous imposés.
Vous marchez en silence en regardant la lune ronde au faite des toits, et l'inspiration se jette sur vous comme un animal quêtant l'abri de vos bras.
De l'étagère d'une bibliothèque humide, un livre en miettes se précipite ! un "journal" écrit voici un ou deux ou trois siècles exige que vous écoutiez ses confidences, l'auteur a décidé de renaître, vous serez l'instrument de sa résurrection !
 Obéissez ! vous serez vous et un autre, celui qui traduit la pensée d' un mortel soudain immortel, et qu'importe les dates et l'attirail de l'ennui officiel, vous tenez un ami dans vos mains, et si vous l'écoutez avec patience, l'inspiration vous emportera.
 A votre tour, vous inventerez, vous reprendrez un peu ce flambeau qui mérite d'étinceler à nouveau, de trouer l'ombre des préjugés et de l'ignorance. Vous redonnerez la parole à un Latin très grave, à un Grec, ancien ou moderne, à un Anglais de la Renaissance, à un Français libertin, à un Gascon solitaire, à ceux qui vous attendent depuis la nuit des temps ...
Vous ne serez peut-être pas le complice des dieux, mais vous avancerez vers des contrées inconnues en compagnie de celui qui inventa jadis ses Essais, ses poèmes, ses comédies, ses tragédies, ses oeuvres roulant la passion de sa vie et la force printanière de son désir de faire.
Toujours les Grecs ! créer, faire et puis aimer, toujours aimer, on ne crée pas dans la haine, on ne fait rien de bon dans la colère, l'amour pardonne , l'amour est éternel, l'inspiration y puise sa vigueur, sa raison dans la déraison ...
Que de fièvre, mon ami, que d'arguments adolescents !
Vous haussez les épaules, vous me plaignez, vous n'êtes pas convaincu ! vous ne croyez pas en la poésie, vous aimez l'efficacité, le pragmatisme, ce qui est un beau mot né du Grec, vous vous méfiez de l'impertinence,  votre maison est tenu dans un ordre si parfait que la perfection semble enfin de ce monde, vous voulez la maîtrise de la vie et le temps vous nargue !
comment diable ose-t-il ?
L'antidote existe : l'inspiration éternise le temps, l'amour en suspend la fuite.
Les poètes parlent vrai, et vous ne les écoutez pas ! c'est un jeu verbal selon vous ! une décoration creuse. La poésie parole de l'âme ? Allons donc ! un poème, à quoi cela sert -t-il d'ailleurs ?
 Hélas ! J'abandonne mon ami ! serez-vous sensible un jour ? Tout peut arriver ...
Je vous abandonne à vos préjugés; ils tiennent chaud et sont des plus respectables.
Je ne peux rien pour quelqu'un qui ne croit ni en la poésie, ni en l'inspiration.
"La tempête s'éloigne et les vents sont calmés", c'est l'inspiré Musset qui vous envoie cet adieu qui ne doit rien aux monstrueuses machines à renseigner de nos bons vieux ordinateurs.
Que non pas !  il vient d'un recueil de poésies que j'aimais et que j'aime toujours ...
Un recueil à deux sous, un livre de poche, une anthologie, un trésor miraculeux, l'inspiration pure !

 Lady Alix
ou Nathalie-Alix de La Panouse

Un tableau "inspiré" de François de Troy, Musée Hyacinthe Rigaud de Perpignan



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