samedi 26 novembre 2016

Les Belles Amours de la place Vendôme


Place Vendôme ,Paris  !
Luxe absolu ,beauté fatale ,citadelle retranchée !
Ou encore ,valse des diamants bleus ,blancs ,roses et jaunes,? Fleuve miroitant des pierres étranges, maléfiques ou bienveillantes,arrachées aux entrailles de la terre , en sacrifiant force ,sueur  et larmes de parfaits inconnus ? Place mythique entre toutes ! Que voit-on, ensorcelé, au premier coup d'oeil ? De nobles maisons qui ont salué les rois de France !
Et une place toute d'harmonie bleue, de ses portes ayant renoué avec la classique nuance "bleu de marine",à l'ardoise bleue-grisée de ses toits .Un lieu d'ordre et de subtile volupté sous le soleil caressant les hiératiques façades pâles, avivant les froids matins d'hiver ou l'éclat rose des langoureux soirs d'été .En toute saison , de verts reflets dansent sur la colonne gardant éternelle la gloire de la "Grande Armée".La place Vendôme est une guerrière au repos ! c'est aussi une grande dame débordant  d'esprit "à la française".
Endroit sacré,lieu parfait ,hanté et vivace ,ranimant l'ombre majestueuse de cet empereur qui fut le plus amoureux des hommes avant d'égaler les plus redoutables conquérants.
Le romantisme ,ce démon rebelle , se glisse-t-il sous les portes des maisons respectables que le commun des mortels croit vouées au prestige raisonné plus qu'à la passion torride et lâchée ? Place financière ou place amoureuse ce pur modèle du style classique ordonné par Louis XIV ?
Prenez garde aux idées fausses qui galopent dans les rues et embrument les cerveaux !
Place Vendôme, l'histoire s'enracine sous les averses des grandes amours .On ignore  même combien d'amants ont perdu la tête en ces hôtels splendides ! le sentiment se respire à l'instar d'une brise matinale ! Madame de Pompadour ,amante et amie, faute de mieux ,de son 'Bien-Aimé" Louis XV, monarque à la fort longue carrière amoureuse, ne dort-elle de son sommeil éternel sous les pavés de cette place peuplée de mirobolants fantômes ? Il suffit pour frôler ses os délicats de pointer la corne du croissant de son petit-déjeuner,à la manière de l'adorable Audrey Hepburn à New York,non pas "chez Tiffany" mais au pied de la devanture de Van Cleef & Arpels .
Frisson exquis garanti à défaut d'emplettes coûteuses dans l'honorable boutique !
Un bel esprit empreint de jeunesse un peu folle a  traversé les siècles depuis l'Ancien  Régime, servant de terreau à un robuste jardin de joaillerie .Au milieu de maisons aux noms retentissants , Chaumet résonne à sa façon . Ancêtre rassurant ou aïeul hiératique ?
 Peut-être les deux et une foule d'autres .Les maillons d'une robuste chaîne ont forgé la "Maison " la plus ancienne de la majestueuse place sortie du cerveau du "Grand Roi".
 Le premier héro de ce roman endiamanté attaqua son premier chapitre en 1780 , au moment où glissait , fantasque et enturbannée , la belle Madame Vigée-Lebrun le long des galeries du Palais-Royal .
Fringant et déterminé, fuyant la férule du joaillier préféré de la reine Marie-Antoinette, l'habile et discret Aubert, le jeune Marie-Etienne Nitot, se sent pousser des ailes .Il regarde du côté de la cour et se donne à lui-même un défi enthousiaste.Ce monde emplumé, défiguré par le rouge en usage dans ce "pays-ci" de Versailles, ces grandes dames enfermées vivantes derrière les grilles du palais , prises au piège de la lourde étiquette et des comédies de l'amitié ou de l'adulation face à une reine sensible et hautaine , affectueuse et impitoyable ,cet univers viendra à lui  ! foi d'intrépide aventurier des pierres précieuses !
D'ailleurs ne connaît-il sur le bout de ses doigts agiles les goûts de cette espèce de clan si fascinant et si menacé ?
L'ancien-régime agonise , les fondations de la monarchie sont rongés , on danse un menuet sur l'abîme et tandis que le peuple murmure de plus en plus haut ,on se réfugie sous l'aile du sentiment .Le saint à la mode , c'est Rousseau ! il faut être au diapason de sa "Julie" , cette pleureuse professionnelle de "Nouvelle Héloïse". de quoi aime-t-on  ainsi se parer  ?
 De preuves d'amour ! Le coeur et ses égarements dictent leurs lois douces et cruelles aux zélés bijoutiers .
 On veut de l'amour sous forme de bracelets tressés avec les cheveux de l'être adoré ! On arbore des bagues gravées sur l'anneau de messages évocateurs : LACD est très recherché par les amants fiers comme des coqs !
Ou l'on échange à l'instar d'un plaisir interdit des rubis taillés en coeur , fulgurant aveu des émois envahissant votre âme ! la pierre rouge exprime tout ce que le billet doux le plus joliment tourné peinera à traduire ...
Les amoureux transis réchauffent leur flamme en commandant au bijoutiers de doubles coeurs ,une émeraude et un diamant, réunis sur un seul chaton .Comment leurs conquêtes ne succomberaient-elles devant une si tendre attaque ?
On est bien loin de la monotone offrande du sempiternel solitaire:
 ce petit brillant qui fissure  souvent l'amour vrai en soulevant l'affreuse et triviale interrogation : "combien m'aimes-tu ?"
Vers 1780, ce qui comptait , c'était la sincérité ! Marie-Etienne saisit cette piste charmante au vol et ne la quitte plus . Les" bijoux de sentiment" , ce sera lui et rien que lui , et plus tard ses héritiers de nom ou de coeur .Sa révolution , il l'accomplira avec l'arc de Cupidon ; les excès , les massacres , les fontaines sanglantes répandues par l'infâme guillotine lui font horreur
.Mais ,tapi dans l'ombre , laissant couler les jours sombres , le joaillier tisse sa toile .
Comme le phénix renaissant de ses cendres, Nitot déploie ses créations , petits bijoux que s'offrent les merveilleuses avides de fêtes à l'antique afin de noyer dans un tourbillon futile les souvenirs insoutenables de la Terreur .
Paris est gorgé de survivants qui entendent vivre intensément .
Une brune créole échappée par miracle aux massacres ,son époux , le vicomte de Beauharnais ayant eu la galanterie de la devancer sur le chemin de la guillotine, dilapide avec une grâce très aristocratique l'argent de ses amis ou amants .Nitot l'amuse ,la ravit ,la tente et la ruine.Bon prince , le joaillier patiente quand la belle paye ses dettes de sourires ingénus .Qu'importe ces petites sommes dérisoires !
 Rose -Joséphine , ci-devant vicomtesse , ne traîne-t-elle une escouade de bons officiers  attachés à la combler du plus inutile, c'est à dire de l'indispensable pour une aussi ravissante évaporée : les gouttes de corail , les profils antiques, les colliers à "l'esclavage" ceignant le front , les bras et le cou des nouvelles déesses.
Or , une sorte de demi-dieu au regard féroce insiste pour l'emporter à la fois sur les champs de bataille , n'est-il pas auréolé du titre de général depuis l'âge extraordinaire de vingt-quatre ans , et dans le coeur de la lascive et paresseuse écervelée .
Ce gentilhomme aux manières brusques vient d'une île calcinée par l'âpre soleil de la méditerranée . C'est certainement un génie de la guerre , un stratège admirable , un futur homme d'état , par contre , sa façon de se comporter avec la belle créole frise le ridicule . Il s'emporte, il tonitrue, il jalouse jusqu'à son chien, et ne voit même pas son rival à deux pas .
Tout Paris se moque.
 Joséphine flattée , soupire , se laisse attendrir ,se laisse envahir et se donne ...
 Demande en mariage du corse autoritaire ! demande acceptée ! Vite une bague !
 Le Corse prie-t-il Nitot de l'inventer ? Pourquoi pas ...
Qui sait si son fils, François -Regnaultadolescent talentueux , n'a pas fait ses premières armes en joignant un brillant au doux éclat de "rose" et un saphir exhalant son bleu de mer orageuse sur l'anneau d'or dévolu à Joséphine ?
 Le 9 mars 1796 , juste avant de prendre la tête de l'Armée d'Italie ,l'impétueux Corse épouse la créole enjôleuse.
 Or ,touché par le sortilège de cet amour aux parfums de folie et d'extase, Nitot va entrer dans la légende .Il ne s'en doute guère , pourtant ,déjà "Napoléon perce sous Bonaparte".L'horripilant Corse "aux cheveux plats" se métamorphose en puissant empereur et , le magicien des pierres , Nitot , le suit dans son sillage glorieux .
Le Premier consul à vie, en 1802 ,est un guerrier qui voit dans les pierres une source de puissance quasi  divine. En Inde, le rubis est l'apanage du courage viril, le diamant de la souveraineté. L'heureux époux de cette Joséphine, obsédée de parures et de fleurs rares, qui  gaspille avec bonheur l'argent vulgaire afin d'atteindre les cimes escarpées de l'élégance absolue, utilise l'art de ses joailliers, père et fils, comme un outil au service de son pouvoir .
Comment magnifier la fonction de ce jeune  ambitieux parvenu au premier rang de l'état ?
 Par une épée !
 Une arme vouée à l'apparat ; un objet à la valeur protectrice, nimbé d'une aura chevaleresque ; et resplendissant d'une splendeur héritée de l'histoire : les diamants de la Couronne ! Cette épée illuminera deux ans plus tard le sacre de cet enragé conquérant ...
Prouesse de joaillier, d'orfèvre (Odiot ), d'armurier (la lame est confié au meilleur en la matière : Boutet) et surtout, lien irrévocable avec la France des rois grâce à un ornement majeur : le Régent .
Qu'est-ce que le Régent au pays des pierres historiques ?
 Rien moins que le trésor de l'ancienne monarchie !
 un talisman  extirpé  vers 1698, au risque de représailles féroces, des légendaires mines indiennes de Golconde, par un malheureux esclave qui l'offre à un marin déloyal contre sa liberté .
Les mille et une aventures de la pierre fabuleuse rivalisent avec les plus hallucinants récits des intrépides gentilshommes courant autour de notre planète.
Bientôt, les chasseurs de gemmes s'efforcent d'attraper au vol cet énorme diamant dont l'eau égale la transparence d'un torrent de haute-montagne, roulant dans les reflets d'argent rosé de l'aurore  .
Le diamant baladeur se promène entre les mains rapaces du  gouverneur anglais de Madras et d'une kyrielle de personnages cosmopolites .Taillé , aminci de 410 carats à la bagatelle de 140,50, il irradie d'une flamme  incandescente et son destin prend lui aussi des ailes flamboyantes .
Le voilà en 1717 entrant en grande pompe dans la famille royale de France :
 le Régent du royaume , Philippe  duc d'Orléans,ne résiste pas à l'appel extravagant de ce caillou  qui saura étonner les ambassadeurs, les princes et les rois .
Pierre éminemment masculine, ce diamant est baptisé du nom de son nouveau propriétaire .
 Le" Régent" sera éternel !
Le jeune roi Louis XV est sacré à Reims sous la bénédiction des Saintes -Huiles et de la pierre prodigieuse étincelant sur la couronne de ce monarque de treize ans.
Bonne ou mauvaise influence ?
 Les gemmes ont leurs secrets .Le grand diamant bleu dérobé à la statue d'une déesse Indoue à laquelle il servait d'oeil , par Tavernier, gentilhomme intrépide courant le monde afin de nantir Louis XIV des pierres les plus inouïes souffrait déjà d'une douteuse réputation .
Borgne et furieuse de l'être de la main de cet impie voyageur ,la cruelle divinité se vengea en semant maints désagréments sur le passage du gros caillou rudoyant de ses rayons d'un bleu quasi infernal
ses inconscients propriétaires.
Envolé en 1792, grâce à l'énergie de voleurs audacieux qui se firent un plaisir d'éparpiller  les joyaux de La Couronne( relégués dans les coffres et vitrines du"Garde-Meuble"Royal)en plein Paris,sur les rives de la Seine ,sous les parquets et plafonds de minables soupentes,ou dans d'autres désastreuses cachettes, le diamant bleu, au contraire du Régent et de quelques beaux diamants hérités du Cardinal Mazarin ,ne revint jamais ni en France ,ni sur un trône.
 Ce qui évite de lui imputer la chute de Napoléon !
Le Régent faillit pourtant abandonner son pays d'adoption . Après l'avoir cru perdu, on le déniche sur la foi d'une dénonciation ,en 1793, dissimulé dans une pièce de charpente ,sous les combles d'un humble logis du vieux-Paris .
L'acclame-t-on comme le mérite ce morceau de roi ?
Horreur ! on le met en gage !
Il est urgent de financer la campagne d'Italie ...Or , son commandant , justement l'amant assez malmené, pour ne pas dire trompé, de la cliente préférée des Nitot pères et fils, vole de victoires en victoires .
Stendhal ne lance-t-il ces lignes exaltées :
"Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi , et d'apprendre au monde qu'après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur .Les miracles de bravoure et de génie dont l'Italie fut témoin en quelques mois réveillèrent un peuple endormi...La masse de bonheur et de plaisir qui fit irruption en Lombardie avec ces Français si pauvres fut telle que les prêtres seuls et quelques nobles s'aperçurent de la lourdeur d'une contribution de six millions .Ces soldats français riaient et chantaient toute la journée ; ils avaient moins de vingt-cinq ans ,et leur général ,qui en avait vingt-sept ,passait pour l'homme le plus âgé de son armée ."
Quoi de plus naturel pour le vainqueur Bonaparte de dégager le diamant qui ,d'une certaine façon , vient de contribuer à son enivrante conquête ?
Et rien de plus normal que d'enserrer ce talisman sur son épée de Premier Consul . le Régent est une bête de sacre !
 Le voici cette fois invité à un sacre impérial : 1804 !
 C'est l'avènement des joailliers parisiens : parer la cour battant de ses ailes neuves  relève de l'exploit pour cet aréopage d'artiste .On bourdonne au sein des ateliers à l'instar des abeilles brodées sur le manteau écarlate de ce Corse qui se fait empereur...
C'est la vraie naissance de la maison Chaumet.
 L'apothéose d'un style inimitable ciselé par la passion de la vie de Joséphine et le goût de magnificence du César Corse .
Il pleut des pierres sublimes , il neige des diadèmes , et l'on verse des larmes émues sur des rivières d'émeraudes.
Toutes les femmes sont des fées auréolées de rubis, en hommage à la charité de leurs coeurs,  ou de perles fines scandant l'élévation et la clarté spirituelle, selon les symboles prisés par la Renaissance.
Toutes les princesses, ruisselantes de camées glanées chez  Aspasie , d'épis de blés d'or  cueillis chez Déméter ,sont des Corses altières aux fronts hautains de patriciennes.
Au milieu des ors et de la pourpre, une déesse gracieuse et sage,encore jeune , toujours belle, agenouillée pour mieux recevoir sa couronne : l'impératrice ! sur le tableau bien connu , cette fresque gorgée de bijoux autant que dix vitrines de la Place Vendôme, Joséphine cascade de diamants choisis de la main experte du peintre David . Extrapolation luxueuse !
Le peintre brossa d'un pinceau rutilant ces pierres que l'impératrice ne portait peut-être pas ! l'imposante forteresse de pierreries ceinturant le chef de cette malheureuse,souffrant atrocement du poids de cette masse scintillante, aurait été un rempart d'améthystes violettes.
Gemmes assez banales mais dont le violet magistral rehaussait l'allure impériale . Napoléon s'est couronné sans l'aide du Pape Pie VII ,réduit à un pittoresque élément de décoration, de lauriers d'or à la mode antique .
Bon prince , le nouvel empereur console Sa Sainteté de ses déboires diplomatiques en lui offrant un merveilleux présent que Nitot sertira avec son talent étourdissant et tout le respect imaginable : une tiare gravée de feuillages rythmés de saphirs soulignés de brillants .
L'an 1805 confirme définitivement le père et le fils titrés joailliers de la cour .Tous deux sont unis dans un torrentiel élan de création dédiée à la fois au prestige du nouveau régime, et aux fougues de l'impérissable passion bouleversant les éternels amants que restent Napoléon et Joséphine.
L'impératrice dépense comme une lame de fond, inépuisable, renversante, insatiable !
 Elle exige sans cesse des parures complètes , boucles d'oreilles , colliers , bagues , bracelets ,un assortiment irrésistible qui ,bien sûr , donne le ton à la cour ,à l'empire , à l'Europe .
Epuisé, Nitot père se retire en cédant sa place à son fils.
Pragmatique , François-Regnault décide d'installer sa maison dans un endroit alliant le goût classique à la gloire de l'Empire et au rayonnement de Paris.
Voici que l'on se bouscule désormais au 15 ,place Vendôme , l'ancien hôtel de Gramont est métamorphosé en un temple de l'ingéniosité joaillière en 1811.
Hélas ! rien n'est acquis aux empereurs ...Joséphine, répudiée par celui qui ne peut s'empêcher de l'aimer, meurt en 1814 ,sur un monceau de bijoux débordant du moindre tiroir de la Malmaison. Napoléon est exilé .c'est la fin du songe impérial
.Pourtant les amours survivent en lettres de feu, en flots de courrier inimitable exaltant à jamais l'amour insensé du jeune Corse pour la Créole voluptueuse.
 La longue chaîne de bijoutiers-artistes et artisans de premier rang instaure au fil des chefs d'atelier ,
Joseph Chaumet en 1875 au 12 , place Vendôme.
Et perdure en 2016 grâce aux plus admirables collections aériennes et spirituelles, inspirées de la nature dans sa plénitude libérée !
 Un souvenir joyeux de Joséphine qui n'était heureuse qu'en respirant les senteurs de ses jardins romantiques ...
Ses" musées éphémères" réconfortent bon nombre de simples mortels dont les regards s'éclairent du rose exquis des topazes ou du bleu velouté des saphirs
Les "olympiens" russes ou asiatiques ont d'autres privilèges, qu'importe !
 On peut être heureux en se contentant de ces mots aussi précieux que les gemmes enfouies au secret de la terre.
Il suffit de rêver en s'enchantant de cet inestimable poème en prose envoyé à Joséphine par son jeune époux, Napoléon :
"Mon bonheur est que tu sois heureuse, ma joie que tu sois gaie , mon plaisir que tu en aies.Jamais femme ne fut aimée avec plus de dévouement , de feu et de tendresse."
L'amour fou est un diamant pur !

Sa flamme fait pâlir l'éclat des pierres, fussent-elles montées place Vendôme ...
A bientôt !
Lady Alix

.

                                                            Château de St Michel de Lanès
                                                         Cabinet St Michel Immobilier CSMI

samedi 19 novembre 2016

Contes du vieux château: Florence 1460 : le rêve de Côme l'Ancien

Florence se livre tout en se dérobant.
Ses merveilles se cachent souvent aux regards trop rapides;ses romans se chuchotent derrière les pierres bosselées de ses palais aux "fronts audacieux".
Via Cavour, un prince à l'habit d'or, sérieux de figure et droit comme une épée, dévisage ses respectueux visiteurs au fond de l'austère maison qui fut sienne. Lorenzo de Médicis grimpe pour l'éternité le chemin en lacets menant vers la Crèche... Il est beau comme un jeune dieu ou comme un Médicis ! Sur les murs de la chapelle familiale, un glorieux cortège s'avance entre falaises de roches blanches, animaux bondissants et buissons de fleurs.
Vous êtes au Palazzo Médicis et la tête vous tourne.
 Le temps se fissure, un tourbillon de clameurs, de chants de liesse et de plaintes en deuil accompagne de ses échos immatériels les pas lents des promeneurs. Vous passez sous les arches de la grande cour carrée et, sans le savoir, vous vous heurtez aux fantômes fidèles des gardes invisibles qui restent aux aguets devant les statues silencieuses.
Depuis l'horrible dimanche de Pâques du 26 avril 1478 qui vit le meurtre en pleine cathédrale du plus éblouissant dieu de la jeunesse que Florence ait engendré, Giuliano de Médicis, peut-être le palais se prépare-t-il à entendre le cri de guerre gravé en boules de pierre gris-bleu sur le légendaire blason familial: "Palle ! Palle !
Pourtant, cette noble maison n'a jamais eu, en ses débuts, l'ampleur lourde et la lugubre atmosphère d'une citadelle.
Sa vocation singulière fut décidée vers 1444 par Cosimo il Vechio, Cosme l'Ancien, le légendaire "Père de la Patrie". Loin de s'égarer dans les caprices fastueux des bâtisseurs de ces monuments démesurés et solennels qui couvrirent la ville à cette époque, le maître de Florence chercha une sobriété de bon aloi;une manière d'être et non pas de paraître.
Une maison aux allures patriciennes prouvant haut et clair le goût des Médicis. Un petit palais harmonieux ne se souciant nullement de proclamer la folle et sage ascension de cette "nouvelle" famille vers une richesse presque inconcevable à l'entendement des faibles mortels.
Quel homme talentueux choisir afin d'exalter une élégance robuste éminemment florentine ? Brunelleschi, le génial, l'audacieux, l'impétueux architecte du Duomo, et de ce navire aux flancs quasi monstrueux qu'est le palais Pitti ?
 Eh bien non ! En dépit de sa fervente admiration à l'égard de l'illustre "sauveur" du Duomo inachevé, Cosimo refuse ses plans ! il sait que, pour garder l'estime des Florentins, son palais se doit de rassurer ses partisans, clients et amis. Sa maison sera le miroir tranquille et modeste d'une vie tissée de joies simples, laborieuses et studieuses.
Travail,famille et patrie ? Une devise trop facile ! Cosimo est un banquier qui n'aime rien tant que répandre son or trivial sur les artistes raffinés et affamés peuplant Florence de leurs étonnantes chimères. Le grand commerçant ne se définit qu'en aidant la création dans tous les domaines effleurés de l'aile de la pure beauté.
 L'art console; le beau transcende l'homme ordinaire en être façonné de bonté, pétri de curiosité, fasciné par un idéal frôlant le divin.
Un doux rêveur cet extraordinaire Cosimo ? Que non pas ! mais le fondateur humble et passionné de l'humanisme florentin. Poussant ses principes fort loin, Cosimo, héberge les artistes qui lui plaisent chez lui, et secourt tous les florentins. C'est un mécène et un "prince" sans titre dominant Florence de sa poigne de diplomate éclairé.
A la surprise générale, l'architecte Michelozzo, au style classique, à la ferveur antique, sera l'élu qui fera surgir via Larga un gros manoir exigeant le sacrifice de tout un quartier déjà édifié. Quand on est un Médicis, on ne compte pas ! Révolution dans l'art de bâtir ? A priori ce palais arbore, en son rez-de-chaussée, les sempiternelles grosses pierres bossues qui font frissonner de terreur les âmes romantiques, flânant devant ces murs sinistres les soirs de lune ronde. Les étages promettent mieux: voici que la pierre s'adoucit ! la lumière s'engouffre soudain dans les rangées de hautes fenêtres, on a moins pitié des habitants confinés derrière le mystère des persiennes.
Toutefois, l'impression n'est guère plaisante, cet espèce d'énorme coffre-fort ne suscite pas l'envie de se faufiler vers ses trésors. Il faut prendre son courage en patience et tenter l'aventure.
Et, là, c'est le ravissement: aussi intense que bouleversant !
 Un sentiment subtil vous saute à la gorge en un battement de cils. Ce n'est plus un gros palais sans grâce, c'est une vaste et rayonnante villa romaine qui vous accueille comme vous le méritez.
 En vieil ami que l'on s'évertue à combler du bien le plus précieux qui soit: l'art inspiré de l'antique.Vous entrez ainsi dans une cour bordé d'un cloître, de belles colonnes vous apaisent l'esprit, les blasons Médicis courant à la manière d'une frise au dessus des arches vous plongent dans le plus profond respect.
Médicis ! ce nom devient concret ! Vous les voyez ces Médicis ! et ne craignez qu'une chose: leur indifférence.
 Mais non ! Ils ont pitié de vous ! Vous devenez "voyant", la loggia de jadis s'illumine du soleil matinal; on s'y presse, on gesticule, on s'exprime avec les mains, on vante ses gains, pleure ses pertes, fiance sa fille, avoue sa ruine.
Pensif sous les plafonds peints de fresques de sa bibliothèque, l'impassible seigneur Cosimo, maigre, brun, sec, le dos déjà voûté, l'esprit songeur sur ses livres rares, peut-être le Décaméron de Boccace, peut-être un ouvrage de Platon dont il a soutenu le traducteur, le jeune érudit Ficin,écoute ce vacarme; et ne dit rien...
Son travail l'accapare trop pour descendre se mêler à cette foule. Il a tant de projets ! tant de monuments à construire ! tant de querelles à apaiser.Tant d'amour pour ces Florentins irascibles, intenables, raffinés, violents, inventeurs, audacieux, jaloux et humanistes envers et contre eux-même parfois.
Or, ce puissant seigneur "éclairé" fonde de vibrants espoirs sur son Académie platonicienne, ce cercle d'amis redécouvrant avec un indicible bonheur les leçons de Socrate, l'accoucheur de vérité.
Cosimo de Médicis est habité par une brillante vision: Florence reprenant le flambeau de l'Athènes de Périclès, de Platon, de Xénophon, de Praxitèle et de Phidias !
Ces excités de Florentins le suivront-ils dans cette utopie ? Son fils Pierre, l'invétéré malade au jugement clair et à l'ambition mesurée peut-il comprendre ce rêve ? Qui sait si seul, son petit-fils, enfant si laid, si vif, tenace et passionné, ce Lorenzo intrépide que fascine le talent des artistes, la perfection en toute oeuvre, la bravoure en toute action, l'éclat du nom des Médicis dans toute affaire, peut-être ce jeune héritier portera-t-il à son apogée de gloire et de raffinement cette Florence à laquelle il s'est voué cœur et âme. Cette Florence qui doit régner et flamboyer comme le foyer de la civilisation européenne, plus qu'aucune autre citée !
Cosimo se penche du haut de son balcon vers le jardin croulant sous les jasmins; la vue de son Hercule, fier et solide dans sa niche imposante, le guérit de ses angoisses. Oui, il se fait vieux, qu'importe ! Ce qu'il a accompli, construit, palais, villas de plaisance, couvents, hôpitaux, tout lui survivra à l'instar de ce digne Hercule à jamais gardien de sa maison. L'esprit des lieux, souffle allègre, force protectrice,intuition humaniste, palpitera même une fois envolées ses collections d'objets somptueux ou ses livres inestimables. Et sous vos yeux déférents, Cosimo de Médicis se replonge dans les profondeurs agitées de son sommeil éternel.
Vous l'y abandonnez car vous avez d'autres soucis. Vous cherchez maintenant la prodigieuse fresque des "Rois Mages" dont chaque ami Florentin vous rebat les oreilles depuis votre arrivée en ville. Le prestige des Médicis défile dans la chapelle du palais.
Vers 1460, Cosimo suggère à l'artiste Benozzo Gozzoli de faire resplendir les images naïves de ce féerique hommage de l'épiphanie; délicate évocation d'un monde mi-inventé, mi-réel, promenade harmonieuse peuplée d'êtres beaux à miracle arpentant les collines d'une Toscane éthérée, vers la Crèche défendue de remparts célestes.
 Vous cherchez et vous vous égarez !
La chapelle est-elle un mirage ? Vous revenez au jardin clos, un poème s'ébauche sous votre front fiévreux, vous déambulez sur les allées pavées de mosaïque; ce palais rend-t-il ivre ? Voilà que les sveltes beautés de marbre s'animent, voilà que vient une Madone au voile diaphane,une égérie de Botticelli,le front éclatant du feu d'un rubis, un serpent de diamants mordant son cou.
 Vous ne connaissez qu'elle, "l'étoile de Gênes." Son nom flotte sur vos lèvres, vous l'appelez, elle s'échappe, rieuse, enjouée, gracile; vous criez ! désespoir ! le silence vous répond.
 Le mur des siècles s'est refermé.
Il ne reste plus qu'à vous conduire en visiteur civilisé. Un guide très officiel se matérialise soudain ! agacé de votre désarroi, le voici tendant une main éloquente en direction de cette chapelle que vous alliez manquer.
 "Prego !" prononce-t-il assez sèchement.
Vous obéissez à ce cerbère sans protester; vous avez du goût et du cœur, qu'attendez-vous au juste ? Un vertige Stendhalien ?
Ou êtes-vous mort de peur ?
 L'ombre amère du désenchantement vous titille... On vous a tellement vanté ces fresques déroulant la somptueuse chevauchée des Médicis, rois Mages de Florence.
 Allez-vous fuir ? Non ! Cosimo sur son nuage ne vous le pardonnerait pas ! et, au dehors sa vengeance face à votre lâcheté ne tarderait guère: une pierre du palais tomberait comme par enchantement sur votre insignifiante personne. Les dés sont jetés: vous y êtes, juste à l'orée de ce qui doit ressembler au paradis.
 Que découvrent vos yeux de mortel en balade ?
Un séjour enchanteur s'élançant du pinceau plongé dans la tendresse amusée d'un artiste traquant les détails charmants, insolites, apaisants. La minutie exquise de Benozzo Gozzoli joue avec la bonne tête d'un âne feignant de ne pas prêter attention à son maître agacé; ou encore, brosse la mine perplexe d'un archer sur le qui-vive; et comment ne pas fondre d'attendrissement à la vue de cet altier canard au col vert hautain s'ébrouant dans sa mare, sans écouter un mot de l'hymne chanté par une armée d'anges aux tuniques bleu poudré d'or, vert amande et rose aurore ?
Les nuées enlèvent d'autres créatures dont les ailes crépitent au rythme de leur joie éperdue ! Bonheur: le plus charmant prince du monde porte l'étendard de sa jeunesse !
Il incarne le jeune roi Mage, Balthazar, par contraste avec les deux sévères cavaliers étalant leur superbe sur les autres pans du mur. Les trois âges de nos brèves existences, le jeune prince, sans doute Lorenzo de Médicis, étrangement blond, les traits ciselés, la silhouette élancée (l'artiste le voyait-il comme l'ange gardien de Florence ?): puis, son aîné, le Roi Melchior, forgé à l'instar de son glaive par les combats de la vie et les égarements de l'amour, tirant son charisme de sa volonté et de son honneur, fort de sa science de l'inconnu et de sa connaissance des hommes, maître de lui comme de beaucoup de choses...
Enfin, barbe fleurie et velours grenat, le Roi Gaspard, vénérable aïeul remarquable de noblesse; abîmé dans sa méditation, raidi par sa volonté de s'incliner devant le fils de Dieu avant de dévider le dernier fil de son destin. Tous trois, le chef surmonté d'imposantes couronnes, escaladent les verdoyantes collines, cheminent entre les fleurs et les fruits, les cyprès lumineux, les verts pâturages; tracent la route à une cohorte de beaux gentilshommes juchés sur de splendides montures fringantes, de serviteurs joyeux aussi minces que les lévriers tirant sur leurs laisses, et de fantassins coiffés de rouge écarlate.
L'étoile de Bethléem, tout là-haut, irradie la Crèche, et veille sur Florence...
Bouleversé par la suavité immatérielle de cette oeuvre étincelante et fraîche, vous avez envie de crier "merci" au vieux Cosimo qui, étonné, loue le ciel de rencontrer un visiteur, surgi de ce temps barbare de 2016,  assez courtois pour lui témoigner un hommage aussi franc et ingénu.
Hélas ! il faut quitter ces délices, dire adieu aux citronniers, accepter que le palais soit ancré dans le présent et soumis à des horaires contraignants (sous le nom de palais Riccardi-Médicis, il abrite la préfecture !) accepter son époque et une Florence ondoyante cachant, sous sa placide allure de musée de la Renaissance Italienne, sa fougue de citée indépendante et fière.
A l'instar de son fleuve roulant de brusques colères sous ses flots languides.
Connaître Florence en un fugace séjour ? Impossible ! Il faut revenir et l'aimer à chaque fois davantage !
 On a beau faire, Florence vous reprend toujours. Ce n'est pas une simple ville d'art.
On y sent comme une harmonie de la nature et des choses, une légèreté spirituelle descendant sur les ailes de la brise vespérale, une promesse de bonheur...

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Florence, Palais Riccardi-Médicis,
fresque de Benozzo Gozzoli:
Le jeune roi Balthazar

                                                            Château de St Michel de Lanès
                                                         Cabinet St Michel Immobilier CSMI

samedi 12 novembre 2016

Contes du vieux château : Lord Byron, héros grec et poète engagé : de Céphalonie à Missolonghi


La Grèce a été farouchement défendue, tout au long de sa lutte pour son indépendance, par ses nobles coeurs de Pallikares dont les noms sonores, Marcos Botzaris, Nikitas Stamatelopoulos, Mavrokordatos, Makris ou Drakoulis pour ne citer que les plus célèbres,sont redits pour l'éternité par les vagues de la mer violette.
Un seul nom tinte depuis 1824 de façon singulière, un nom "barbare", ce terme désignant les peuples lointains aux temps antiques, un nom appartenant à un ce peuple dont l'ambassadeur Elgin, en 1801, pilla les marbres du plus beau temple qui soit en ce monde.
Or, ce nouveau barbare venu d'Albion, d'abord en 1809, puis en 1823, ce grand seigneur anglais gâté par les Dieux décida de combattre avec les Grecs et paya de sa vie son serment d'honneur et de bravoure.
Lord Byron, adulé des femmes, honni des bien-pensants, adoré des âmes romantiques, ami de Shelley ,ennemi des humains ordinaires, homme solitaire cherchant une quête, une cause, une action d'éclat et un panache éclairant son destin de génie glorieusement incompris, se métamorphosa vers le trentaine en héros grec.
 Le libertin prétentieux, marchant avec une désinvolte délectation sur un monceau d'aimables cœurs en miettes, rejeta ses mesquines poses sentant un Narcisse de théâtre.
 Le monstre accusé par l'indigné "gentry" de nourrir certains sentiments assez vifs envers sa demi-soeur Augusta au point d'abandonner sa lassante épouse légitime, le plus scandaleux dandy d'Angleterre, s'offrit à lui-même sa propre rédemption.
Sa légende le pare désormais de la noblesse vaillante de ces immortels guerriers Achéens que le poète Homère lançait dans le tumulte des combats sous les remparts de la "sainte ville de Troie".
 Il fut hélas puni de façon amère: au lieu de succomber les armes à la main ainsi que l'exige la tradition épique, lord Byron fut anéanti par une fièvre maligne en janvier 1824, à Missolonghi, la citadelle grecque, (ville martyre en 1826), qu'il avait juré de défendre contre l'envahisseur turc jusqu'à la mort.
Son ardeur éclate sous le pinceau des peintres qui prolongèrent sa bravoure sur de somptueux tableaux, exaltant cette volonté absolue de résistance inondant l'âme grecque.
 Ces hymnes sur toiles perpétuent à la fois le désir exacerbé de légitime indépendance d'un peuple et le geste chevaleresque d'un poète bercé par les chants de l'Iliade et les aventures erratiques de l'Odyssée.
Il suffit de regarder l'oeuvre de Ludovico Lipparini pour se sentir envahi d'émotion indicible devant ce beau et jeune Byron superbement vêtu en pallikare, entouré d'une foule de grecs éblouis, jurant sur la croix de donner sa vie pour l'indépendance, du haut du tombeau du héros Marcos Botzaris.
Or, cette emphase romantique est légèrement trompeuse: le dévouement de lord Byron resta aussi remarquable que lucide. Parfois cinglant à l'égard de ces grecs qui se perdent en querelles inutiles, toujours étonnant de franchise et de courage cet homme d'action suscite bien plus d'admiration que de nostalgie facile.
Dans quel état d'esprit pouvait être lord Byron au moment où il rejoignit le romantisme concret des comités de l'Europe philhellène ?
 Il semble avoir été le premier à ressentir cet humanisme qui en 1825 incitera Chateaubriand à publier son vibrant "Appel en faveur de la cause sacrée des Grecs".
Le sort des révoltés grecs le hantait depuis les massacres odieux de l'île de Chio en 1822, et sans doute en 1821 l'exhortation tragique et sublime à la rébellion de l'archevêque de Patras, Germanos, élevant sur la foule des fidèles abasourdis, le poignant symbole du drapeau grec menacé.
Byron songe au guerrier spartiate Léonidas attirant les Perses dans le piège du défilé des Thermopyles au prix de sa vie et de celle de ses compagnons afin de sauver la liberté de la Grèce.
Autrefois, jeune enfant excessivement brillant, il écrivit dans cette langue inégalée, cet instrument admirable de précision et d'élégance qu'est à jamais le grec ancien ,sur son cahier d'écolier, la sobre et implacable épitaphe du poète Simonide de Keos (VIe avant J-C):
"O étranger , va-t-en dire à Lacédémone
Qu'ici nous sommes morts, fidèles à ses lois."
Byron comprend qu'il est un héritier de cette force d'âme exemplaire surgissant de l'abnégation antique. Sa mémoire égrène les vers chantés en hommage aux jeunes soldats déchiquetés par les Perses tentant d'avancer dans le sinistre amas rocheux des Thermopyles; ce poème, c'est la Grèce éternelle affirmant son irréfragable foi en la mère-patrie; c'est la mémoire du héros Marcos Botzaris tombé en 1823 à Missolonghi,
"Ceux qui sont morts aux Thermopyles
Connaissent la gloire et le sort le plus beau ,
Car ils ont des autels et non pas des tombeaux,
Non pas des larmes, mais des hymnes,
Nos louanges au lieu de nos gémissements,
Et la rouille ou le temps qui toute chose mine n'attaque pas ce monument."
Pourquoi vivre ? Pourquoi mourir ?
 Le lord impavide se résigne à une cruelle vision:
 la mort inutile de son ami, le poète Percy Shelley, emporté par les vagues voici quelques mois, après le naufrage de son fragile bateau, l'Ariel (que Byron s'entêtait à nommer "Don Juan" pour bien marquer l'évanescent Shelley de son influence mauvaise !) au large de Livourne.
 Le corps du poète avait été brûlé sur la grève, à la mode des anciens grecs, et Byron, cachant son émotion extrême sous sa mine arrogante, s'était demandé si les morts renaissaient de leurs cendres...
Le voici, au cœur de l'été 1823, cinglant vers Céphalonie. Il renoue avec une Grèce enfouie au fond des siècles qui palpite en son âme comme un amour perdu; il retrouve aussi la Grèce de son premier voyage, en compagnie de son complice et ami Hobson, à l'aube de ses vint-trois ans.
 Un  gouffre de treize années s'était refermé sur le "Pèlerinage du jeune Childe Harold ", ce long poème aux lueurs d'orage inspiré par deux ans de quête de l'Albanie à  Constantinople, de l'Asie Mineure à la Grèce.
Byron n'éprouve peut-être plus la fougueuse passion de sa jeunesse, mais il garde la même ferveur envers cette Grèce maltraitée, spoliée, envahie, opprimée. Son propre chant le réchauffe, il est encore celui qui s'écriait:
"O Grèce ! bien froid est le cœur de l'homme qui peut te voir et ne pas sentir ce qu'éprouve un amant sur le corps de celle qu'il aima."
Or, cette fois, l'heure n'est plus à l'envolée lyrique, il faut combattre,poser la plume, et saisir l'épée. Et avant toute considération, distribuer à bon escient l'argent récolté par le comité philhellène anglais à des grecs fort divisés entre eux. Un casse-tête inattendu qui déçoit et fatigue Byron, pourtant prêt à vendre un château afin de pourvoir aux frais des troupes rebelles.
Son ami Trelawney se permettra des jugements assez durs à l'égard de certains chefs préférant la saveur de l'or à la noblesse de la lutte ... Byron confie à son "Journal de Céphalonie"son humeur partagée entre fataliste amertume et amour invétéré envers la beauté de la Grèce.
A l'aube de ses trente-six-ans, le poète resplendissait lui aussi. Immortalisé par le peintre Luigi Trecourt comme un splendide et sombre rêveur, le regard fixé sur de les orages, lord Byron incarnait la  séduisante chimère des plus dangereuses épopées. Le Byron idéal et, par là, imaginaire.
Le Byron de chair et de sang prouve sans cesse un caractère emporté, dur, impatient. Il accumule les gaffes diplomatiques, se laisse aller jusqu'à traiter les moines déferlant en son honneur du monastère le plus escarpé d'Ithaque d"infects idiots "et leur pauvre abbé de" vieux pleurnichard". Son ami Edward John Trelawny nous le montre comme un homme enclin à l'enlisement, à la solitude, et qui renâcle soudain à poursuivre sa mission: livrer armes et or aux rebelles de Missolonghi. Au contraire ! Byron se trouve parfaitement bien à Ithaque !
"Dans toute la Grèce ou ses îles, il n'est rien de plus délicieux. Si cette île m'appartenait, je briserais mon bâton, j'enterrerais mon livre. Quels fous nous sommes tous !"
Le désir d'action reprend heureusement le lord contemplatif à ses heures; avant de repartir, il s'occupe utilement: "je fis parvenir au résident d'Ihaque la somme de deux cent cinquante dollars pour les réfugiés établis sur l'île, et j'avais acheminé à Céphalonie une famille moriote totalement abandonnée et lui avais procuré une maison et des conditions de vie convenables sous la protection de MM.Corgialeno, riches négociants d'Argostoli."
Byron écrit une lettre à Marcos Botzaris et en reçoit, détail poignant la réponse le lendemain-même de sa mort au combat. Il en profite pour rendre un hommage assez cinglant à ce héros:
"il pérît avec une réputation de brave soldat et d'homme de bien, deux qualités que l'on ne rencontre pas toujours réunies, ni même séparément."
Quelle sincérité à la limite de l'insolence !
Byron se console de la confusion régnant entre les factions grecques, et surtout des mauvaises nouvelles venant de la santé de sa fille, en s'imprégnant de la douceur de Céphalonie. C'est à cette source qu'il puisera la force d'aller soutenir par tous les moyens la cause des insurgés. Il retrouve le désir de se confier à son journal; quelques brèves lignes douées d'une puissance d'évocation troublante montrent un homme aux antipodes de sa réputation d'égoïste indifférent; un homme sensible que la beauté apaise:
"J'ai appris que ma fille allait mieux, et depuis lors, qu'elle va bien, auquel cas pour moi tout va bien. Je suis à la fenêtre de mon logement dans ce beau village, et la sérénité tout à la fois paisible et fraîche d'un beau clair de lune transparent qui révèle les îles, la montagne, la mer, avec la Morée dont j'aperçois les contours à l'horizon entre le double azur des vagues et des cieux, m'a suffisamment calmé pour me permettre d'écrire..."
Le poète aventurier reprend la mer ! Il débarque en  janvier 1824 à Missolonghi; en apparence les Turcs ont abandonné leur siège... Pourquoi ? Personne ne le sait. Les rebelles Souliotes ont besoin d'être guidés, encadrés et payés ! Byron jette l'or, son or personnel, dans cette bataille de la formation militaire, s'exalte, s'enivre, s'épuise et échoue... La maladie le gagne; affaibli par une fièvre tenace, Byron devine que sa fin est proche. Il écrit à la rage son ultime poème, trempé de colère, de mélancolie, d'amour impossible, de fierté d'homme accomplissant son destin avec panache, d'orgueil de se savoir immortel. Nul ne peut lire cet adieu, tiré des véhémences d'un cœur noble acceptant une mort précoce et injuste, sans se sentir bouleversé au fond de l'âme, sans que les larmes coulent, sans porter le deuil d'un ami secret...

"On this day I complete my thirthy-sixth year "

"Tis time this heart should be ummoved,
Since others it hath ceased to move:
Yet, though I cannot be beloved,
Still let me love !

My days are in the yellow leaf;
The flowers and fruits of love are gone
The worm, the canker, and the grief
Are mine alone !

The fire that on my bosom preys
Is lone as some volcanic iscle;
No torch is kindled at its blaze
A funeral pile !
..............................................................
If thou regrett's thy youth , why live ?
The land of honourable death
is here : up to field and give
Awway thy breath !

Seek out , less often sought than found,
A soldier's grave for thee the best;
Then look around, and choose thy ground,
And take thy rest."

Byron homme d'action anglais, est mort en poète grec: la lyre à la main et laissant son chant dernier s'élever vers les dieux... Il est maintenant sur l'Olympe, banquetant et riant; chantant encore pour ces mortels qui ne l'oublient pas et l'aimeront à jamais !

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La panouse

Lord Byron prêtant serment sur la tombe de Markos Botzaris.

                                                            Château de St Michel de Lanès
                                                         Cabinet St Michel Immobilier CSMI

dimanche 6 novembre 2016

Contes du vieux château: Vacances florentines pour Alexandre Dumas !


Cet hédoniste au caractère de gros chat gourmand  d'Alexandre Dumas  avait vers 1837 certaines raisons de goûter aux délices des vacances italiennes.
A cette époque, votre  précieuse inspiration, si vous étiez un des romanciers en vogue, exigeait que vous soit financé un exil élégant, habillé de votre solide passion historique ou de votre  immodéré ferveur artistique. Les clefs des ventes en librairie passaient par la générosité de votre éditeur, la foi en l'amitié littéraire de votre cercle rapproché( acceptant de mettre la main au porte-feuille ), et bien sûr , l'originalité pittoresque de vos projets.
L'Italie ravissait les âmes romantiques , Florence enlevait les imaginations des jeunes filles de bonne famille tout en piquant la curiosité des provinciaux intrigués par la dolce-vita des mondains en villégiature .Va pour la Toscane !
Après une première équipée tournant court , l'argent ruine à toute allure les écrivains avides de nouveautés,le voyage subventionné
 commence . Alexandre , la main dans celle de sa belle compagne Ida,une Vénus rebondie dardant d'autoritaires yeux bleu lagon sur son "fiancé",avec en guise de bagages son ami et peintre Jadin  (sans oublier le turbulent petit chien de cet homme sympathique )se prépare à descendre vers Florence . Tous se croient  des aventuriers lancés à la recherche d'une civilisation perdue !
L'argent nécessaire au génial écrivain  a été réuni de justesse ; même l'impécunieux poète Gérard de Nerval a pris le risque de parier sur un futur chef d'oeuvre littéraire .
Il est temps de prouver ce que l'imagination vous a fait dire de façon éclatante et sonore!
" Florence , à nous deux ", s'exclame l'impétueux Alexandre .
Embarqués à Livourne dans une diligence conduite d'une main capricieuse par un cocher se prenant pour le descendant direct d'un enragé condottierre , les amis moulus et harassés ,sont loin de ressentir le célèbre étourdissement stendhalien !
 Le confort avant toute considération sentimentale ou ésthétique !
L'ami Dumas adore cultiver la folie des grandeurs ; ce qu'il lui faut tout de suite c'est un palais ! logis idéal afin d'attiser l'inspiration souvent rétive du génie des intrigues historiques qu'il se pique d'être. Un palais avec une atmosphère sentant son Cosme l'ancien ou son Lorenzo le Magnifique : abondance d'angelots dodus au plafond ,un brin de volupté
dans les lits à tentures brodées,un nuage de poésie s'élevant des jets d'eaux de bavardes fontaines et , bien entendu , le loyer le plus modique de Florence .Alexandre a les yeux plus gros que le ventre. Mais sa bonne étoile ne le quitte jamais . Il a la chance incompréhensible à notre époque de se lancer à la conquête de Florence au coeur de ce qui était alors la morte saison : le début du mois de juin !
En ces temps reculés , au lieu de déborder de touristes torturés par les coups de fouet de la canicule , la citée des Médicis sommeille à l'abri de ses persiennes cachant amours paresseuses et songes creux . Les nuits s'étirent autant que les jours dans une attente placide de l'automne qui verra le retour de la manne florentine : les exilés élégants,russes, anglais , parfois français , fuyant avec un égoïste ravissement les mornes et pénibles  frimas de leurs pays.Autant dire que ce Français est accueilli à l'instar d'un demi-dieu !Veut-il un palais ? Le voilà ! on ne refuse rien à un homme assez aimable pour distribuer ses pièces d'or avec une sagesse suggérée par les fantômes des Médicis :
"Moyennant deux cent francs par mois , nous eûmes un palais , un jardin , avec des madones de Luca della Robbia, des grottes en coquillages , des berceaux de lauriers roses , une allée de citronniers , et un jardinier qui s'appelait Démétrius."
L'ami Dumas récolte ainsi la paix du foyer ; la belle Ida adopte le mode de vie des Florentines , chaise-longue toute la journée  et bals nocturnes chez les rares aristocrates ouvrant leurs palais .
Son amant est libre d'arpenter Florence de l'aube au soir ; libre comme un collégien dont il possède l'énergie , l'enthousiasme et la langue acérée .Florence reçoit alors quelques sarcasmes mordants qui étonnent par leur alacrité . La bienveillance de l'écrivain corrige souvent son ironie , mais tout de même...On est loin de la ferveur ivre de Stendhal! L'insolent Alexandre se moque d'emblée de l'inertie générale :
"le premier besoin du Florentin , c'est le repos. le plaisir même , je crois , ne vient qu'après ,et il faut que le Florentin se fasse une certaine violence pour s'amuser ."
Toutefois une catégorie de la population travaille contrainte et forcée sans arrêt ;dans une citée où les églises abondent : pas de pitié pour les sonneurs de cloches !Vraiment , s'angoisse l'ami Dumas :
"je ne comprends point comment les pauvres diables ne meurent pas à la peine ." C'est , ajoute-t-il avec un humour fort sombre , "un véritable métier de pendu ."
L'ami Stendhal s'était plongé comme un saumon remontant le torrent natal au sein de la Florence médiévale . L'ami Alexandre s'étonne de la manie immobiliste figeant la moindre réforme ,et plus, encore ,de l'absence remarquable" d'esprit commercial" de cette ville qui bâtit sa renommée sur son habileté  à commercer avec toute ce que la planète comptait  autrefois de civilisé .
De tout son coeur généreux , le voici plaignant les efforts inutiles du grand-duc , unique Florentin à croire aux bienfaits de l'action ! Ne va-t-il ,ce libéral éclairé de souverain, jusqu'à élever au titre de prince de San-Donato un investisseur russe , le sieur Demidoff , homme assez vaillant et inventif pour créer une manufacture de soieries ?
C'est la récompense sans pareille et hautement appréciée que l'intègre grand-duc propose aux étrangers capables de mettre en valeur le sens du négoce ancestral . Hélas ! ce doux chant des sirènes n'entre guère dans les oreilles locales ...Pire ! les élèves boudent eux aussi toute louable modernité ; aucun espoir à attendre de ces âmes rétives qui "refusèrent de suivre les cours des nouveaux maîtres."
Florence suit un rythme singulier ; celui instauré une fois pour l'éternité (du moins cet heureux mortel se plaît-t-il à le croire )par son ministre des Affaires étrangères  et secrétaire d'état, sorte de tyran de l'ombre ,qui assassine avec délectation les cerveaux novateurs de ces mots étourdissants de bon sens:
"Il mondo va da se!" c'est fort juste : "Le monde va de lui-même ! Pourquoi essayer de le changer ?
Cela passerait presque pour une faute de goût !
Cette saine philosophie s'éparpille dans l'air toscan  et flotte bien au delà du mont Oliveto ,et des amandiers bordant les collines . Mais Alexandre ne s'en contente pas ! Ce n'est pas un Florentin , c'est un Français ,et qui plus est , un écrivain dans la terrible obligation d'écrire quelque chose de neuf sur cette si vieille ville !
 Il marche en tout lieu, de Santa Croce à Santa Maria Novella ,des Cascines à la porte del Prato, les yeux flamboyants d'excitation , les nerfs tendus . Il observe , écoute , hume le vent chaud , guette les pas des rares passantes, prestes et discrètes ,s'égare ,tourne en rond  et soudain , agacé , s'interroge : quelle folie s'empare-t -elle des horloges devenues cascades désordonnées ?
"Elles sonnent la même heure pendant vingt minutes .Un étranger s'en plaignit à un florentin : Eh ! lui répondit l'impassible Toscan , que diable avez-vous besoin de savoir l'heure qu'il est ?"
D'ailleurs , il est bon de se laisser glisser sans heures au sein de l'été Florentin en 1837 : nul ne songe à rien d'autre qu'à une promenade protégée des plus majestueuses ramures :" chênes verts , pins , hêtres garnis d'énormes lierres sont les plus beaux que j'aie jamais vus "avoue l'ami Alexandre pourtant peu féru de botanique . Le voici prenant l'allure d'un noble sénateur, en train de longer l'Arno sur les " Cascines d'été" .Cela tient de la foire familiale et du paradis terrestre.
On y croise des lièvres , des faisans, des pères de famille , des fleuristes qui font voler leurs bouquets vers les galants , des voitures remplies de jolies femmes le grand-duc , son épouse belle à l'instar d'une statue classique , ses jeunes enfants échappant avec entrain à leurs gouvernantes et, au ravissement  de la population, les deux princesses du pays à la candeur allemande, filles aînées du souverain.
Alexandre Dumas est tout saisi d'admiration jalouse devant ce  noble exemple de monarchie populaire ! Inconcevable ,hélas , à Paris où le roi et sa famille n'oseraient certainement pas mettre un bout d'éventail et un pommeau de canne au dehors des Tuileries de crainte d'un attentat ...
C'est l'été ;  pourtant un  danger rode autour des joies paisibles de ce Florence réduit à la simple expression d'un grand-duc et de ses sujets . Un traître embusqué ? Presque ! Une calamité vaporeuse noyant la prairie des Cascines : le brouillard qui panique son Florentin ! et pour cause :
"Ce brouillard , c'est la source de tout mal  ; il referme la goutte , les rhumatismes , la cécité; sans ce brouillard , les Florentins seraient immortels ."
Heureusement , une bonne fée est chargée de la mission quasi divine de ragaillardir les élégants s'ennuyant ferme sous les ardeurs de la canicule Florentine : cette créature adorable , la comtessa Nencini , n'a de toute façon pas le choix : qu'elle le veuille ou non , le tout -Florence a décidé qu'en son palais, les quatre dimanches de juillet  on chanterait , danserait et s'amouracherait !Toutefois, malgré la bonne volonté générale , l'été s'étire comme un long bâillement.
Vivement novembre ! Florence vers 1837,secoue son spleen et s'ébroue dans la cohue cosmopolite dilapidant allègrement son or étranger sur tous les monts de Toscane. Cet engouement semble bizarre à notre époque où l'on s'oblige à suivre la tyrannie des guides et les conseils abondants des sites touristiques ; une villégiature Toscane de novembre à mars ? Ciel ! c'est le naufrage sous des trombes d'eaux ! le rhume assuré , la débâcle totale par un temps glacé avoisinant , nous frissonnons de tous nos membres , les 11 ou 15 degrés au coeur de janvier !
Pire encore : le soleil d'hiver,en dépit de ses rayons  revigorants ne réchauffe que selon ses humeurs . Ces prédictions autoritaires s'adressent à des mortels démunis de sens critique personnel , d'endurance de romantisme ,de goût pour la solitude inspirée , et d'amour des façades Florentines . Englouti sous la chaleur en juillet , on se promène en aveugle, Florence devient vite une masse de pierres rébarbatives .
 Au contraire , c'est sous la pure lumière de décembre que chatoient marbre blanc et serpentine verte
sur les éblouissantes façades de San -Miniato al Monte , que les statues de la loggia dei Lanzi prennent vie , que les ruelles ,les places ,les palais, les jardins racontent une histoire cruelle, sublime et secrète aux audacieux se moquant bien de quelques fraîches ondées .
Les visiteurs de l'an 1837 rivalisaient de bonne humeur et d'appétit de plaisirs ! L'ami Dumas renoue avec la societé qu'il adore et dont il se passe avec peine .le voici à pied d'oeuvre au théâtre de la Pergola . Il frétille de bonheur entouré des plus belles femmes portant leurs plus jolies toilettes et sa verve pétille :
 "Tout ce qu'il a de Florentins ou d'étrangers dans la capitale de la Toscane , du mois d'octobre au mois de mars ,a une loge à la Pergola ; c'est une chose dont on ne peut se dispenser . Mangez chez vous du macaroni et du baccala , personne ne s'en occupe , c'est votre affaire ; mais ayez une loge à l'un des trois rangs nobles , c'est l'affaire de tout le monde ."
Cette fameuse loge ne coûte pas cher, affirme, avec une délicieuse hypocrisie, notre dispendieux écrivain . Et, elle est indispensable ! les spectacles sont-ils si relevés , si magnifiques ? Que non pas ! Tout le monde s'en moque ! le vrai spectacle , ce sont les spectateurs !
Et que regardent-ils de leurs yeux avides ? Que jugent-t-ils aussi ? Les femmes !
Le combat fait rage !  Quelles sont les forces en présence ? "les "Françaises,, avec leur élégance simple (l'ami Dumas est un patriote !) ; les Anglaises, avec leurs plumes et leurs robes aux couleurs voyantes (déjà !); les Russes ,avec leurs rivières de diamants et leurs fleuves de turquoise ( le faste inouï des Russes est aussi éternel que les diamants !)."
Qui l'emporte à votre avis ? La victoire absolue est enlevée par les Florentines !
 Quoi de plus normal ? Dans leurs palais somptueux , ces nobles raffinées règnent sur un amas de pierreries historiques et de tissus dignes des princesses de la Renaissance . C'est la victoire de l'ancienne magnificence sur l'éclat sans gloire des nouvelles fortunes , c'est la revanche de Florence sur ces curieux arrogants venus profiter de ses bienfaits ...
 L'ami Dumas reçoit cette leçon au visage . Du coup,
il se ravise , oublie ses sarcasmes faciles , pousse les portes des églises et palais , et ranime de ses évocations dramatiques les plus fols épisodes de la Florence éternelle .Sa baguette de magicien de l'aventure historique réveille traîtres , mécènes , amants sacrifiés , artistes hallucinés de génie , et ce Père de la Patrie que reste, pour les siècles des siècles, Cosme de Médicis .
Son éditeur soupire de bonheur , ses amis de soulagement , et ses lecteurs continuent à trembler , sourire , rêver .
Comme le monde serait triste sans l'ami Alexandre Dumas et ses récits bouillonnants d'héroïsme et de folies !
Ses "Impressions de voyage" sont le meilleur remède aux sombres humeurs d'automne et à la dépression d'hiver ...
A bientôt ! Puissiez-vous être heureux à San Miniato al Monte un matin d'hiver ...

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
Sandro Botticelli: La Naissance de Vénus
Florence, Galerie des Offices

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