jeudi 22 juin 2017

Les jardins d'un poète grec et d'un écrivain français

Le bonheur, horizon lointain ou rivage immédiat ?
Monsieur de Chateaubriand déambula de par le monde depuis son enfance en s'interrogeant sans réponse. Or, une consolation vint éclairer sa nuit secouée de tempêtes politiques et passionnées: l'amour au jardin et les jardins de ses amours.
 Le jardinier ne renaît-il perpétuellement, à l'instar de l'amour ? On cultive ses rosiers et on respire à nouveau l'espérance embaumée. C'est une roue tournant de saisons en saisons; une constante expansion née de la plus terre-à terre des obsessions : cultiver son jardin !
La vie s'affole de lamentations, de drames, énormes ou mesquins, exister paraît une chemin de croix.
Pourtant, il suffit d'ouvrir le portail rouillé menant à un vieux jardin et le coeur fatigué de tout, même de l'espérance, bat plus fort .
Arracher des ronces, libérer un platane, un cèdre, un chêne, du lierre sournois qui ceinture son tronc, chasser les orties, traquer la folle avoine, semer, planter, s'extasier devant ce miracle si simple et si singulier: un carré de pelouse bien net, un pommier en fleurs, un magnolia acceptant de fleurir après l'orage, un marronnier passant en quelques nuits de printemps, de l'état de mélancolique épouvantail à celui de temple de feuillages secoué d'ailes d'oiseaux, un rosier pareil à un poème de Ronsard et l'on sent que sur terre, l'homme a une âme de jardinier.
Héritage latin, mais surtout incantation Grecque, surgie de l'Odyssée !
Homère ne cesse d'ensorceler et nous avons tous le regard d'enfant émerveillé d'Ulysse roi d'Ithaque découvrant le verger prodigieux du roi Alcinoos sur la bienheureuse île des Phéaciens:
"Hors de la cour et près de la porte est un grand verger de quatre arpents; une enceinte l'enclôt en long et en large.Là poussent de grands arbres florissants, poiriers, grenadiers, pommiers aux fruits éclatants,figuiers domestiques et luxuriants oliviers.
Jamais leurs fruits ne meurent ni ne manquent, hiver ni été; ils donnent toute l'année. Toujours le souffle du zéphyr fait pousser les uns,mûrir les autres; sans répit mûrissent la poire après la poire, la pomme après la pomme, le raisin après le raisin, la figue après la figue.
Plus loin est planté le fertile vignoble ... en avant, des ceps dont les uns perdent leurs fleurs, tandis que sur les autres les grappes commencent à rougir .Plus loin, contre leur dernier rang, des plates-bandes portent des légumes variés, verts toute l'année.
Dans le potager coulent deux sources: l'une s'épand dans tout le jardin; l'autre envoie ses eaux sous le seuil de la cour vers la haute maison; c'est là que les gens de la ville viennent chercher l'eau.
Tels étaient les dons magnifiques des dieux dans le manoir d'Alcinoos."
Jardin ou potager ? Verger ou féerie ?
Ce bout de terre prodigue fruits et fleurs, nourriture du corps et de l'esprit. Intendance et économie domestique, trésor à l'origine divine, le jardin grec est source de vie et régal complet : il exale de délicats ou vivaces parfums, sauve les humbles de la famine et de la soif et assure l'avenir d'un peuple autant que la bonne renommée d'un roi, père de la patrie. Le verger antique s'enracine à la fois comme sanctuaire, tableau harmonieux, terreau de poésie et garde-manger!
Cet ancêtre direct du "potager du roi" à Versailles constitue le fer de lance des bouts de terres d'où jaillissent des plants de tomates élancés, des choux ou des citrouilles et autres légumes aux riches nuances, surveillés avec passion par un apprenti jardinier.
On peut vivre au jardin et vivre de son jardin!
C'est le seul endroit qui fait s'épouser pragmatisme et lyrisme.
 Le vicomte de Chateaubriand le savait si bien qu'il cultiva l'amour au jardin et y fit croître ses massifs de chimères, ses parterres de songes au gré des allées fréquentées par le cortège de ses conquêtes; adorables créatures enchantées par un enchanteur qui cultivait l'art de se laisser aimer sans rien donner de son auguste personne.
L'aventurier courant sous les orages abrita son adolescence sous les ramures du parc de Combourg, attrapa le coeur de Juliette Récamier (et sans doute bien davantage)dans un bosquet du sublime parc de Chantilly, et ne se consola jamais de perdre le jardin qu'il planta de beaux arbres, au creux paisible de sa "Vallée-aux-Loups" adorée.
Avant d'errer, au soir de sa carrière tourmentée, dans les tours et détours du jardin du Luxembourg et de regarder s'ouvrir les bourgeons du printemps aux Tuileries.
Sa vie oscilla entre  la gloire et le désarroi, mais plus que celle des hommes, la compagnie des arbres mit du baume sur son vaste coeur d'égoïste, torturé par les malheurs qu'il provoquait !
 Pourtant, on lui pardonne tout tant sa prédilection envers les parcs sauvages, sa franche ferveur à l'égard des bois et landes, refuges des âmes meurtries ou irrémédiablement solitaires, le rapproche de chaque mortel que cinglent l'amertume et la mélancolie. Le comble du paradoxe veut que cet homme fier de s'éloigner des humains ordinaires, leur tende une main secourable grâce à son amour invétéré pour Mère Nature.
Chateaubriand c'est nous !
Or, ce neurasthénique littéraire nous ment: il raffole de la vie comme elle vient.
Bien sûr, il prend la pose du héros emporté par de futurs orages à Combourg, cela ne dure qu'un moment. Presque encore enfant, le voici soudain pris d'un ravissement contagieux.
C'est le printemps et, en Bretagne, plus qu'une saison, c'est une incantation fabuleuse:
"La terre se couvre d'une multitude de primevères, de hyacinthes de champs et de fleurs sauvages.Le pays entrecoupé de haies plantées d'arbres offre l'aspect d'une continuelle forêt et rappelle singulièrement l'Angleterre. des vallons profonds où coulent de petites rivières non navigables présentent des perspectives riantes et solitaires : les bruyères, les roches, les sables qui séparent ces vallons entre eux en font mieux sentir la fraîcheur et l'agrément."
Toute la famille découvre le domaine acquis par le père du jeune chevalier François-René. Aucune tragique influence ! on chemine au contraire chez Merlin l'enchanteur dans un jardin investi par Morgane la fée.
 Ce passage des "Mémoires d'outre-tombe" devrait s'intituler "si Combourg m'était conté":
"Descendus de la colline, nous franchîmes un ruisseau, et après avoir marché une demi-heure nous quittâmes le chemin pour gagner une futaie voisine; la voiture roula bientôt dans une allée de charmilles dont les cimes s'unissaient en berceau, à une grande hauteur au-dessus de nos têtes.
Je me souviens encore du moment où j'entrai sous cet ombrage, et de la joie mêlée de crainte que j'éprouvai en sortant de l'obscurité de ce bois;"
Combourg s'empare du jeune chevalier qui tout le reste de son existence tentera d'en réunir les vestiges émouvants : vieux marronniers, pelouses, long potager, grand bois de chênes, d'ormes et de châtaigniers Un paysage agreste se déployant à l'instar d'un monde clos dans une harmonie retirée des blessures du temps :un étang "aussi grand qu'un lac", des pâturages, et toujours des forêts.
Ces forêts de Bretagne bruissantes de murmures, sortilèges, trésors et secrets. Ces forêts vouées aux quêtes incertaines  qui imprégneront à jamais le caractère de l'écrivain.
A Combourg, il prendra la manie de planter les arbres de la" Vallée-aux-Loups"( son paradis de 1807 à 1817), il débutera sa passion délirante envers pins et magnolias. Les arbres l'emporteront chez lui sur toutes les femmes aimantes, il n'aura de vrai sentiment que pour ses jardins évanouis.
Et cela en dépit du lien sans cesse malmené qui l'unît à la fidèle et incompréhensible Juliette Récamier.
Peut-être voyait-il en elle cette dryade qu'il cherchait adolescent au gré des prairies et des bois de Combourg ...
 A l'abri des hautes futaies du domaine paternel, l'enfant Chateaubriand , le chevalier rétif, se sent immédiatement chez lui. Le château a une allure maussade, sévère, qu'importe, l'héritier d'une ancienne famille réalise que cette farouche grandeur s'accorde avec sa lignée et donne des ailes vibrantes à sa jeune imagination.
 En vérité, marin fortuné de père n'a guère fait preuve d'originalité.
Cette propriété de Combourg répond, dés la fin de l'Ancien-Régime, aux canons des jardins traditionnels de notre pays, libérés de la férule du parc "à la française"par un zéphir soufflant d'Angleterre, et une morale échappée des bords du lac Léman (Rousseau, toujours Rousseau...).
Quel charmant visage revêtent encore nos domaines à la rusticité raffiné ?
Un irrésistible mélange de goût classique, bien ordonné, et d'indiscipline adorable, gazons soignés, buissons échevelés, espaliers utiles, carrés fertiles, guirlandes de jasmins et rosiers rustiques.
 Le tout vivement conseillé par le très autoritaire "berger des Alpes" Jean-Jacques Rousseau, âme revêche et arrogante qui d'ailleurs ne s'abandonnait guère à sarcler, semer, tailler et planter; ses vues de philosophe le plaçant au faite des" nuées"crées par Aristophane (hospices ou sanatoriums prévus à l'intention de Socrate et de ses successeurs).
Ce style particulier exige toutefois que  l'on soit le vaillant héritier ou le très hardi acheteur d'un château cerné de douves, flanqué de tours de dimensions raisonnables, et relativement peu effondrées, et délicieusement embelli d'un pont-levis aussi immobile q'un chat endormi.
Une longue avenue ne gâte rien, sans omettre un lourd portail grinçant avec un râle lugubre; si possible hérissé d'armoiries de fantaisie ou adoubées par les généalogies les plus exactes, de toute façon, le temps anoblit tout !
Surtout, rien ne se doit enjoliver la façade de votre manoir, presbytère, donjon, ou maison d'artiste ! Le savoir-vivre français ne tolère aucune liane, aucune avalanche de plantes grimpantes, et en aucun cas les boucles verdoyantes de l'odieuse vigne-vierge ! cette sacrée insolente qui dérobe trous et lézardes, cache les griffes des intempéries et métamorphose une ruine en demeure de princesse au "Bois-Dormant"...
Ajoutez, au pied de votre maison, une pelouse dans laquelle votre main aura jetée une grosse poignée de graines de fleurs bien colorées, des orangers,lauriers et tout ce qui vous plaira pourvu que ces belles plantes restent sagement dans leurs pots.
Puis, arrosez une cour de gravier rose, plus loin,  dans l'étendue du parc romantique, entretenez ou ordonnez de nobles essences, tilleuls et platanes, faisant une cour discrète à une rangée de cèdres du Liban et quelques quinconces de marronniers, et vous aurez, pluies bretonnes en moins, canicule en plus, cela dépend de votre choix, un" je ne sais quoi" de Chateaubriand.
De nos jours, un domaine chatoyant de fleurs bleues descend vers la Rance, aux portes de Saint-Malo. Ce sont les jardins du Montmarin. Ces lieux d'une harmonie quasi surnaturelle s'empareraient certainement du coeur éternellement déçu du vicomte.
Qui sait ? Chateaubriand , évadé du "Grand-Bé par un après-midi de mai, y déambule peut-être, invisible aux promeneurs, en faisant remarquer au fantôme exquis de la douce Juliette Récamier la délicate splendeur du magnolia séculaire, venu comme lui d'avant la révolution; et bien vif encore.
 Les arbres, nos protecteurs généreux, symboles optimistes de nos renaissances, portant gravés sur leurs rudes troncs victoires et malheurs, ont ce privilège sur les mortels :
ils nous survivent en gardant le tendre ou l'amer secret qui repose en nos âmes.
Vive Chateaubriand, notre invincible druide breton présentant aux amants et poètes le"gui" de l'an neuf !

A bientôt,

Lady Alix

Jardins du Montmarin près de St Malo: un lieu inspiré où déambule le fantôme de Chateaubriand

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