vendredi 10 mars 2017

Contes du vieux château: Katia Dolgorouki: turquoises et amours Russes !

En 1939, un fantastique mélodrame, agréablement ravivé d'histoire de la Russie, tira des torrents de larmes aux femmes sensibles tout en suscitant une pointe d'agacement chez les esprits ironiques.
Ce fut l'oeuvre d'une princesse roumaine, Marthe Bibesco, souveraine détrônée d'un immense domaine dans son pays, combattant plume à la main pour sa survie alimentaire et s'évertuant à recréer les prestiges d'un univers qu'elle n'avait cessé de côtoyer.
Ce récit présentait le mérite de ne jamais sombrer corps et coeurs dans les fades vertiges de la commune vulgarité.
Qualifié de confiserie littéraire par les jaloux incapables de croire en d'anciennes passions, il garde encore un charme doux-amer qui le sauve du ridicule et provoque même une empathie prenante avec ses héros aussi inventés que véridiques.
L'auteur a nourri  de ses affolements amoureux envers le prince héritier de Prusse et de sa jeunesse fastueuse, sous le soleil couchant de " l' Europe des rois", la trame de ce conte hésitant entre friandises et tragédie antique.
Personnage énigmatique  malgré l'imagination débordante de sa princière biographe,"Katia", princesse au sang aussi bleu que le Tsar Alexandre II, son amant et son époux de l'ombre semble lire entre les lignes et se moquer de toute son impertinence d'éternelle rebelle de ces chapitres découpés en dialogues tendres ou acides .
Vraie ou fausse biographie ?
Finalement, c'est la princesse Bibesco, ancienne égérie des grands de la vieille-Europe, qui se livre sans s'en douter au hasard des péripéties . Et le jeu de miroirs en devient passionnant  .
Mais, qui fut véritablement cette Katia , que les biographes d'Alexandre II, Hélène Carrère d'Encausse et Henri Troyat  dépeignent à la fois comme une égocentrique capricieuse et une amante dévouée corps et âme à son unique amour ?
Quel fut vers 1860 le fil d'Ariane aboutissant à la liaison dangereuse attachant un Tsar quadragénaire à  la plus dissipée des élèves du vertueux institut Smolny ?
Cette pension abritait les jeunes filles de l'aristocratie russe que des frères ou pères aux faiblesses dispendieuses, (souvent jouets d'escrocs profitant de leur naïve désinvolture et de leur dédain de tout pragmatisme bourgeois), avaient démunies des ressources familiales . Au sein de ce refuge que  protégeait alors l'Impératrice Maria Alexandrovna, frêle et malade épouse  d'Alexandre II, une orpheline farouche Catherine Dolgorouki  douée d'une vivacité extraordinaire s'inventait le plus absurde des romans .
Des grimoires poussiéreux ont farci sa tête vite échauffée de cruelles péripéties familiales .N'arbore-t-elle à la manière d'un oriflamme ce nom qui fut celui de la fiancée d'un Tsar en 1729 ?
La première Catherine Dolgorouki que Pierre II fort amoureux para de turquoises, arrachées aux montagnes de Perse, afin d'exalter ses yeux à la rare nuance bleu ciel.
A peine âgée d'une quinzaine d'années,la nouvelle Catherine ressasse une dévorante obsession :
séduire le Tsar à l'instar de sa tante lointaine ! venger ainsi le sort effroyable  d'Ivan, frère de l'infortunée Catherine, que la mort précoce du jeune Tsar, son ami intime, projeta dans l'horreur des règlements de compte d'une barbarie inconcevable.
Les Dolgorouki hissés sur les cimes de la Russie devaient sombrer  pour renaître.
Ce beau et célèbre patronyme  désigne une haute et turbulente lignée de seigneurs descendant du légendaire Rurik, guerrier scandinave dont le nom créa la Russie.
Cavaliers farouches, têtes brûlées , et sirènes envoûtantes,voilà comment Catherine déroule l'épopée de sa famille. Elle n'a pas tellement tort ...
D'ailleurs, au début de son règne , le Tsar Alexandre II faillit manquer à ses devoirs de jeune époux en éprouvant une attirance d'une violence irrésistible envers une cousine de Catherine, la princesse Alexandra Serguievna Dolgorouki.
Affolée face à cette soudaine passion , alarmée à la perspective de s'attirer l'amer ressentiment de l'Impératrice, oumise aux nobles convenances de son entourage proche , la trop sublime jeune personne se précipita dans un mariage de raison  comme on se jette au fond d'un puits .
Catherine connaît cette triste romance et s'est juré que nul être au monde ne déciderait de sa vie à sa place . Si elle est aimée du Tsar, rien , morale, religion, peur, vindicte courtisane ou mépris populaire , ni personne, puissant ou misérable, ne les séparera .
Or , justement, la venue du Tsar un après-midi de décembre, déclenche l'ivresse collective du contingent de jeunes personnes de Smolny .L'empereur vient remplacer son épouse souffrante, il n'en faut pas plus pour que cette visite de courtoisie ne tourne les têtes et ne délie les langues .
Seule Catherine garde un étrange silence . Le Tsar ! eh bien qu'il vienne et il verra ! l'impulsive Catherine saura lui rappeler d'où elle vient, elle ,et aussi qu'ils sont tous deux de vieilles connaissances .
 Comment le Tsar ne se souviendrait-il de cette journée d'août 1857 qui vit l'homme le plus puissant de la Russie reçu d'égal à égal par une petite fille, à la place de toute sa famille grippée ?
Cet épisode laisse perplexe , mais la princesse Bibesco le narre avec une si plaisante conviction  que l'on veut bien y ajouter foi .
D'ailleurs , la description de l'imposant domaine de Tieplovka, ancienne propriété des Dolgorouki , s'inspire de son mini-royaume de Mogosoëa en Roumanie .
Cet énorme palais entouré de forêts profondes, fut le cadeau du prince Georges Bibesco à son épouse  afin de la consoler de ses souffrances d'amante abandonnée par un autre prince , français celui-là ... A l'instar de Catherine Dolgorouki , Marthe Bibesco, se résigna à quitter son fief ainsi que celui ancestral de Posada lors de la déclaration de guerre de la France et l'Angleterre à l'Allemagne en 1939. Au moment où elle invente la trame de "Katia" , la princesse roule le désarroi des exilés dans son coeur .
Elle remonte le temps, renoue avec l'adolescente qu'elle fut vers 1895, à Biarritz, à cette époque brillante où la reine Nathalie de Serbie, sa tante, lui prodiguait son affection .
Volontaire, impétueuse, d'une extrême sensibilité ,Marthe Lahovary , future princesse Bibesco, avait sans doute la même fureur de vivre que celle habitant Catherine Dolgorouki . Pour l'auteur , se glisser dans le coeur de son sujet de biographie romancée signifie vaincre le fouet du temps .
Nous voici à la veille de Noël,  peut-être en 1860, peut-être un peu plus tard .
 La très jeune Catherine Dolgorouki  monte son plan. De toute façon , le destin est de son côté. Elle a l'intuition de quelque événement échappant à la commune mesure .
Quelque aventure qui fera d'elle un personnage de légende .Les heures qui viennent lui donnent raison : contre toute attente, c'est elle, dernière en conduite , que le Tsar choisit pour la traditionnelle promenade en traîneau .Le périple se prolonge jusqu'au golfe de Finlande, le Tsar s'amuse, Catherine tombe amoureuse, quoi de plus naturel de la part d'une gamine serrée contre un souverain dont le vent agite les impressionnantes moustaches ?
 Tout cela tient du charmant vaudeville, en France, cela serait vite oublié .Or, nous sommes en Russie, pays  des passions torrides dans un climat glacé, des comportements extravagants, des idylles absurdes .
Le Tsar se soucie soudain des héritiers Dolgorouki , grande famille injustement déchue et les  comble de bienfaits sur sa cassette personnelle .
Sa Majesté Impériale marie  ainsi le fils aîné , prince Michel Dolgorouki, à une aristocrate Napolitaine, une marquise au tempérament flamboyant, Louise Vulcano de Cercemaggiore, et prend la douce habitude de se reposer dans ce très avenant foyer conjugal des rigueurs de sa charge et des pesanteurs du protocole .
Tout Saint-Pétersbourg crie au scandale .Le Tsar conte fleurette à cette fille de feu  aux formes arrondies ! une amante tombée du Vésuve ! Sa Majesté  va-t-elle se consumer  chez les Dolgorouki ?
Les langues acérées se trompent : l'objet des assiduités du Tsar, ce n'est certainement pas la plaisante princesse Michel Dolgorouki, méditerranéenne , ignorant les usages de la Cour et offrant sa tasse de thé à un Tsar comme si de rien n'était .En dépit de son regard de velours italien, l'empereur ne rend à son indéniable beauté qu'un hommage élémentaire .
L'unique jeune déesse qui le tient presque captif en ce logis modeste, c'est bien sûr la soeur cadette du maître de maison , l'insupportable Katia qui le taquine , le rudoie, lui montre les tours appris à son carlin .Une "Gigi" à la mode Russe ? Une innocente guignée par un séducteur ? Ou une vraie histoire entre deux héros désarmants d'idéalisme ?
 Le Tsar ,dont la vie est menacée chaque jour par les groupuscules révolutionnaires, frôle la mort sans sourciller car il a trouvé un sens à son métier impérial .
Cette étourdie de Katia, élevée selon les préceptes des philosophes français, essaie de lui démontrer les avantages  d'une constitution ...le Tsar sourit et rêve.. d'autre chose !
La chair est faible, le Tsar n'est pas un élève  que l'on mène à la baguette .Les idées politiques sont reléguées pour le moment. On agite ces mots sacrés qui font frissonner de bonheur la jolie Napolitaine et mourir d'ennui la sauvage Katia :  présentation à la cour , bal , bijoux , révérences à l'impératrice et au Tsar qui fera l'étonné .
Puis ...le Tsar n'ose évoquer l'alcôve et les rendez-vous furtifs .Tout le monde comprend sauf l'ingénue Catherine . Feignant de se préoccuper de détails beaucoup moins embarrassants, la princesse Louisa pleure et se désole  : les bijoux historiques de cette branche appauvrie de la plus illustre famille de Russie sont entre les mains des prêteurs sur gage .Les deux princesses infortunées ne peuvent paraître à la cour dépouillées du moindre cabochon. Leur incomparable beauté n'en éclaterait sans doute que davantage aux yeux des assistants subjugués, mais , tout de même , quel calvaire ! quelle injustice !  à un bal, on a le devoir de briller, c'est une simple question de savoir-vivre . L'intrépide Napolitaine supplie son époux de circonvenir le Tsar .
 Qu'importe attentats, abolition du servage, réformes diverses, troubles populaires, qu'importe l'avenir de la Russie,  Louise Vulcano s'étouffe de honte, pourquoi a -elle épousé un prince ruiné ? Qu'importe son titre de nouvelle princesse, les pierres des Dolgorouki hantent jour et nuit la belle exilée pleurant sous les rigueurs de l'hiver Russe .
Le Tsar n'avait songé à ce détail ! Sa charmante protégée ne saurait s'effondrer dans une chaste révérence aux pieds de l'Impératrice, et surtout affronter la masse hostile des courtisans et hauts dignitaires, armée de sa seule blancheur d'ivoire et couronnée de son humble tresse à la mode des paysannes russes, et du plus clair châtain .
Convoquant les infâmes prêteurs, il prend alors une décision lourde de sens,  le choix des joyaux lui est imposé par l'histoire. La parure de Katia ressuscitera un serment aboli par la mort ,ranimera la ferveur des premières fiançailles d'un Tsar et d'une Dolgorouki .
Encore mieux, ces bijoux  symboliseront  sa Foi en cet amour qui lui a métamorphosé un homme rétréci face à sa maturité en impulsif jeune lieutenant .
Catherine ou Katia partage peut-être l'amour des hommes de pouvoir et des châteaux évoquant les musées de province avec sa biographe . Sur un point , il faut l'avouer, les deux princesses ne se rejoignent pas . Marhe Bibesco raffole des joyaux et n'a craint, durant les soirées prestigieuses de sa jeunesse endiamantée, de susciter admiration et jalousie en laissant couler des fleuves d'émeraudes d'une grosseur sans pareille sur ses robes extravagantes .
Catherine ou Katia, comme on voudra, se moque éperdument de ces coûteuses bagatelles . Sa jeunesse de jeune fille de la noblesse ruinée n'a crée aucune frustration de cet ordre . Un collier ?
Pourquoi diable ? cela  ne ferait qu'alourdir inutilement son cou fragile quand elle tournoiera , légère , heureuse, étourdie dans l'ampleur de sa crinoline turquoise, sa nuance favorite .
Son bonheur , son souhait d'enfant amoureuse, ce serait de danser la mazurka en ce féerique palais d'hiver, avec le Tsar , au moins une fois !
en tout cas , menace-t-elle l'autocrate abasourdi, si lui,  il n'ose descendre de son auguste trône, eh bien, elle dansera avec son chien !
Le Tsar riposte en envoyant à sa naïve conquête un diadème russe, le fameux Kokochnik, assorti d' un collier, tous deux pavés de cabochons énormes évoquant une Russie aux prestiges séculaires. Ces joyaux constellés de perles fines à l'éclat rosé et de turquoises au bleu infiniment pur  annoncent la plus émouvante des légendes .
Arraché à la griffe cupide des usuriers, c'est le présent du Tsar Pierre II à la première Catherine Dolgorouki qui fait se pâmer de jalousie la princesse Louise et rougir d'exquise confusion sa petite belle-soeur .Tout de même , la Napolitaine reçoit un "lot de consolation" : la parure de diamants collectionnés par les ancêtres de son époux ! elle accepte donc la sinécure de présenter  en grandes pompes sa fougueuse belle-soeur à l'impératrice , future épouse bafouée ...
Consacrée par cette averse de turquoises célestes,  favorite du Tsar, voici Catherine , frissonnante et altière, présentée au palais d'Hiver à une cour sur laquelle jamais elle ne régnera .
Les turquoises ont eu beau resplendir d'un éclat de ciel d'été , Katia ne sera qu'une maîtresse reléguée dans le secret d'un appartement doré . Elle gouverne le second foyer du Tsar, celui où l'autocrate respire et se confie librement .Katia ne joue aucun rôle, mais elle est indispensable . Au bout de quinze années ,la mort de la Tsarine lui donnera le titre rapide d'épouse morganatique d'un Tsar, hélas assassiné quelques mois après un mariage discret .
Conseillère de l'ombre, amante recluse, mère de trois enfants reconnus et titrés princes Yourieski, hommage de leur père à cet ancêtre fabuleux, Yourik ou Rurik, l'assembleur des terres Russes, Katia vécut entre abnégation et crises de colère;  amante exclusive, aimée et adorée avec fièvre et acharnement par un Tsar lui écrivant des milliers de lettres exaltant ses sentiments invariables .
Que gagna-t-elle  au prix d'une liaison nourrie d'amour pur et de renoncement librement consenti ? Les fameuses turquoises , gage d'un attachement insensé , lui portèrent-elles bonheur ou malheur ?
Si on élève  la passion amoureuse au dessus de tout en ce monde et dans l'autre, la réponse est oui !
si on croit qu'aimer de façon absolue n'amène que vide et cendres , la réponse est non .
En exil à Nice jusqu'à sa mort , en 1922 , dés les premiers jours suivant l'assassinat d'Alexandre II ( le premier mars 1881), Katia ne se consola qu'en éduquant ses enfants de manière à ce qu'ils ne dérogent à leur père .
Les bijoux continuèrent à l'ennuyer . Paris la vit acheter, peut-être afin d'en parer ses filles Olga et Catherine, quelques rangs de perles fines entre la rue de la Paix et la place Vendôme ; non loin du palais enchanté de l'Elysée où palpitaient le souvenir fragile et immortel de ses nuits torrides avec le Tsar, ,alors invité prestigieux de Napoléon III ...
 Mais aucun joyau n'égala le diadème de turquoises qui fit  d'une timide princesse de dix sept ans l'incarnation touchante de la passion  d'un Tsar.
Un jour , qui sait ,ces pierres aussi bleues que la mer à Capri , renaîtront-elles des gouffres du passé ...
.L'amour lui est éternel .

Enfin, pourquoi pas ?

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Princesse Catherine Dolgorouki

                                                                                            Château de St Michel de Lanès

                                                                                           Cabinet St Michel Immobilier CSMI

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