mardi 14 novembre 2017

Contes du vieux château : Raspoutine et l'ambassadeur de France : portrait sur le vif !


L'ambassadeur et Raspoutine,  Nathalie-Alix de La Panouse le 14 novembre 2017

L'étrange, la mystérieuse, la très humaine "petite histoire" épouse les tumultes de la" grande".
 Seul un témoin intègre, lucide et patient a le don de nous en ouvrir le coffre aux merveilles.
Prince roumain, ambassadeur de France en Russie, homme perspicace, tuant par sa distinction d'apparence et d'esprit, bourreau des coeurs, jouant avec sa plume légère et précise à ses heures, féru d'art et d'architecture, soit la perfection diplomatique personnifiée, Maurice Paléologue, se tint ainsi du printemps 1914 à celui de 1917 entre l'ombre des complots et la clarté brutale des tempêtes. 
Acteur fervent, autant qu'un ambassadeur puisse dévoiler de franc enthousiasme sans déroger à sa légendaire réserve, de l'alliance franco-russe au moment où l'Allemagne  s'apprête à déclarer la guerre à la France, il guide le président Poincaré dans les palais bleus et dorés de Saint-Pétersboug.
 Fêtes et toasts ne sont que des outils assurant aux deux gouvernements amis et alliés  la "parfaite communauté de leurs vues sur les divers problèmes que le souci de la paix générale et de l'équilibre européen pose devant les puissances."
 Que cache ce jargon  malsonnant et ennuyeux destiné aux gazettes officielles ?
 Le président du conseil de la France, Viviani, et le président de la république  Poincaré s'attendent à une guerre avec  l'Allemagne et déploient leurs efforts de séduction diplomatique, aidé par ce fin stratège de Paléologue afin de s'assurer le soutien de la Russie.
L'ambassadeur de France est tout sauf une élégante et silencieuse "boîte aux lettres", il observe, invite, s'immisce avec un charme fou au sein des sociétés les plus fermées à double ou triple tour de cette très haute et très magnifique aristocratie russe, et en découvre les limites terribles.
L'impératrice est une femme égarée dans de perpétuelles humeurs sombres.
Mère angoissée, épouse possessive en proie aux doutes les plus poignants et enfermée dans un élan mystique qui l'aveugle et l'éloigne des simples mortels, elle s'entoure d'étranges personnages qui, en la gouvernant, gouvernent par un hallucinant jeu de ricochets, l'empereur et la Russie.
Le monde entier frissonne encore quand résonne le nom de Raspoutine, ce mage maudit qui précipita, si la légende dit vrai, la chute de la famille impériale et sa fin épouvantable.
Or, il ne fut pas le seul à entourer d'un brouillard malsain les souverains englués dans leur cercle intime comme des mouches prisonnières d'une toile d'araignée.
Un ennemi intangible rôdait aussi, un monstre dénué de corps mais doué d'une voix criarde :
 la superstition !
 Un mois après la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France, aux prises avec une diplomatie singulièrement complexe, Maurice Paléologue reçoit la visite d'une de ses petites "oreilles" aux aguets sur l'étendue du vaste domaine de sa discrète curiosité diplomatique.
L' individu d'une prudence admirable hésite à confier à cet ambassadeur cartésien incarnant un pays encore revêtu du prestige des Lumières, l'importance ahurissante des rumeurs courant à un train infernal dans toutes les couches du monde russe.
Le tsar est un pauvre homme, voilà ce qu'ose dire la calomnie facile (on croirait entendre Marie-Antoinette proclamant étourdiment ce jugement funeste au Suisse Besenval) et pire, un être abandonné par la chance.
Indigné, Paléologue se récrie, son espion insiste, il ne rapporte pas les potins populaires ou les méchants avis des opposants au régime. Cette noirceur de vues vient du sommet:
"C'est dans les rangs supérieurs de la cour et de la société qu'on est le plus inquiet."
Gêné, "l'oreille" se tait, l'ambassadeur le presse, et l'autre d'avouer ces croyances insensées pour un Français pétri de raison et forgé  sur l'enclume du bon-sens:
"On sait dans ces milieux-là que l'empereur échoue dans toutes ses entreprises, qu'il a toujours le sort contre lui, enfin qu'il est manifestement voué aux catastrophes. D'ailleurs, il paraît que les lignes de sa main sont terrifiantes."
L'ambassadeur secoue la tête agacé, son espion se jette alors à l'eau et lui fait la liste des désastres inexplicables qui ne cessent de rythmer le règne du triste tsar depuis dix-neuf ans !
Si la Russie ne voit pas d'un oeil optimiste la guerre débutant en Europe, c'est qu'elle doute prodigieusement de son empereur doté d'une bien mauvaise étoile...
Serait-ce pour conjurer cette fatalité que l'impératrice, Allemande de naissance et Russe de coeur et d'âme depuis son mariage, entoure son époux de protecteurs insolites ?
Ainsi, une dame d'assez petite condition, malgré ses liens avec la cour, Madame Wyroubov monte la garde comme un chien féroce autour du couple impérial !
Son pouvoir est si grand que même Raspoutine la craint. A la fin septembre 1914, à sa stupéfaction, l'ambassadeur, convié à déjeuner  chez une charmante  comtesse à Tsarskoïé-Selo, apprend que le "mage" bien-aimé est tenu à l'écart par l'intransigeante dame de confiance !
L'autoritaire Madame Wyroubov lui ordonne de patienter avant d'aller au palais, et Raspoutine obéit !
Maurice Paléologue est lui-même extrêmement intrigué par ces bizarres satellites gravitant autour des souverains . D'une plume vigoureuse et lucide, il tente de  cerner ce Raspoutine en tenant en la bride au romantisme décadent et à l'accusation facile.
Qui fut ce moujik que l'impératrice métamorphosa en homme-lige et  que la cour traita en mauvais génie, voire en incarnation du diable ?
Les clefs de ce secret sidérant semblent surgir de la poche de l'ambassadeur de France !
Raspoutine serait-il l'envoyé du diable comme le croient de hauts dignitaires ou un mélange confus de ruse, de sournoiserie et d'audace ?
Une autre belle comtesse absolument sous le charme français de l'ambassadeur proclame son dégoût de cet homme sale,aux ongles noirs ! mais, alors que Paléologue écoute en tentant de comprendre, l'exquise aristocrate ajoute ce verdict troublant :
"J''avoue que Raspoutine m'amuse. Il a une verve et une fantaisie extraordinaires."
 Le très élégant ambassadeur sursaute, et la ravissante mondaine de poursuivre ingénument, oui, ce paysan grossier secoue l'ennui de la cour : " tour à tour familier, railleur, violent, joyeux, absurde, poétique. Avec cela nulle pose. au contraire, un sans-gêne inouï ."
L'ambassadeur aime trop les jolies femmes pour contredire la plus charmante comtesse de  Russie !
Sa galanterie française ne l'empêche nullement de confier à son journal vespéral une opinion tranchée sur le moujik faiseur de miracles.
Un saint ce  Grigory Raspoutine ? allons donc ! le Français ne mâche pas ses mots: un dépravé l'éminent conseiller occulte de la triste impératrice, un obsédé malsain du beau sexe, sadique, et barbare !
Ce Grigory, porte bien son surnom : Raspoutine vient de raspoutnik, mot éloquent signifiant, en argot paysan, le débauché ! et l'ambassadeur de cingler  de son ironie les crédules baisant les mains de cet étrange moine tombant dans les pièges voluptueux de la tentation démoniaque.
Si cet envoûtement ne frappait de son venin que de braves paysannes incultes ....
Mais non, les princesse du Monténégro "société oisive, abonnée aux plus absurdes pratiques de la théurgie" croient voir un ange égaré, un prophète sibérien , et présentent ce phénomène à la barbe repoussante au couple impérial . La machine infernale est installée au palais.
La tragédie commence .Leurs Majestés donneraient leurs vies afin de soulager la détresse de leur fils unique souffrant d'hémophilie. Le moujik devient pour ces parents perpétuellement angoissés "la voix de la terre russe". Et la terre-mère ne peut que guérir ses enfants !
Malin, Raspoutine s'allie avec le charlatan au service de leurs majestés, un Sibérien  qui s'est titré de son propre chef thérapeute et expert en recettes des sorciers de Mongolie.
Malgré la soumission quasi servile de l'impératrice à l'intrus, le vent se lève et gronde dés 1911 : on exile Raspoutine qui déguise ce renvoi momentané en pèlerinage à Jérusalem.
Paléologue, de toute son impertinente désinvolture, dit tranquillement :
"Seule, une âme sainte pouvait répondre ainsi aux injures des méchants!"
Jérusalem se transforme en villégiature russe, et, l'impératrice en profite pour supplier son époux de lui rendre son mage bien-aimé. Complots et accusations eurent beau bouillonner, c'est l'impératrice qui gagna la partie . Il suffit à Raspoutine d'envoyer quelques mots promettant la guérison de son fils à cette mère éplorée, et le miracle auquel la Russie ne croyait plus face au petit prince en proie à une forte fièvre, survint comme si le télégramme du "Père Grigory" cachait une magie ténébreuse dans son papier.
Depuis, le pouvoir de Raspoutine corrode le régne du Tsar et suscite une hostilité violente qui dégénère en représailles, puis, en assassinat.
Un des premiers à apprendre l'horrible fin du mage sibérien, le 30 décembre 1916, c'est l'ambassadeur de France qui a du mal à y croire: il paraît qu' un prince, un parent du Tsar, a proprement exécuté le terrible conseiller spirituel de l'impératrice !
Quel pays cette Russie ! l'ambassadeur se souvient alors du regard de ce Raspoutine qui entre désormais dans l'histoire:
"  Toute l'expression de la figure se concentre dans les yeux, des yeux bleu de lin, d'un éclat, d'une profondeur , d'une attirance étranges. Le regard est à la fois aigu et caressant, ingénu, astucieux , direct et lointain.quand sa parole s'anime, on dirait que ses pupilles se chargent de magnétisme."
Or, Paléologue préfère garder, comme un trésor en sa mémoire, le délicat visage d'une femme troublante rencontrée chez Solotiev, haut lieu des livres rares et des précieuses gravures, où se croise le" tout-Saint-Pétersbourg".
Cette vision l'ensorcelle bien davantage que le repoussant Raspoutine !
D'ailleurs, il l'évoque avec tant de raffinement que l'image de cette beauté matinale estompe guerre, crime et chute annoncée de l'empire.
C'est la fée des neiges, c'est une apparition céleste ! et une aventurière qui a su attraper le coeur de son Altesse Impériale le grand-duc Michel-Alexandrowitch  au point d'en devenir l'épouse morganatique....
Secouant la poussière du temps, cette scène livre encore l'enivrement du galant ambassadeur incapable de cacher son émoi envers cette déesse moscovite, Nathalie-Serguéïewna Chérémétewsky.
L'artiste s'éveille chez le diplomate, on songe à l'arbitre des élégances de "Quo Vadis", Pétrone l'écrivain qui, oubliant ses sarcasmes, s'enchante d'une douce Romaine à l'extraordinaire grâce :
"Tandis que j'examine, au fond du magasin solitaire, quelques belles éditions françaises du dix-huitième siècle, je vois entrer une svelte jeune femme. Elle est exquise à observer.Toute sa toilette révèle un goût sobre, personnel et raffiné. Son visage hautain et pur a des modelés charmants, ses yeux clairs ont un regard velouté.
A son cou, un rang de perles magnifiques scintille sous les rayons du lustre qu'on vient d'allumer. Elle regarde chaque estampe avec une attention sérieuse, qui l'oblige, par moments à cligner des paupières en fléchissant la nuque. 
De temps à autre, elle se penche à droite vers un tabouret où l'on a posé un second portefeuille. Une grâce lente, onduleuse, caressante, émane de ses moindres gestes ..."
Peut-être le véritable visage de la Russie !

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse


Le prince Youssoupoff, assassin de Raspoutine, et son épouse, la sublime Irina de Russie

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