jeudi 15 juin 2017

Contes du vieux château : Bal à Paris: la recette du goût de la vie !

Un bal "vieille-France" à Paris, Faubourg St Honoré !

Qui résisterait à une si "royale" invitation ?

Certainement pas la provinciale du Languedoc que je n'ai aucune sotte honte à être .
Le carton au joli dessin évoquant une façade classique nous illumina au coeur de l'hiver
. La date était celle du début de l'été. Port presque impossible à atteindre quand on lit et relit une courtoise formule, imprimée en belles lettres penchées, en toussant à fendre l'âme dans une maison inondée d'air froid...
Mais le temps avance à grandes enjambées, le printemps s'achève, et nous voilà, veillant sur nos habits "protocolaires" comme s'il s'agissait du trésor d'un pharaon, Place St Sulpice ! 
Dernière étape avant le taxi qui nous enlèvera vers ce bal Proustien.
 Notre hôtel, le "Relais St Sulpice"déploie l'allure charmante et la discrétion de bon aloi d'une maison de famille. Niché contre les flancs majestueux de l'Eglise d'où s'échappe l'ample prière des grandes orgues, il se replie dans l'étroite rue Garancière sur une histoire nourrie par un héroïsme de l'ombre.  Cette demeure parisienne de l'ambassadeur de France Francisque Gay fut également un haut-lieu de la Résistance. Sa bibliothèque  feutrée se souvient-elle des épisodes cruels ? 
Il ne semble guère . De nos jours, cette maison au raffinement hors des modes est imprégnée d'un confort apaisant.
 La rue de Seine est à deux petits pas, les quais à quelques minutes de marche à la parisienne. L'équipe en place prodigue sourires et gentillesse spontanée à l'égard de ces étranges provinciaux déterminés à s'affubler d'habits de gala quand la canicule foudroie le moindre balcon de Saint-Germain -des-Prés.
Tout à coup, nous perdons la foi en nos velléités mondaines ! Paris sous le soleil déborde de gaieté, le jardin du Luxembourg nous tente terriblement. Il suffirait d'enfiler la rue de Tournon et les délices de ce parc à l'immuable beauté nous raviraient peut-être plus qu'une soirée cultivant la bienséance et l'art des finesses diplomatiques.
Courageusement, nous revenons à nos devoirs. 
L'heure protocolaire sonnera d'ici 20 minutes, le taxi est en route.
 Ma longue robe en mousseline jaune pâle me fait malheureusement l'effet d'un plaid en laine d'Ecosse ! quel supplice n'endurerait-t-on pas  afin de tournoyer sur des planchers lustrés à une encablure de l'Elysée !
 Un cri fuse dans la chaleur aussi lourde que du plomb fondu : l'homme-mari vient d'arracher le ruban de son noeud papillon ...
C'est le drame le plus absurde que l'on puisse imaginer. Privés de bal pour un bout de tissu noir ? Pourquoi un pareil châtiment ?
Un instant de flottement et une idée de génie inspirée par l'urgence. Je découds un inutile ruban enguirlandant ma mousseline et l'homme-mari camoufle les dommages à la hussarde.
Nous respirons ! Le noeud tient bon ! il n'est plus temps de reculer.  Le chauffeur de taxi compatit à nos affres et nous réconforte: tout se passera bien, nous allons à un bal et pas à la guillotine: "détendez-vous!"
Dociles, nous obéissons à cet homme doué d'un bon sens rassurant.
 Que les chauffeurs du G7 sont attentionnés! Ils nous rendent Paris aimable.
 Un détour car l'Elysée est sous bonne garde, une impression de pureté architecturale, un prestige ancien, une grâce un peu froide, et soudain voici le tournoiement écarlate d'une robe frôlant le pavé avant de s'envoler sous un porche énorme. C'est une invitée ! un homme suit en "cravate noire" comme il se doit. C'est à nous de faire notre entrée !
Le mot "province" s'inscrira-t-il en lettres rouges dur nos fronts ?
Un hall pompeux, un escalier d'honneur, un cortège de toilettes froufroutantes à damner une créatrice de tenues de soirée, et le soleil dans les yeux, nous évoluons le moins maladroitement possible sur une pelouse impeccable. L'aurait-on taillé aux ciseaux pour la circonstance ?
L'horizon semble un bosquet en plein Paris, inutile de s'avancer vers ce jardin ombreux, on nous regarde avec une courtoise sévérité. Nous manquons à la plus élémentaire courtoisie ! vite, saluons notre hôte qui serre autant de mains  à la minute et esquisse autant de baise-mains à la seconde qu'un ambassadeur parvenu au bout d'une flatteuse carrière.
Nous nous sentons cette fois l'âme de braves soldats de l'Empire présentés au général Bonaparte au crépuscule d'une victoire en Italie. Tout va bien : l'hôte prestigieux nous envoie noyer notre timidité provinciale au fond d'une coupe de champagne.
De soldats aguerris, nous voilà métamorphosés en taciturnes piquets. Personne ne nous parle, c'est la déroute, c'est Waterloo dans le lieu le plus exquis de Paris.
Bonheur ! une aimable inconnue et son époux rayonnant acceptent notre main naïvement tendue !
Nous ne sommes plus des invités solitaires !
Une conversation cosmopolite s'engage,  ce couple vient de Chine et a mille choses à raconter . Soudain, nous trouvons la façade de l'austère hôtel particulier d'un romantisme délicieux, la foule parisienne ne nous angoisse plus, de transparents nous devenons peu à peu presque visibles et le moment de passer à table tombe comme une surprise.
Quelles épreuves nous guettent-elles ?
Déjà, monter un escalier majestueux en tentant de relever avec une nonchalance étudiée les flots d'une robe longue et fragile réclame une attention inconcevable. Je m'exténue, et arrive exténuée.
Au passage, j'admire un aréopage de légères jeunes filles en robes à traîne ou jupes gonflées :
mais comment diable font-elles pour ne pas ressembler à des paquets informes dans ce redoutable piège de la montée des marches?
Voici la salle à manger.
On croit évoluer au coeur d'un coffre précieux. Le couple sympathique trouve immédiatement sa place. Nous sommes exilés côté cour, nos nouveaux amis ont droit au côté jardin. L'air ne circule qu'à grand peine, le ballet de serveurs, des artistes à la précision Suisse, s'emballe. Notre table nous paraît en Sibérie, qu'importe, les convives se révèlent vite des plus loquaces et des plus drôles.
 Le pire n'est pas toujours obligatoire même au sein d'une société brillant d'un éclat adorablement anachronique. A force de plaisanteries de vieux gamins, le dîner de gala prend un tour galant.
Nous rajeunissons, reverdissons, et l'heure galope sans pitié. 
On nous prie de nous lever !
Tout de suite ! tant pis pour les desserts abandonnés, tant pis pour les bavardages sarcastiques , tant pis pour les mots d'esprits, le coeur de la soirée est atteint : il faut danser ou mourir.
Une valse viennoise remue le troupeau en noir et blanc et les crinolines aux nuances volées à un jardin d'été. On court, on se précipite, " le beau Danube bleu" incendie les parquets !
Nous courons sous les gypseries délicates adoucissant de leur reflet rose pâle l'enfilade des salons,  nous nous élançons comme une meute sur les traces d'un cerf aux abois ! où nous mène cette bousculade éperdue ? 
A un exercice infiniment périlleux : la valse !
Voyez-vous, cela semble si simple; un, deux, trois et vous vous transformez en cygne fendant une onde paisible. Tout dépend de votre cavalier en réalité ...et de votre sens instinctif d'un rythme un peu suranné. En pleine action,. nous avons lutté stoïquement contre une lancinante impression de désespoir... 
Que cela dure un temps de valse quand on doute de soi !
 Heureusement, une bonne âme ordonne un rock, et un autre et encore un autre, ce n'est plus un bal second empire, c'est une boîte de nuit surexcitée ! les longues robes se soulèvent, ondulent, s'étalent comme des drapeaux, s'envolent et bondissent, toutes les générations font preuve d'une agilité spectaculaire : on danse comme si ce bal était le dernier ...
Les heures coulent et tout le monde survit. Nous compris ! ne sommes-nous tenaces et endurants, en vrais provinciaux habitués au rythme rustique ?
Entre deux virevoltes folles se dessinent quelques surprises amicales, naissent des sourires et s'épanouit une certitude optimiste: la glace des débuts ne tient guère, il fait si chaud ! le jardin est fermé, la cour permet aux enragés danseurs de reprendre allure humaine et contenance mondaine..Les jeunes gens osent fumer, et plus si affinités...
Un de nos convives vient me saluer, et en profite pour se confier. Il avait une vive appréhension: celle de s'ennuyer ! eh bien , non, pas du tout, il est ravi. Je l'assure du même sentiment. Ce gentilhomme  prend congé et se courbe vers ma main tout en dissimulant, le plus élégamment du monde, un éternuement.
Le pauvre a pris un refroidissement alors que la canicule ravage le froid Faubourg St Honoré !
Je suis d'un regard incrédule cet homme charmant, qui, emmitouflé dans un pardessus et une écharpe, s'évanouit, pareil à une apparition hivernale, dans la nuit brûlante.
Décidément, les soirées parisiennes sont des traîtresses!
Celle-ci s'achève, et nous traversons Paris au point du jour. L'aube a des doigts de rose et un voile orangé. Promesse de grosse chaleur, et d'un farniente au Pavillon de la Fontaine, sous les ramures du Luxembourg débordant à l'instar d'un bal gigantesque. Le nôtre nous laisse le goût doux et amer de la nostalgie harmonieuse. C'est une musique subtile ou un poème de Gérard de Nerval.
Nous reviendrons l'an prochain, et cette fois, ne craindrons personne !
Le surlendemain , j'ai l'audace de me faufiler dans la boutique-boudoir de la talentueuse artiste Marie-Thérèse de Taillac, rue de Tournon,
.Une gracieuse jeune personne aussi experte que passionnée, comprenant qu'elle a affaire à une rêveuse inoffensive, me présente des gemmes d'une pureté de premier matin du monde.
 Une topaze au bleu surnaturel m'attire à l'instar d'un torrent de montagne, et l'envie me vient de fuir Paris comme on fuit l'amour, de peur qu'il ne vous attrape ...ces pierres montées à l'instar de joyaux antiques, ces bijoux extraordinaires et extraordinairement sobres, me semblent le symbole d'un raffinement inégalable : l'air de Paris sans nul doute !

 A la vérité, c'est bien d'amour qu'il s'agit:  Paris redonne le goût de la vie.

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
Un des" palais secrets" du Faubourg Saint-Honoré à Paris

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