jeudi 28 avril 2016

L'amour à Londres ou l'histoire d'un rendez-vous

Les romans courts sont souvent dévorés par un feu couvant sous des cendres à peine tièdes.
"Un soir à Londres" de Michel Mohrt, (corsaire des Lettres Françaises, académicien ayant rejoint le royaume des Ombres en 2011 en laissant le sillage de sa"Prison maritime") retrace avec une cruelle subtilité les aléas du sentiment entre deux êtres qui se connaissent depuis longtemps et jamais n'osèrent se dévoiler.
Le récit se méfie autant de l'impudeur de l'âme souffrante que ses héros ne redoutent  l'âpreté des passions. L'angoisse règne sans pitié jusqu'à la dernière seconde: sauvetage in extremis ou naufrage complet des illusions ?
Cela pourrait ressembler à une pièce signé Marivaux; mais, à Londres, dans la pénombre d'un club fermé au vulgaire, l'humeur est moins gracieuse, les aveux moins prestes. Entre les tentures de velours grenat les mots sombrent dans une gravité qui n'annonce rien de bon.
Et pourtant, embusqué à côté des lourds fauteuils de vieux cuir, l'amour encore vif attend en silence. Veilleur rusé, il attise les retrouvailles entre ces amis-amoureux cherchant à combler le désir de l'attente par l'espoir d'une seconde chance.
Emportera-t-il sa victoire quand poindra à l'aube, après les interrogations nostalgiques d'une nuit indécise, la lumière irisée des éternels recommencements ?
Ce roman a la coquetterie d'en dire peu afin d'en suggérer beaucoup; l'intrigue avance sur la pointe des pieds, livrant avec une savante désinvolture d'infimes détails qui vont vite resplendir comme de noirs soleils.
Tout d'abord, voici le héros en titre, Martin, un français qui ne se sent heureux qu'à Londres. Ou du moins dans un Londres qui s'effrite à une allure angoissante. Seul son club reste un roc immuable: une enclave datant du siècle des grands écrivains Trollope, Dickens ou Thakeray, un lieu sacré, nourri d'esprit discret et hiératique; et fortifié par la conviction ancienne en la suprématie morale du gentleman britannique sur le monde entier.
Ce club, Martin, n'y est pas revenu depuis la disparition extrêmement bizarre de son ami de garnison Chris de Saint-Lambert, perdu en mer, trois années auparavant. Perdu en mer, perdu aussi de vue par Martin pendant six ans après la seconde guerre mondiale, le temps peut-être d'accepter le mariage de son ami avec la belle anglaise Victoria. Perdu définitivement ou non ? Nul ne sait si Chris réapparaîtra un jour...
Que fait Martin ce soir dans ce club où justement cet ami de si longue date l'avait introduit ? Court-il sur les traces d'un fantôme ? Ou veut-il au contraire exorciser une bonne fois pour toutes l'amertume qui lui sert de compagne depuis l'anéantissement de son paradis d'avant guerre: la Côte d'Azur, la fameuse Riviera tant aimée des anglais raffinés, au large des îles d'Hyères. Un petit monde cosmopolite, paré de fantaisie amoureuse et d'élégance aristocratique, un cercle de gens connus et d'officiers à beaux noms, s'ébattant autour de la Villa Amelia.
 Ce domaine englouti sous les bougainvillées était à cette époque bénie des dieux de l'opulence, la propriété  de la très dévergondée Lady Hamil.
Héroïne de roman de gare ou d'espionnage, cette sulfureuse grande dame avait imposé son choix: Chris ! Mais cette domination s'était retourné contre elle quand son jeune amant s'était donné la singulière liberté d'épouser sa propre fille, la ravissante Victoria...
Une situation de vaudeville français pour un mariage anglais !
Martin se souvient  des détails absurdes ou émouvants  de sa vie de témoin soumis et passif, lui, l'inconnu, l'humble ami du brillant et insupportable Chris, le corsaire, l'aventurier auquel les femmes s'offraient, et qui avait décidé d'épouser Victoria, si jeune, si naïve; cette amoureuse qu'il n'aimait pas autant qu'elle le méritait.
Défi ? Moquerie ? Vengeance ?
 La meilleure façon d'outrager la mère de la jeune fille, cette Lady impérieuse qui avait réussi à le transformer en animal domestique ?
Les heures disparues bercent comme une houle le pensif Martin qui fortifie sa nostalgie  en avalant whisky sur whisky; en échangeant des propos décousus avec les membres aussi respectables qu'absolument décatis de ce club peuplé d'ombres évoluant dans les abysses du passé; en patientant les yeux fixés sur le rideau de velours rouge, (surprenante teinte dans un milieu compassé  où l'on" assassine" les députés travaillistes, en buvant voluptueusement force lampées de vieux whisky !) masquant la porte d'entrée.
Victoria viendra-t-elle ?
 Et si elle vient, si elle dissout de sa chaude présence les épines du passé, que lui apprendra-t-elle de l'avenir ?A-t-elle compris l'acuité de leur lien de jadis ? S'est-il imaginé la vérité de leur ancienne complicité amoureuse ?
Martin sent que les trois whisky passent mal, sa tête tourne, son espoir chavire, et Victoria sort du rideau grenat. Les choses sérieuses commencent !
Ce n'est plus une chimère romantique qui l'étreint de ses bras inconsistants, c'est une grande anglaise brusque, au ton agressif, qui sans ambages s'exclame:
"Quelle drôle d'idée de m'avoir invitée ici ! Il y a des endroits plus distrayants à Londres..."
En dépit de sa maturité, Victoria éclate de beauté, irradie d'insolence et de santé; et pourtant...
Cette assurance ne résiste guère à l'atmosphère subtile s'instaurant entre les deux amis d'autrefois. Martin comprend aussitôt que cette magnifique créature joue la comédie que l'on attend d'elle:
"Il fallait bien connaître cette femme pour deviner sous la désinvolture, l'allure extravagante, une mélancolie fugitive, peut-être une inquiétude ?"
Victoria, l'incomprise de son époux, une histoire banale ? Martin s'en moque !
Tout son amour inavoué monte  ainsi qu'une vague immense et le submerge. Comment a-t-il pu vivre si loin de cette Victoria qui, pour le moment, semble parfaitement insensible.
Elle meurt de faim, de soif, s'abreuve de champagne et ne mâche pas ses mots à l'égard de ce que d'autres qualifieraient de deuil annoncé:
"Chris est vivant, j'en suis sûre. C'est encore l'un de ses coups vachards qu'il m'a joué. Est-ce que l'on disparaît, comme ça, sans crier gare ? Chris mort ?
Non, mais je rêve ! Il est enchanté de nous avoir mis dans la merde. Il y pense tout le temps et ça le fait jouir."
Ce langage de vieux marin, c'est justement l'héritage de la jeune Lady Victoria, la marque de cet époux qu'elle s'oblige à malmener de ses phrases brutales.
 Nulle pudeur ! Aucun état d'âme !
Victoria est d'une franchise coupante et Martin, sous le choc, s'angoisse:
"elle attendait son retour, alors qu'il était certain que son ami avait disparu pour toujours. "
Comment vaincre cette foi encombrante ?
Comment ranimer le lien tendre et discret les unissant malgré cet égoïste Chris qui se souciait moins de Victoria que d'un des équipiers ou matelots engagés à bord de son voilier ?
Profitant des regards étonnés de sa belle amie sur le décor suranné les encerclant de lourds portraits d'acteurs, Martin  évoque une exposition  vue ensemble en un très lointain après-midi. "Conversation Pieces", mettant en scène des groupes démodés, un art bourgeois, quelque chose de si insipide que, par effet des contrastes, leurs mains s'étaient soudain jointes...
Un aveu limpide et charmant qui le marquait encore.
Victoria continue à bavarder, toutefois, au fil des souvenirs, des traits d'esprits, sous la lueur émanant des flambeaux d'argent de la table dressée avec un impitoyable sens du protocole britannique, une faille se mêle à ses papotages mondains. Martin entend, noyé dans un flot de réminiscences confuses un regret d'une éblouissante sincérité:
 " vous n'avez pas su en profiter".
 C'est tellement encourageant qu'il n'arrive pas à y croire ! A-t-il bien entendu ? A quel moment, dans quelle situation n'a-t-il su "en profiter " ?
Un jour d'été, tous deux s'étaient rendu chez une romancière célèbre, c'était une surprise de Martin. Chris était en mer, le champ de la séduction s'ouvrait à Marin, hélas, timide, ou respectueux, il s'était contenté de servir de page, de loyal soupirant à une Victoria émerveillée et attentive, écoutant religieusement les jolies leçons d'écriture de l'illustre dame des lettres:
 "Quand dans un roman, on rencontre un personnage qui dit -je vous aime tendrement- et que cela non seulement n'est pas ridicule mais vous émeut, c'est que c'est un grand roman".
Martin récite mot pour mot le discours de la vénérable romancière et, cette fois, trouve l'audace de se déclarer, à la manière ingénue d'un adolescent portant les stigmates de son premier amour:
"Depuis longtemps, je vous aime tendrement."
Ce à quoi répond suavement Victoria, son armure de femme libérée, oubliée soudain au fond d'un
 whisky: "Je le sais ".
Martin peut agir ! Victoria vient de lui montrer un chemin prometteur, du fond de leurs mémoires, souvenirs et sentiments s'embrassent sans plus s'embarrasser.
L'horizon prend une nuance claire, comme en ce jour lointain sur une île de l'archipel Toscan,
jour égaré sous la lumière mordante d'un été faisant chavirer la raison en passion.
Jour brutal qui vit Victoria s'esquiver du voilier de son mari, le Jupiter, fuyant une dispute née de la rageuse humeur d'un homme versatile et goujat. Court vêtue, son écharpe la nimbant d'une légèreté de déesse regagnant son Olympe protectrice, Victoria se dissout purement et naturellement sur les rochers brûlants de la petite île montagneuse.
Que signifie cette  anodine remarque, lancée en guise d'aimable plaisanterie à son taciturne admirateur, la veille de son complet" évanouissement" dans les collines arides:
"Il y a un thé anglais, au bas de de la Trinité-des-Monts. Il est charmant " ?
Indice précieux d'un désir retenu ou goût de sa propre dérision ?
Martin assiste, désorienté, à la manifestation de la fureur contenue de Chris.
Son épouse a disparu, qu'importe ! grand bien lui fasse !
On ne va pas bouleverser la croisière pour si peu... Là aussi, les paroles grossières de cet aristocrate ravi de se montrer vulgaire appartiennent au théâtre. La réalité, c'est la jalousie  impuissante de Chris face aux décisions fantasques de Victoria. Martin n'est pas dupe. Le couple de ses amis vit un enfer perpétuel. Chez eux, le duel est un principe, non un accident.
Quelle est sa place au sein de ces affronts que les deux époux s'infligent tour à tour ? Martin en ces temps déjà reculés finit par imiter Victoria; il prend la fuite !
Ce salon de thé anglais au pied de la romantique église de la Trinité-des-Monts ne cesse de le bouleverser. Que lui réserve le destin ? Rendez-vous  galant ? Appel au secours ? Confidences larmoyantes ? Ou rien, rien du tout ?
Si ce n'est un thé insipide dans une rue abritant, comble de l'exaspération d'un amant frustré, Bulgari et sa kyrielle de visiteuses surchargées de pierres ou, à défaut, de rêves impossibles...
Des années plus tard, au seuil de l'âge mûr, contemplant Victoria, tentant de déchiffrer sur son visage meurtri de rides élégantes, drames, amours et tourments indicibles, Martin ressent à nouveau l'égarement qui l'a saisi durant son attente romaine...
Londres s'estompe, Rome l'enivre encore !
Il redevient le jeune homme  nourrissant d'espérances sa passion inassouvie:
"A Rome, enfermé trois jours dans sa chambre d'hôtel, prés du Pincio, il avait attendu... Chaleur torride de la ville. Que faisait-il dans cette ville trop connue, trop aimée ?"
Victoria se confond avec Rome, un délire s'empare de Martin, puis, le miracle voulu déferle devant une tasse d'Earl-Grey: "Le troisième jour, Vicky était là."
Et, 20 ans après, toujours sûre d'elle, toujours courtoise et déterminée à l'évocation de ces péripéties sentimentales, la belle anglaise de susurrer:
 "Je me demandais si vous aviez compris le message".
 Martin se souvient de son intense soulagement: elle n'avait pas sombré corps et âme, elle était farouchement vivante, mais comment, pourquoi ?
Victoria avait éludé en deux mots. De l'autre côté de l'île de Giglio, des amis compatissants l'avaient prise à bord de leur bateau, tout était bien.
Cela fait si longtemps, c'est si proche.
 Ils se sourient, cette fois, ce qui n'est jamais arrivé surviendra-t-il ? Ils n'en savent rien, et Martin en doute horriblement.
Rome, il faut revenir à Rome: ce sont les vacances romaines ayant emporté autrefois dans leur ronde fougueuse les deux amis échappés à l'emprise de Chris qui empêcheront leur  laborieux retour de flammes de vaciller avant de s'éteindre définitivement. Martin empile les heures jadis heureuses; de toute son âme, il essaie de deviner ce que Victoria désire...
Nostalgie, ou davantage ? Bien davantage ...
Vite, la parole est une force qui ranime et réchauffe, Martin parle, paroles, paroles, où mènent les mots galopant sur les vastes plaines de la mémoire douloureuse ?
A Rome, aussi, Martin n'avait cessé de parler:
"Il s'était mis à parler pour l'étourdir. De Rome, du tombeau de Pauline de Beaumont élevé à la mémoire de sa maîtresse par Chateaubriand (Une initiative peut-être mal perçue  par la toute jeune Victoria !). Il avait récité la phrase où René voit Rome à ses pieds:
"dans un des plus beaux sites du monde, Rome tout entière sous mes yeux..."
Martin avait tellement englouti Victoria sous un océan d'irrépressible bavardage que la pauvre s'était effondrée en sanglotant...
 "C'était alors qu'il avait tenu dans ses bras la vraie Vicky, désespérée, vaincue, révoltée. Elle était restée l'enfant de la villa sous les pins."
Martin s'en veut encore, Victoria tendait une main confiante, il n'a pas bougé. Par delà le fleuve de ces 20 années, une passerelle sera-t-elle jetée entre ces deux êtres ? Pourquoi avoir reculé autrefois à Rome ? Victoria manquait-elle du courage nécessaire pour rompre avec le lunatique Chris ? Martin hésitait-il à sacrifier son ami ? Lâcheté d'un côté, respect pour le serment de mariage de l'autre ? Vérité ou belle invention ? Martin remonte le temps et l'incertitude le reprend.
Que veut-elle au juste ? Victoria en veuve fidèle, il n'y croit pas; la voici, immuablement distinguée, qui propose un dernier verre.
Chez elle... Le ciel dans la tombe ? Hélas !
Victoria souffle admirablement le froid sur le brasier ranimé:
 "one for the road, vous vous rappelez, c'était le mot favori de Chris. Quand il voulait voir partir ses invités, c'était sa façon de les mettre à la porte."
Martin désappointé, blessé, sa vanité masculine sérieusement endommagée, reçoit la leçon en parfait gentleman formé à l'école du raffinement britannique. Beau joueur, masquant un ultime espoir derrière un air impavide, il raccompagne sagement Victoria sous un parapluie...
En lui-même, quel tumulte ! Il éprouve une cruelle honte: tant de belles paroles pour si peu !
Mais, installé confortablement dans le douillet salon de sa belle amie, des signes troublants le réconfortent soudain... L'histoire, sur le point de s'achever, connaîtrait-elle le bonheur d'un rebondissement imprévu ?
Victoria s'habille, c'est à dire qu'elle se pare d'une robe qui la dévêt avec grâce; ses yeux luisent comme ceux d'un chat s'apprêtant à mendier une caresse, sa voix tremble en prononçant la méchante phrase de la feuille de route:
 "one for the road ".
Martin ne sait que penser, le voilà qui ne pense plus...
Victoria pense pour deux ! avant d'oublier, elle-aussi, que la terre tourne et qu'il pleut sur Londres !
Tous deux sont repartis vers leur jeunesse ancrée dans le port d'une île italienne parmi les orangers...
Délicat et sarcastique, poignant et tendre, ce récit ose nous donner envie de croire aux  fameux retours de flammes, ces mythes absurdes des romanciers démodés.
Michel Mohrt contourne avec ironie les périlleux gouffres de la mièvrerie et navigue en eaux profondes, à la manière d'Ulysse affrontant la mer mauvaise afin de rejoindre Ithaque.
L'amour perdu, notre Ithaque mentale.
Voilà l'île fabuleuse aux grèves d'or pâle encerclant des bosquets de pins ciselés comme l'ultime refuge de nos songes.
C'est elle, la citadelle promise qui émerge à la lecture de ce très envoûtant "Un soir à Londres".
A bientôt !
Vers d'autres odyssées, vers un amour lointain qui entre soudain au port ...

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse









jeudi 21 avril 2016

L'art de traverser Marseille avec un GPS ivre


Si les bêtes parlaient, sans doute diraient-elles moins d'inepties qu'un maudit GPS, enchanté d'égarer son esclave humain, de toute la persuasion de sa voix aussi frigorifiée qu'une hôtesse de l'air suisse.
Preuve en est l'effroyable traversée que j'ai accompli samedi dernier en compagnie de ce genre d'engin d'une remarquable perfidie.
C'était un délicieux après-midi de printemps; un jour glorieux, sous un soleil encore subtil déversant une lumière de blanche opale sur les façades imposantes des 6éme et 7éme arrondissement de la ville la plus extraordinaire, épuisante et vivace de France: Marseille !
Ville-gouffre dont on a un mal infini à sortir sans migraine, crise de nerfs ou pâmoison !
Ville adorée et détestée selon les découvertes, les heures, les rencontres; cité antique où souffle avec le mistral aigrelet un vent de gentillesse aussi inattendu que terriblement bienfaisant.
Je venais de quitter Aix-en-Provence, l'humeur adoucie par le souvenir d'un beau soir sous l'égide d'amis éminemment distingués sachant faire de la conversation un art de vivre  et de l'amitié un don précieux et rare.
J'étais encore sous l'emprise d'une atmosphère enchantée s'accordant aux jardins secrets dont les envols de glycine montent à l'assaut des murs couleur d'or pâle.
Aix, confidences ténues des fontaines, élégance née de l'harmonie entre beauté et raison, monde petit et fermé, sachant garder une réserve courtoise derrière ses hautes fenêtres protégées de jalousies grises.
Ville sage qui ose souvent une tendre désinvolture; une folie amusée grâce à ses cohortes d'étudiants aimablement dissipés, et ses troupeaux de visiteurs bien dressés arpentant places gracieuses, et palais endormis. Impossible de se perdre cours Mirabeau ! On se retrouve toujours au cœur du quartier Mazarin, on admire l'architecture aux parfaites proportions du Palais de Justice: c'est l'image-même d'Aix; mesure et noblesse, mais rien d'énorme, la démesure avouerait une faute de goût ! Aix, ville faite pour les esprits tempérés ! Que dirait Mirabeau, l'homme des tempêtes  à sa ville au visage immobile ?
Peut-être  de se tourner vers sa voisine, 40 kilomètres plus loin...
Si Aix  laisse apaisé et heureux, Marseille  secoue, angoisse, enivre et foudroie !
Même les GPS, frappés  par la passion générale, deviennent fous à lier en dépit de vos exhortations horrifiées.
Cela semblait si simple à l'arrivée: gare Saint-Charles, au pied du monumental escalier, évocation vertigineuse des célèbres volées de marche de Versailles, une voiture allemande avait reçu la mission particulièrement banale de nous livrer en bonne forme morale et physique à l'hôtel New Bompard, au 2, rue des  Flots-Bleus, refuge vanté par les guides comme un lieu hors du bruit et loin des multitudes fiévreuses...
Soit un itinéraire inoffensif dont le seul récif visible restait une halte prévue dans une minuscule rue proche de la Place de Rome. A Paris, on se guide en se fiant à l' étoile polaire de la tour Eiffel, à Marseille, lever les yeux vers la Bonne-Mère bénissant sa ville agitée de remous insolites, redonne aussitôt force et courage, à défaut de vous remettre sur le chemin désiré.
Marseille est habitée par une nuée de démons que, dans des lieux moins enclins à la frénésie, l'on nomme "sens interdits". Contre cette armée puissante, il est inutile de lutter.
De toute façon, si par miracle, votre GPS parvient à contourner un sens interdit, la fatalité marseillaise le fera tomber immédiatement en plein couloir de bus ou l'engloutira au fond d'une étroite impasse. Mieux: le GPS est incapable de prévoir que votre chère voiture sera dans la sinistre obligation d'escalader une rangée de véhicules locaux gentiment garés au milieu de la rue conseillée par son cerveau artificiel. Il ne se doute ni des déviations de dernière minute, ni des audaces des taxis circulant avec délectation là où règne l'interdit...
Effarouché, le malheureux engin nous donna le péremptoire avis de tourner et retourner rue d'Italie, sans dénicher la porte de sortie, jusqu'à nous jeter dans l'accablement complet.
 Ensorcelé, le beau parleur imposa quelques ordres immédiatement suivis de contre-ordres, et  finit par se ruer en bas de la rue Berlioz, choix bien évidemment inutile, pour reprendre ensuite sa course délirante dans une ville où les feux rouges semblent invisibles et les piétons déterminés à se suicider sous vos roues.
La rue du Paradis, empruntée sur un coup de tête de notre engin vindicatif, n'a guère tenu ses promesses, perdus, nous étions perdus !
Soudain, un cri nous  échappa: d'une manière imprévue et charmante, notre errance nous entraînait vers le Vieux -Port !
Quel spectacle radieux, quelle féerie ! Surplombé de bâtiments hiératiques vieil or ou orangé , un océan de bateaux de toute taille, de tout âge, entassés comme des sardines dans une boîte gigantesque... A croire que l'on pouvait se balader de l'un à l'autre, en sautant d'un pont en bois sur un voisin en plastique, d'un catamaran à une barque de pêcheur du dimanche, d'un bateau de course sur son complice de croisière, de plaisir, de famille  !
 Et cela, toute la journée et même la nuit qui, le long des quais, resplendit des feux somptueux d'une fête éternelle.
Vision prodigieuse, hallucination de poète ! Il ne manquait que la fameuse baleine bouchant le port !
Hélas, deux secondes après, l'odieux GPS nous privait de ce mythe devenu réalité en s'entêtant à redescendre vers la rue Bel-Air.
Nous  demandâmes un répit à la machine furieuse, et, une place se libérant, sans nul doute, sous l'impulsion de la bonne-Mère nous prenant en pitié, nous descendîmes en titubant  de notre voiture maquillée de poussière. Etait-ce vraiment Marseille ?
Murs sales, maisons tristes, balcons couverts de linge propre, bruit infernal, tramways triomphants et étrangement silencieux au sein du vacarme insoutenable, procession de foule brassée, diverse, ondoyante, tout est mélange dans les rues, et tout est rapide; un événement, heureux ou tragique, pathétique ou comique semble éclater de minute en minute.
Cris aigus des passants tenant des enfants excités par la main. Un enlèvement en série ? Ou, une manifestation virulente ? Quel péril nous menaçait-t-il ?  Un aréopage de sympathiques  mères de famille nous expliqua que la plage n'attendait pas ! Que nous étions sots d'imaginer le pire !
Hurlements des scooters, rassemblement inquiétant de jeunesse devant une affiche appelant sans doute à la rébellion totale: nous nous approchâmes en tremblant... Quelle surprise ! C'était l'apéritif de bienvenue du Temple Protestant !
A Marseille, le meilleur vient à vous sous la forme d'un habitant compatissant et surtout souriant: la jeune et rayonnante fleuriste tenant ravissante boutique à l'entrée de la rue de Rome nous réconforta comme de vieux amis; un peu de repos et nous ne ferions qu'une bouchée des obstacles se levant à chaque tournant ! Il fallait le mater ce GPS !
Ranimés après une halte, Place de Rome, dans une brasserie débordant d'une cordialité spontanée, apanage de Marseille, réconciliant presque avec les incohérences de la circulation locale, nous décidâmes de pardonner à notre GPS.
Manifestement, il ne savait pas ce qu'il faisait. Nous non plus d'ailleurs...
Cette rue des Flots-Bleus, la logique voulait qu'elle se niche au bout du vieux-Port; élémentaire !
Justement, toutes les routes mènent au vieux-Port dans la Cité Phocéenne !
Enthousiastes, nous réveillâmes le GPS qui ronflait au soleil, et lui ordonnâmes de filer doux;
à droite, à gauche, en haut, en bas, un virage, un autre: autour de nous dansait le spectacle somptueux de fontaines grandioses, d'un palais de justice dont l'énorme masse assombrissait un miroir d'eau éblouissant, d'une préfecture plus ample que trois palais italiens, d'un Fort guerrier vaste comme une bourgade.
Nous étions emportés, insignifiants aventuriers, dans un monde de géants !
Abasourdi par tant de magnificence, le GPS manqua de se taire à jamais ! La rue des Flots-Bleus était-elle une histoire marseillaise ?
Une invention destinée à faire mourir d'épuisement les agaçants visiteurs abordant la cité avec leurs mines condescendantes ?
Muets de honte, perplexes et angoissés, nous supplièrent le GPS de ne pas nous abandonner; sa voix hautaine nous fit alors froid dans le dos; était-il à bout lui aussi ?
Que signifiait cette indication: "prenez à droite " ?
Nous allions au dessus de la mer ! Vers le ciel bleu ! Vers la Bonne-Mère, notre dernier espoir !
Vaillants, livides, nous prîmes une "traverse ", escaladâmes une rue en pente, une autre, enfilâmes sans sourciller nous en avions tellement l'habitude, un sens interdit, en ressortîmes vivants, nous heurtâmes à un mur, manquâmes d'être dévorés par un bus, et sans du tout comprendre pourquoi et comment, aboutîmes sous les feuillages d'un jardin clos: la poésie de Marseille avait décidé que les Flots -Bleus se blottiraient sur les hauteurs... Nous étions sauvés !
Autour de nous, un nouveau quartier, une  petite ville "Belle -Epoque", un dédale de maisons roses et vertes, de châteaux ensevelis sous les citronniers, de villas pareilles à de grandes dames amoureuses d'un armateur à moustaches ou d'un pirate aux mains chargés de rubis volés; des maisons biscornues, enguirlandées de jasmins, de palmiers, d'althéas, veillant solitaires sur d'anciens prestiges.
Un froissement soyeux s'esquiva du balcon d'un palais italien, des rires enfantins fusèrent de l'autre côté d' un mur imprenable, le temps s'abolît  soudain... avant de reprendre ses droits d'un coup:
encore un maudit scooter déchirant le songe d'un soir d'avril !
Adieu la tentation du romantisme ! Marseille laisse cette charmante faiblesse à sa voisine Aix... Ou à Nice en ses beaux-quartiers choyés par les esthètes.
Trop d'énergie, trop de bouillonnement perpétuel ici. La poésie est celle du quotidien, elle se nourrit de tout ce qui déferle en chemin: fougue, audace, théâtre de rue, le passé palpite avec insolence, emmêlé au présent brutal ou généreux.
La beauté vous regarde bien en face et la laideur n'a aucune honte d'elle-même...
Marseille: un fleuve indompté où il faut se garder de sombrer !
Quant au GPS, il exhala son ultime indication saugrenue avant d'expirer dans nos bras:
"Faites demi-tour avec prudence"...

A bientôt,

Lady Alix

Château de St Michel de Lanès





Cabinet St Michel Immobilier CSMI

jeudi 14 avril 2016

Passion russe et comtesse française: Sophie de Ségur


Un soir de pluie  à la campagne, j'ouvre un roman endormi au plus haut de ma bibliothèque.
La couverture a disparu, les pages sont rongées par une satanée bestiole, je déchiffre un titre "François le bossu", et, tout de suite, le nom de l'auteur me traverse l'esprit: la comtesse de Ségur.
Un amour d'enfance me saute dans les mains, comme un chat tiré de sa cachette.
Ce livre m'a guidée à lui dans je ne sais quelle  subtile intention. L'enfance est éternelle, il suffit d'une poupée, d'une photo, d'une valse surannée jouée avec maladresse sur un piano enrhumé, et nous avons tous entre 6 et 9 ans.
L'âge des très jeunes héros de cette comtesse que l'on s'imagine si bonne, si débordante de morale , et qui frappe ses innocents lecteurs d'autrefois par son alacrité, sa  manie de règlements de comptes impitoyables et, sa façon si passionnante de raconter une histoire oscillant entre "Peau d'Âne " et "le Robinson Suisse".
Chez la bonne grand-mère,  les naufrages, les cannibales, les méchantes fées et les féroces marâtres dansent autour des sages et parfaitement agaçantes prétendues "petites-filles modèles ".
La vraie héroïne reste l'insupportable double enfantin de celle qui, envers et contre le Tout-Paris de l'Epoque brandit son nom de jeune fille russe comme un étendard: Rostopchine !
Le brûleur de Moscou en 1812 !
L'homme de la légende noire de l'épopée de Napoléon !
Enfant, la petite Sophie, recluse dans l'immense domaine paternel, Voronovo, soumise à l'autorité inouïe de sa mère, modèle de toutes les célèbres mauvaises mères de ses romans, a été témoin lointain du drame; de cet incendie fatal tantôt applaudi, tantôt violemment reproché au gouverneur de Moscou.
Plus tard, une fois les foudres des gens civilisés lancées sur son père, Sophie, épouse trahie du Comte Eugène de Ségur, un séducteur, un homme à bonnes fortunes, prendra tacitement la défense  de celui qu'elle respectera et adorera toujours, en signant toute son oeuvre de "grand-mère" de son nom de jeune fille, nom flamboyant désormais entré dans l'histoire.
Un nom vilipendé ou admiré, qu'importe:
c'est une Rostopchine qui écrit ! Avec flammes !
 Elle se souvient, plus d'un demi-siècle après ce drame absurde qui vit Moscou anéantie, de son père et de sa Russie bien-aimée.
Son  meilleur ouvrage palpite de sa passion nostalgique: l'impitoyable récit intitulé par jeu "Le Général Dourakine". Un drôle de livres pour enfants avertis, un conte cruel débordant de coups de fouet, de sombres machinations, de serfs apeurés, de bons aristocrates ruinés et de méchants guignant l'héritage énorme qui leur fera faux bond au dernier moment. Justice avant tout ! On en tremble encore en refermant le romande cette bonne-grand-mère confite en vertus familiales !
Dourak: fou en russe; dourak, le comte Rostopchine le fut sans doute, mais c'est ce grand seigneur qui offrit en 1820 à sa fille chérie, à peine âgée de 21 ans et déjà mère de famille, le ravissant château des Nouettes, dans les bocages de Normandie.
 Endroit protecteur, refuge inspiré loin des snobismes parisiens et du dédain de son volage époux. Lieu reposant et prospère où l' imagination talentueuse et souvent déroutante de cette russe, vouée à ses enfants comme une religieuse à Dieu, révéla bien plus tard le premier écrivain voué aux enfants de toute l'histoire de notre littérature.
Ce livre décati que je relis avec tendresse, "François le bossu", intrigue et envoûte peut-être davantage que les "Petites filles modèles"  dont la  volonté de morale et de perfection horripile assez vite. L'héroïne, la très jeune et déjà infortunée Christine Des Ormes est encore plus attachante que la chipie étourdie des "Malheurs de Sophie". C'est une victime de 6 ou 7 printemps, une petite châtelaine au regard triste: elle a beau être obéissante, patiente, douce, aimable, personne ne songe à l'aimer. A commencer par sa propre mère: une coquette, avide de luxe et de plaisirs, une écervelée passant sa vie à mettre ses charmes en valeur au détriment de son faible époux et de sa timide petite fille. Mais Christine trouve une consolation en la personne d'un voisin lui aussi soumis aux rebuffades des êtres dénués de cœur.
Le roman commence presque brutalement. C'est l'histoire d'une rencontre, celle de deux enfants "différents" que leurs handicaps, physique, chez l'un, moral, chez l'autre vont unir envers et contre la méchanceté et l'abandon.
François de Nancé, le petit bossu de 10 ans qui en paraît 7, est un pauvre enfant infirme, déformé, rejeté et moqué de beaucoup; sauf de son père, de Christine mal-aimée et par là d'une sensibilité au dessus de son âge, de sa charmante cousine Gabrielle (à laquelle, la reconnaissante comtesse ménagera un superbe mariage en récompense !) et d'un prétendu précepteur, mystérieux, touchant, ridicule, méprisé: Paolo, un réfugié politique italien.
Un hasard ? Sûrement pas !
Cet italien roulant des yeux  est une trouvaille extrêmement audacieuse ! L'obscur Paolo permet à la comtesse de prendre parti contre l'occupation de la Lombardie par l'Autriche en  attaquant avec force détails épouvantables la cruauté du redoutable maréchal Radetzki.
Un message daté de 1849, destiné aux parents éclairés de ses gentils petits lecteurs. Une information précieuse pour les amateurs d'histoire de 2016... On s'éloigne des mièvreries de "Sissi Impératrice" acclamée par les Vénitiens. La fameuse comtesse peint soudain un monde sombre dans ses récits que l'on croit trop vite parfumée à l'eau de rose.
 Que livre sur le vif le véhément Paolo à l'entrée du roman ? Rien d'autre que l'horreur de la répression sur un peuple.
"Le jeune homme raconta comme quoi il était médecin, échappé à un affreux massacre du village de Liepo, qu'il défendait avec 200 jeunes Milanais contre Radetzki: eux, dit-il (avec son accent chantant !) sont restés presque tous toués, coupés en morceaux; moi zé me souis sauvé en mé zétant sous les amis morts..." et ce sont des enfants de 6 à 10 ans qui écoutent, terrifiés...
Un auteur pour petits lecteurs bien élevés, cette comtesse ? Pour jeunes esprits bien trempés, oui !
Mais, qu'on se rassure, le pire attend au milieu du roman...
En tout cas, même s'il faut accepter de sortir des illusions de l'enfance, le récit est mené à grandes brides et ses héros intriguent ou émeuvent sans distinction d'âge. Cela ressemble à une auberge espagnole: la morale épouse l'aventure, la cruauté, l'indulgence, le pire côtoie le meilleur; et la romantique comtesse prend une revanche sur ses noces imposées en multipliant les mariages d'amour entre jeunes gens méritants! et, tout de même, aisés !
On ne subsiste pas que de bons sentiments, Sophie de Ségur l'appris à ses dépens...
"François le bossu" est un livre que l'on ne lit plus guère et qui mériterait d'être repris à l'âge adulte tant il fait entrer sans efforts dans la vie de châteaux du second Empire, en secouant au passage nos préjugés et nos idées fausses sur cette société élégante et pourtant rurale, ouverte aux paysans, simple de goûts, naturelle de manières et veillant à la bonne éducation de ses enfants.
Le snobisme, selon la comtesse, n'existe que chez les nouveaux riches ou les femmes de mœurs douteuses ! Parents et institutrices s'évertuent à ôter de la tête des charmants Paul, Camille, Sophie, François et Christine le moindre sentiment de supériorité ou la tentation d'arrogance déplacée.
Hélas ! Parfois les parents inconscients commettent la lourde faute de confier leur enfant à une gouvernante au caractère odieux.
Christine Des Ormes est ainsi la victime de Mina, une bonne d'enfants allemande, emportée, cupide et ne cessant de mentir afin de donner l'image la plus déplorable de leur fille à une mère et un père faciles à berner. Mina accuse Christine de méfaits imaginaires, la vie de la petite fille est un martyre. Son père tente mollement d'y voir clair, mais l'égoïste mère accable cette enfant de 6 ans qui la vieillit aux yeux de ses admirateurs.
L'amour-propre et la vanité l'emportent sur l'instinct maternel...
Cette description de la perfidie ou de l'indifférence d'une adulte à l'encontre de l'enfant qui lui a été confiée est une constante chez la comtesse; l'horrible Madame Fichini, caricature de belle-mère dans "Les petites filles modèles" est une figure de cauchemar: elle fouette la petite Sophie, orpheline après la tragédie d'un naufrage, sans aucune pitié, avec une hargne indécente.
Certains passages font certainement frémir encore de nos jours... L'univers de la comtesse ne se recommande guère aux âmes paisibles soucieuses de garder leurs enfants dans un cocon douillet.
Comment sauver Christine des griffes de ce montre de Mina ? Le bon Paolo va décider de s'en mêler de toute sa ténacité de rescapé et de réfugié.
La leçon de la comtesse est claire: seuls ceux qui souffrent s'entraident.
Le père du petit bossu entre alors en scène. Ce bel homme solitaire ressemble trait pour trait au comte de Monte-Christo. On ne sait quelle vengeance dort dans son cœur impénétrable. Mais l'amour que ce seigneur impavide éprouve envers son "petit Esope" de fils ne connaît aucune borne.
Puisque François désire ardemment le bonheur de Christine, Monsieur de Nancé, avec la complicité parfois désastreuse de l'enthousiaste médecin exilé Paolo, s'y consacrera au point de faire de la mal-aimée sa fille adoptive.
Et même davantage, on le devine tout de suite !
Mais, le dénouement s'étire sur de longues années; un miracle le couronne: le petit bossu se métamorphose, grâce aux soins patients et opiniâtres de l'excellent Paolo, en beau et grand jeune homme: tout est bien  dans le meilleur des châteaux de province. La vie de famille se prolonge en un mariage heureux: Christine reçoit sa récompense car elle avait accepté d'épouser François en ignorant qu'il avait perdu sa bosse !
C'est un peu l'histoire de la Belle et de la Bête. L'amour fait du bossu un prince, et du laideron méprisé une exquise princesse, tous deux répandront la bonté dans leur minuscule royaume où le magicien Paolo veillera sur le bonheur général.
Au delà de la morale attendue, de ravissants tableaux d'un univers aussi exquis qu'un portrait d'enfant par Winterhalter, jaillissent ça et là: les coures folles des jeunes amis  perdus dans le vaste parc de Monsieur des Ormes, la pêche aux écrevisses pimentée des conseils du brave Paolo  dans un ruisseau à l'eau transparente; une traversée en barque à la tombée de la nuit sur le paisible lac séparant parents et enfants d'une étourdissante noce paysanne où tous vont s'en donner à cœur joie de danser  rondes et farandoles rustiques et frénétiques.
Des répliques adorables aussi tintent dans la mémoire, comme celle d'un chasseur rustique priant les enfants du château d'excuser ses chiens les ayant confondus avec un humble gibier:
"Excusez mes chiens, Messieurs, Mesdemoiselles, s'il vous plaît, ils ne savaient pas à qui ils avaient affaire."
Sans oublier la tentative de séduction du sémillant Paolo par cette coquine de mère de Christine ! Une fête galante sous couvert de théâtre ? Madame des Ormes en Esther, Paolo en Assuerus, le comble du ridicule est atteint, mais les jeunes lecteurs saisissent-ils ces jeux d'adultes ?
La tragédie ne se pare pas uniquement d'oripeaux comiques... cette grand-mère de Ségur cache une âme forte qui n'épargne ni la maladie, ni la mort à ses lecteurs.
Le gentil roman abrite une foule de drames dont l'un particulièrement atroce: un incendie allumé par une sottise, l'étourderie de deux frères fumant en secret en haut d'une tour.
S'agirait-il d'un châtiment du destin ? Ces deux garçons n'ont guère épargnés le petit bossu, ils l'ont blessé, humilié. Le feu ravage leur château et laisse le plus âgé et le plus odieux, Maurice, infirme.
Le voici endurant à son tour le dédain qu'il infligeait au petit bossu. Seuls François et Christine essaient de le réconforter. Maurice ne survivra pas longtemps à ses souffrances, toutefois, l'affection des deux êtres qu'ils méprisaient le réchauffe au point de le transformer moralement. Il meurt sauvé, pardonné. Bien sûr, cet épisode nous rend les deux futurs amoureux très sympathiques, mais le leçon reçue par l'ex méchant choque par sa dureté délibérée.
Rose la comtesse ? Franchement non ! Ou alors un rose tirant sur le gris d'un ciel orageux...
Crime et châtiment, générosité et belle récompense, on n'en sort jamais. Le pardon existe, mais la route est caillouteuse avant d'y accéder. L'image de la vie finalement...
Faut-il lire Sophie Rostopchine le soir en croyant retrouver son enfance perdue ?
Certainement ! Les vrais enfants ont la guimauve en haine, la comtesse russe le savait !
Cette grande audacieuse subjuguera jusqu'à la fin du monde l'enfant éternel, celui qui savoure ses bêtises, adore les histoires féroces et meurt d'envie d'enfermer au cabinet de pénitence les abominables "petites filles modèles".
 La gagnante c'est Sophie ! l'infernale Sophie, gourmande, rétive, pleine d'inventions désopilantes, de maladresse, d'amour de la vie et d'envie d'amour... la digne fille du comte Rostopchine, le génial incompris...
N'hésitez pas à voler un titre de la comtesse aux enfants qui vous prennent bien à tort pour une ennuyeuse grande personne...
Sophie existe bel et bien: la gracieuse petite actrice du nouveau film de Christophe Honoré ( Les Malheurs de Sophie) l'incarne pour le bonheur des grands et petits ; ne manquez pas cette envolée entre diableries et nostalgies!
A bientôt et bonnes vacances de printemps !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Deux adorables princesses russes : peut-être l'allure de Sophie Rostopchine enfant ....


Château de St Michel de Lanès


Cabinet St Michel Immobilier CSMI




samedi 9 avril 2016

Contes du vieux château : Dorothée de Liven: Amour fou et princesse Russe



Les belles amours éclateraient à priori à l'âge tendre entre deux adolescents à cœurs fous et têtes de bois .
 Rien n'est plus faux !
 La passion incompréhensible et fulgurante qui s'éveilla, en 1837, entre François Guizot, austère ministre français, à la cinquantaine assurée, ambassadeur en Angleterre, auteur d'ouvrages monumentaux distillant un ennui mortel, et une princesse tempétueuse, née 53 ans auparavant, (âge prodigieux pour l'époque) à Riga, dans la brumeuse Courlande, prouve que le sentiment se moque du temps et de la raison !
Un hasard infiniment obligeant fit se rencontrer deux êtres que la géographie, le "milieu naturel" les goûts, les tempéraments, tout, absolument tout, aurait du tenir à une extrême distance ! Un soir de juin à Paris, une promenade alanguie sous les ramures du parc de la piquante comtesse de Boigne à Châtenay, le songe d'une nuit bercée de tendre recueillement au bord d'une fontaine moussue, et le tour fut joué
Le destin s'amusait sans doute, d'abord embusqué derrière un rideau de velours pourpre, puis caché derrière les buis des allées, en réunissant deux éléments aussi incompatibles que le feu et l'eau.
Dorothée de Lieven, recluse en elle-même depuis la brutale disparition de ses deux fils cadets, deux beaux et intelligents garçons de 15 et 9 ans, victimes d'une épidémie de scarlatine en 1835,  harcelée depuis par sa douleur de mère, écoutait, sans l'entendre, le ministre François Guizot; deux fois veuf déjà, souffrant depuis peu de la perte de son fils préféré.
Soudain, ces deux blessés si injustement par les deuils de leurs vies, échangèrent un regard qui les révéla l'un à l'autre.
Un coup de foudre inopiné, inouï, un emportement d'une puissance admirable qui ouvrit l'horizon et apaisa leur amère souffrance.
Un amour incongru se levait entre une aristocrate russe, fière, ardente,volcanique, une hautaine femme d'ambassadeur évoluant depuis son mariage précoce (15 ans !) entre les réceptions et les confidences feutrées des grands de ce monde, parlant sans cesse, ne lisant jamais, réfléchissant avec son cœur slave, et un ambassadeur, ex-ministre, français "parvenu" à la force de son intelligence opiniâtre, parfaitement roturier, venu du sud de la France, ne respirant que pour lire, ne vivant que pour écrire, faisant montre d'une réserve glacée, mais capable d'envolées d'un lyrisme fracassant quand il s'exprimait à l'Assemblée sur un grave sujet politique.
Deux vrais héros de roman qui allaient écrire  sur le fil d'une correspondance fantastique, les bourrasques d'un lien secoué de sombres remous, éclaboussé de soleils noirs, ivre souvent d'une singulière jeunesse...
Pourtant François Guizot était l'austérité incarnée !
Grand serviteur de l'état,il venait de rendre son portefeuille de l'Education Publique en raison d'un désaccord avec le reste du Cabinet. Son rôle s'était révélé des plus brillants à ce poste. N'avait-il fait voter la Loi sur l'Instruction primaire obligatoire en 1833 ? Le ministre avait même travaillé à donner une légitimité historique au premier "roi des Français", Louis-Philippe.
En 1830, ce monarque éclairé, héritier de la branche Orléans, avait adopté le drapeau tricolore, et prêté serment à la Charte, en affirmant qu'il tenait sa souveraineté du peuple.
Mais c'est le ministre et historien Guizot qui lui donna l'éclat d'une longue tradition inscrite dans l'histoire toute entière de notre pays.
Le musée de Versailles, sous l'égide du ministre, s'appliqua à illustrer les dates apprises par les écoliers: de beaux tableaux, de nobles portraits prirent leur place dans une collection semblable à un superbe livre d'images...
Guizot souleva l'admiration des foules en ranimant légendes glorieuses et figures exemplaires qui accueillaient le nouveau roi, cet inconnu couronné un peu par hasard, comme leur digne successeur.
Cela prouve son habileté politique hors pair !
Justement, la politique, voilà le maître mot !
 L'amour serait-il né sans cet engouement extrême de la princesse et du ministre pour cette fameuse politique ?
Dorothée de Lieven, l'avait pratiqué assidûment durant les vingt-deux années de sa vie d'ambassadrice de Russie en Angleterre. Spirituelle, amusante, caustique et en tout point brillante, elle tenait salon et avait eu la chance, à l'automne 1818, de participer au Congrès d'Aix- La-Chapelle.
Sa rencontre troublante avec l'impavide et vaniteux Metternich transforma un simple attrait en violente passion !
 Metternich la dégoûta pour toujours de sa vaniteuse personne, la politique jamais !
Une volonté tenace de se mêler de près aux grands événements diplomatiques et politiques s'empara d'elle et forgea sa personnalité jusqu'à la fin de sa vie. De virevoltante épouse d'un ambassadeur en vue, elle se métamorphosa en tête pensante, en mentor influent.
 Au point de diriger de façon subtile François Guizot quand il devint, en 1840, ministre des affaires Etrangères, avant de tenir les rênes de notre pays de 1847 à 1848.
(Ce qui explique un aveuglement assez remarquable du grand homme face à la volonté de réforme populaire malgré de belles et nobles aspirations; et la catastrophe du 22 février 1848 quand la Garde Nationale elle-même cria "A bas Guizot !"; ce qui précipita l'exil forcé des amants en Angleterre, une interminable année durant...)
Cet amour insolite n'était finalement pas si bizarre qu'il le parût aux regards médusés de leurs amis et contemporains. Exilée à Paris, ce qui constituait un défi à la fois contre son époux et contre le Tsar,
la princesse tentait d'adoucir son irrépressible chagrin de mère endeuillée en recevant quelques hautes relations, ambassadeurs, aristocrates, ministres, d'esprit fort conservateur, mais imprégnés de bienséance et de curiosité cosmopolite !
Guizot, arrogant et assez insupportable de rigidité, s'y fit remarquer, au point que la princesse, avant de ressentir les tourments et les joies de l'amour, le décrivit avec une admirable lucidité en février 1837 (au mois de juin, elle tombera dans ses bras et ne s'en doute pas !):
"Il est la plus haute capacité gouvernementale en France, c'est un homme respecté pour ses grandes capacités et une probité rare dans les hommes nouveaux. C'est un homme très profond, très droit, très ambitieux et très présomptueux... Le roi ne l'aime pas, mais M.Molé (Le président du Conseil), l'a en horreur, à cause de son arrogance."
François quitte le gouvernement peu de temps après ce jugement où filtre déjà une attirance qui ne s'avoue pas. Dorothée le félicite de son courage en l'entendant à la Chambre jouer les tribuns impétueux: elle comprend ses raisons !
Et François réalise qu'un" amitié ardente et profonde" se développe chaque jour davantage ! Il est revenu de ses préjugés envers cette russe à la voix langoureuse et au tempérament aussi chaud que le climat moscovite est froid !
Mais, il faudra la tiède et musicale nuit du 18 juin, le ballet des étoiles filantes, les appels mélodieux des oiseaux, parmi les verts tilleuls, complices charmants des allées du parc de Châtenay, pour que trois mots infiniment rares, infiniment généreux, chuchotés par un François Guizot chevaleresque et fiévreux scelle un lien délicat et fougueux: "vous n'êtes plus seule ".
Le lendemain, de retour à Paris, Dorothée trace ces mots éternels, sur un papier vibrant d'émotion pure; lire ces lignes rend soudain tangible la présence de cette femme d'une époque et d'un milieu si éloignés de nous, de cette princesse solitaire, rendant grâce à celui qui a su apaiser la soif impérieuse de son âme, qui a compris l'étendue de sa douleur et qui s'élance afin de la sauver du désert où elle s'est perdue:
"Vous n'êtes plus seule, ah, Monsieur, ces paroles résument le reste de ma vie et si elle devait finir aujourd'hui je vous bénirais pour m'avoir accordé la douceur de les entendre, car je vous crois, j'ai besoin de vous croire.
Votre regard ne me trompe pas et votre voix porte la conviction dans mon cœur.
Si j'en ai la force j'irai à l'Eglise ce matin, j'irai remercier Dieu du bonheur qu'il m'envoie .avec quelle ferveur je l'en ai déjà remercié hier soir, ce matin !
 Adieu Monsieur, voici une triste journée, mais je ne suis plus seule."
Le roman est né...
Un bien singulier roman, un ouragan souvent, et pourtant, un roman qui respecte les convenances de façon exquise ou ridicule, selon l'appréciation des lecteurs de 2017.
Les amants ne cesseront de se donner les titres de Monsieur, Madame ou Princesse durant les vingt-deux ans de leur envois mouvementés . Parfois, en d'extrêmes confusions sentimentales, la princesse osera le tutoiement ! C'est tellement rare que l'on reste marqué de cet "érotisme" inopiné ...
François Guizot a beau inonder de déclarations d'une sublime élévation morale sa conquête russe, il ne se laissera jamais à imiter d'autres amants fameux, Axel de Fersen ou William Short, qui eurent la simplicité d'écrire "ma tendre et bonne amie ", à une reine ou une duchesse...
Dans les moments d'exaltation, Dorothée a droit à un "dear princess" qui, heureusement, semble la combler, comme nous en sommes heureux ! mais, au diable ces apparences !
 Les lettres de ces amoureux transis font largement oublier âge, physique et situation sociale:
c'est de l'amour pur; et par là, inquiet, redoutant un sinistre accident de toute nature qui ordonne la fin de ce qui vient à peine de commencer.
La curiosité, bien sûr, titille les nouveaux confidents de ce couple improbable:
à quoi ressemblaient-ils ?
La princesse a été "croquée" avec une vivacité impitoyable par Sir Thomas Lawrence en 1820;
le spécialiste des "heureux du monde" n'a guère ménagé son impatient modèle.
Dorothée nous dévisage d'un regard noir, impérieux, presque agacé. Ses cheveux sombres n'adoucissent pas sa figure en lame de couteau. Un long cou de cygne ,une peau neigeuse, une bouche fine s'accordent à révéler son allure folle, son étonnante distinction. On la devine prompte à l'action et, en même temps,assez passionnée pour s'échapper de cet univers qu'elle s'efforce d'incarner.
C'est une vraie princesse et aussi une amoureuse...
François Guizot, séduit encore les âmes tendres du fond de son portrait de 1832.
L'habile Ary Sheffer nous met en présence d'un absent: Guizot s'échappe, nous abandonne en fixant d'un air lugubre une réalité invisible et douloureuse...
Ni beau, ni laid, grave et lointain, il a quelque chose d'un gentilhomme anglais, muré dans ses pensées sévères, portant le monde sur ses épaules, attendant que l'espoir ou l'aventure revienne le guérir d'un lourd manteau de deuils et de désillusions.
Pâle, mince, romantique, François Guizot attirait les femmes du grand monde !
Une autre russe, une duchesse celle-là, la propre nièce et amante de Talleyrand, sa captivante égérie aux yeux violets,Dorothée de Dino, tenta de l'arracher aux bras de la princesse de Lieven et, ce qui montre la ténacité sans pareille des amoureuses russes, réussit à s'emparer du cœur du ministre déchu à la mort de son amante...
Mais, c'est une autre histoire !
Le 18 juin 1837, deux êtres qui croyaient en avoir terminé avec les fougues et les foucades de la passion adolescente sont au septième ciel.
Pour combien de temps ?
 La princesse avait déjà organisé un séjour à Londres, ville où elle comptait un fidèle soupirant, homme politique de renom, Lord Grey, et une foule de vieux amis: la duchesse de Sutherland (Nouvelle Dame d'honneur de la jeune reine), le prince Esterhazy, Lady Carlisle, et tant d'autre illustres diplomates ou ministres !
Toute sa vie d'avant ses deuils et d'avant Guizot...
Etourdiment, affolée par ce sentiment neuf qui l'enivre et l'angoisse à la fois,elle ne rompt aucun engagement, s'embarque, arrive dans la capitale anglaise la tête tournée, le cœur aiguisé, l'âme chavirée. On ne la reconnaît plus tant elle a changé !
Mêlant à son habitude ses visites mondaines à sa manie politique, la voici rendant un hommage éclairé à la jeune reine Victoria: "La Reine est tout à fait entre les mains de Lord Melbourne qui me paraît user de sa position avec tact et intelligence. Il est plein de respect et de paternité pour elle. Elle a l'esprit ouvert, curieux, elle veut tout faire. Il n'y aura point d'intermédiaire entre elle et ses ministres. Elle s'informe, elle écoute. Elle veut faire tout et tout de suite. On la contemple avec étonnement et respect."
Dorothée perçoit l'étoffe de la magnifique souveraine sous la jeune fille de 18 ans !
Mais, que se passe-t-il ?
Après un premier torrent de lettres enlevées par un romanesque délicieux, plus rien !
François n'envoie plus rien !
Doit-on incriminer la poste ? Ou la faiblesse d'un amant versatile ? François Guizot ne serait-il qu'un individu tristement banal ?
Un vulgaire et insignifiant amateur de conquêtes ? Un collectionneur séduisant afin de se cacher son vide intérieur ?
La princesse attend chaque jour, puis chaque heure le courrier capricieux, elle se ronge, se désole, et ne cesse d'écrire des messages de plus en plus torturés:
"J'attends l'heure de la poste. Depuis samedi. J'ignore tout, même si vous avez pensé à moi !
Je m'arrête tout court. La poste est venue, et je n'ai pas de lettres ! Me voilà démoralisée pour le reste de la journée. Je suis triste, comment ai-je pu quitter Paris ? me connaître si peu ? Ah ! Que de pensées m'étouffent ! J'écrirais des volumes que je n'expliquerais pas tout ce qui remplit mon cœur."
Un court billet passe la Manche sain et sauf et ressuscite l'éplorée juste à temps pour qu'elle avoue la vérité à un grand seigneur, Lord Aberdeen.
Quand ce jeune homme de 64 ans lui déclare sa flamme avec une ferveur timide, Dorothée répond tendrement qu'elle en aime un autre, un Français ingrat qui ne lui a écrit que quelques lignes en dix jours !
Quel scandale: n'est-elle encore l'épouse d'un favori du Tsar !
Lord Aberdeen s'incline devant cette femme assez fantasque pour décliner sa touchante proposition.
"Il a, écrit-elle aussitôt à l'invisible Guizot, pris ma main, il l'a retenue un moment et il est sorti."
Lord Aberdeen se réfugie dans ses montagnes d'Ecosse...
Cet incident sentimental prouve le pouvoir de la princesse !
Les années n'ont aucune prise sur le sortilège sensuel et spirituel qu'elle exerce...
 Hélas ! Elle a refusé le meilleur parti d'Ecosse pour un amant qui semble se murer dans le silence épistolaire ! Pourtant, l'explication est rassurante: Dorothée l'ignore, mais François a eu la très mauvaise idée de poster ses lettres, copieuses et aimantes autant que la malheureuse le souhaite, de sa retraite de Normandie, une ancienne abbaye passablement décatie, "le Val-Richer", dans sa circonscription de Lisieux.
De cet endroit agreste et enfoncé dans la campagne, le courrier part difficilement !
Et le désespoir se donne libre cours à Londres:
 "Je suis abandonnée" s'écrie Dorothée.
Du côté Normand, François ne comprend pas davantage !
Pourquoi cette princesse à la noble franchise, cette amoureuse si prompte à se répandre en brûlants aveux, n'écrit-elle plus un mot ?
La poste aveugle aurait-elle commis un crime ? au contraire ! Pris au piège de l'absence, blessés tous deux par le manque de l'autre, les deux amants vont se raconter, se livrer cœur et âme, et s'unir éternellement par delà cet abîme d'angoisse.
Leurs lettres atteignent un paroxysme qui les élève au rang de miracle de poésie:
"J'ai la respiration suspendue. Voici 11 heures, l'heure de la poste. Le moindre bruit me fait tressaillir, je joins les mains, je prie Dieu: qu'il vive, qu'il m'aime, que je le revois ! je n'ai plus que cela à demander au ciel.
Le facteur est venu; pas de lettres ! Mes larmes, mes prières, tout est inutile. J'ai une fièvre ardente, j'oublie tout, je pense à tout, j'entends de douces et divines paroles ! Ah ! Je devais mourir en revenant de Châtenay; je serais morte heureuse. Aujourd'hui, mourir dans le désespoir !
Prenez pitié de moi, Monsieur, je suis prête à perdre la raison...
Qu'ai-je fait de ma raison et de ma dignité, du peu d'esprit que je croyais avoir ? Il me semble que tout m'ait abandonné à la fois. Je me suis livrée sans réserve à quelques instants de bonheur, il était trop grand, trop inattendu...
Je vous vois partout mais votre image me bouleverse, me trouble, m'anéantit. Je sens les battements de mon cœur. Il me semble qu'il battra ainsi aux approches de la mort, car c'est une angoisse qui me rend difficile de comprendre comment je vis encore.
Que faites-vous ? Souffrez-vous aussi ?"
Ces déchirantes questions étaient envoyés le 21 juillet 1837, le supplice de Dorothée s'acheva le lendemain, à 9 heures du matin, après les sanglots nocturnes d'une veille épuisante. Son bonheur
s'épanche en gémissements extasiés: comme une victime de la guerre, elle s'effondre de joie et continue à écrire:
"Une lettre ! Une lettre ! La voilà devant moi. J'ai passé la nuit en pleurs, en prières. Je vous voyais malade, mourant, mort. Qui peut deviner jusqu'où la nuit, le silence, la fièvre peuvent porter une imagination malade, un cœur passionné ?
Je me rappelle avec effroi que je n'ai plus accepté la moindre contrainte. Il me semble, Monsieur, que je ne vous en ai jamais tant dit que je vous ai écrit ? "
Le malentendu postal se dissipe comme le brouillard londonien ! Peu à peu, les lettres de François gagnent la demeure de son amante; aucune n'a sombré, le lien épistolaire se nourrit d'une liberté de ton fortifiée par ces bourrasques. François Guizot, ému des plaintes de Dorothée, tranche net dans sa réserve glacée; il s'exprime sans honte et sans crainte absurde. L'amour balbutiant entre, vainqueur dans une dimension bien plus vive:
"Madame que vous dirais-je ? je n'aime pas les sentiments combattus.Votre inquiétude me désole et me charme. Je lis, je relis vingt fois ces paroles pleines d'imagination, pour vous si douloureuses, pour moi si tendres !
Pardonnez-moi mon égoïste joie; elle n'ôte rien, je vous jure, à ma peine pour votre peine.
Chacun à notre tour, nous avons traversé l'un et l'autre un bien sombre nuage."
Par contre, François Guizot a bien reçu la fameuse lettre contenant la déclaration adorable du distingué Lord Aberdeen. Un sentiment de jalousie ébranle, en vérité, cet homme qui s'imagine au dessus des bassesses du vulgaire !
 La princesse en lisant entre les lignes le passage exprimant la compassion hypocrite de son amant, feignant de plaindre son vieil amoureux , s'amusa certainement beaucoup; elle l'avait bien méritée !
Que disait avec un charmant soulagement le grand Guizot à propos du pauvre seigneur écossais ?
Ceci:
"Et Lord Aberdeen ? Il est donc parti ? et je puis en toute sûreté le plaindre ? Que je vous remercie de m'avoir ainsi mis à l'aise ! je ne connais rien de plus pénible que de nourrir en son âme un mauvais sentiment contre un galant homme malheureux !"
Qu'en termes délicats la vanité masculine sait plaider sa cause !
Toutefois, la joie de ne plus compter de rival, inspire l'amant français qui brosse enfin le vrai portrait de cette princesse de 54 ans aux appas et attraits originaux, extraordinaires, extravagants: une bombe qui s'ignore ! Un mélange de femme fatale russe et de grande dame cosmopolite:
"Vous ne savez pas, Madame, quel charme il y a en vous, dans votre air, votre accent... "
Le fascinant accent rauque et subtil des beautés slaves !
22 ans couleront, ils en seront toujours là, à se regarder avec ce que nos grands-mères appelaient de façon exquise "les lunettes de l'amour".
 5 000 lettres bruissent au fond des tiroirs du Val-Richer, de mots suaves, généreux, jaloux, enchevêtrés aux questions de haute politique, de diplomatie, de morale ou de mondanités. Une vie en lettres, un amour au quotidien griffonné sur du papier.
Dorothée anima, une fois veuve, en 1839, son salon qui faisait la pluie et le beau temps de la politique française à l'étranger; Guizot, quand il ne représentait pas la France en Angleterre, ou ne gouvernait pas notre pays, se réfugiait seul (en compagnie de ses deux enfants !) dans cette abbaye du Val-Richer qui lui tenait lieu de seconde amante! En suscitant l'immense jalousie de Dorothée...
Et encore des lettres impétueuses envoyées de Baden, Londres et surtout Paris répétant le même avide refrain:
"Encore un mot, encore; aimez-moi, je vous en conjure. Dites-moi bien vite que vous m'aimez... Ah ! Que votre cœur est froid à côté du mien !"
Mais, François répondait sans se lasser, avec panache et de tendresse:
 "Je vous dis, je vous répète que vous ne savez combien je vous aime. Oui, je vous aimerai toujours, immensément, à combler, à dépasser votre plus insatiable ambition."
La plus étrange des histoires d'amour entre une russe et un français s'acheva à la mort de Dorothée en janvier 1857...
La terre de sa Courlande natale accueillit ce qui reste d'elle de périssable.
Ses lettres chantent l'éternité de l'amour !
Si l'on y croit ... L'amour n'est pour beaucoup qu'un nuage illusoire ...Pour d'autres, de la trempe de Dorothée, la clef de la vie ...

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
Princesse Dorothée de Lieven par Lawrence:
 une amoureuse à l'âge mûr et au tempérament volcanique

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dimanche 3 avril 2016

Cicéron: le plus humaniste des avocats !


Du sable blond des rivages antiques un nom éveille encore de sonores échos.
Celui d'un homme qui fit retentir le verve agile, la phrase moqueuse, le discours ardent, le rythme harmonieux sous les colonnes romaines; cet homme inventa l'éloquence, et mieux, l'éleva si haut que nul après son passage en ce fol univers ne put l'égaler.
Cet homme portait avec désinvolture le nom bizarre de "pois chiche ", Cicéron, et il était avocat à l'époque où César caressait le rêve de gouverner Rome et l'univers. Son destin est un roman alliant le merveilleux au terrible, l'obscurité à la gloire, l'amour à la haine, la vertu à la trahison. De nos jours, sa renommée inspire ceux qui s'acharnent à faire de leur langue natale l'élégant et efficace outil de leurs pensées. Mais qui fut vraiment Cicéron ?
Un homme politique ? Que non pas ! On peut manier l'arme fatale des mots cinglants et se tromper dans ses choix s'égarer par vanité ou manie de l'indécision.
Cicéron était sans cesse titillé par deux chemins, deux chefs, César et Pompée, puis, Octave (le futur Auguste) et Antoine.
Toutefois sa chimère resta la même jusqu'au bout: un gouvernement s'adaptant à l'ensemble des citoyens, un régime juste, honnête, acceptant les bonnes volontés de l'immense monde romain.
Cet humanisme généreux va plus loin que les déroutes de sa vie. C'est cet idéal qui enlève de si noble manière ses plaidoyers. Cicéron s'égare souvent mais se retrouve en s'appuyant sur sa foi dans le génie humain et l'esprit de justice et d'honnêteté qui s'accorde avec lui. Immortel, proche de nous, Cicéron est un homme à la fois bouillonnant, universel, enthousiaste, un latin vif et vibrant, un artiste de la parole, un caractère sensible, un gourmet du quotidien, appréciant profondément la joie d'être au monde et d'y faire une belle oeuvre.
Sa correspondance frénétique vaut la peine que l'on s'y plonge; cette mer effervescente remue en ses flots les confidences mordantes (nul n'échappe à son ironie coupante), allègres (son badinage mondain), intimes (la peine affreuse qui le ronge à la mort de sa fille) et terriblement franches. L'avocat écrit comme il parle, avec fougue et harmonie !
Il se moque, il s'emporte, il conspue, il ridiculise il se lamente aussi, sans perdre l'élégance, la finesse, l'originalité de l'expression.
Converser est un art, séduire c'est savoir choisir le bon sens des mots, en deviner la musique, la force enjôleuse, tout en gardant l'ordre, la clarté de la formule destinée à marquer les esprits.
Ainsi, l'avocat défend ou accuse, l'homme d'état mène la foule, l'amant envoûte...
L'avocat Cicéron a forgé sa flatteuse renommée en Sicile, en accablant un voleur de très bonne naissance et de très haute situation, un patricien corrompu, Verrès !
On était en 70 avant Jésus-Christ, et l'île florissante, le jardin de paradis des romains subissait les caprices éhontés du préteur envoyé par Rome afin d'y maintenir la paix et la prospérité. L'impudent Verrès, ravi, d'avoir les mains libres, en profita pour spolier, piller, au grand jour les citoyens épouvantés.
Comment lutter contre ce puissant personnage qui s'invitait chez vous et en repartait chargé de vos statues précieuses, bijoux raffinés, meubles orientaux ou esclaves ravissantes ? 1000 témoignages affluèrent vers l'avocat Cicéron dont les Siciliens connaissaient la réputation exemplaire !
Cicéron  écrivit 5 extraordinaires libelles virulents, étourdissants d'audace, éblouissants de virtuosité et de netteté dans l'accusation; le plus connu reste peut-être le fameux "De Signis", révélant la façon expéditive qu'avait l'indigne Verrès de s'emparer de tout, absolument tout ce qui attirait son regard aiguisé de collectionneur invétéré...
Cela pourrait sembler une farce, mais Verrès n'était pas seulement un maniaque des oeuvres d'Art; hélas, ce monstre suppliciait les innocents. Le "De supppliciis" énonce ces odieuses pratiques avec une ardeur, une humanité, un emportement inouïs. Verrés a osé condamner à mort les commandants de navires, les "navarques" siciliens, coupables à priori d'avoir laissé les pirates ravager l'escadre de guerre promise par la Sicile à la police des mers.
En réalité, Verrès est l'unique responsable de cette déconfiture, c'est lui qui a privé les équipages de marins en leur vendant des congés ! Le voici qui s'en prend aux commandants ayant tenté de sauver leur navires, en dépit du manque d'approvisionnement en vivres, en armes, et en hommes dû à l'infâme envoyé de Rome !
Cicéron dresse le tableau atroce de ces malheureux mis au secret en prison, et interdits de visite pendant que leur injuste supplice se prépare. Le moindre adoucissement à leur sort doit être payé fort cher aux sbires de Verrès.
La description des tourments variés est intolérable aux âmes sensibles; Ciceron tirerait des larmes aux cœurs les plus froids par ses phrases courtes, précises, coupantes. Il veut émouvoir, indigner, angoisser, et aucun effet de style n'est oublié pour nous convaincre de la perfidie vénale, de la cruauté barbare de la "bande de malfaiteurs "aux ordres de ce patricien dévoyé de Verrès.
 Qu'on en juge:
"Atroce cruauté du destin ! Les parents étaient forcés d'acheter non la vie de leurs enfants, mais la rapidité de leur mort. La dernière prière des enfants à leurs parents était que l'on payât le licteur
(Sextius, l'homme de main de Verrès) pour adoucir leur supplice. Quelle riche imagination pour torturer les parents, les proches ! -Bien riche; mais après la mort des condamnés, ce sera fini .- Non.-Quoi ? La cruauté peut-t-elle aller plus loin ?-Elle y arrivera.
 Car, frappés de la hache et morts, leurs corps seront abandonnés aux bêtes. Si les parents en ont de l'affliction, qu'ils rachètent le droit d'ensevelir les suppliciés !"
On croit rêver ! Comment avoir aussi peu de bonté, de sens moral, d'humanité ! Malgré l'océan des âges, nous plaignions ces parents affectueux de tout notre cœur, leur détresse nous prend à la gorge, Ciceron continue son plaidoyer avec une magnifique emphase, les mots s'emballent, l'exaltation de l'orateur coule à l'instar d'un torrent furieux; nous tremblons, gémissons, sanglotons, nous sommes les victimes, leurs parents, leurs amis, l'avocat nous enlève corps et âme dans sa colère, il habite seul nos pensées, nous gouverne et nous épuise.
Cette fois, c'est au monstre Verrès qu'il s'adresse. Rugissant, pareil à une vague retentissante, Ciceron fustige l'infâme individu:
"On les frappe de la hache. Tu te réjouis au milieu du gémissement universel, et tu triomphes: quel
soulagement de voir supprimés les témoins de ton avarice ! -Tu te trompais, Verrès; tu te trompais lourdement: le sang d'alliés innocents ne pouvait laver tes vols ni tes infamies. C'était folie furieuse de penser pouvoir par la cruauté guérir les ulcères de ton avarice !"
En effet, il reste de précieux témoins des exactions de Verrès, certains commandants ont miraculeusement échappés à la mort, et Cicéron lance ce trait magistral à la tête de l'assassin:
"Voici Philarchus qui n'ayant pas fui, fut pris par les pirates: heureuse captivité, qui l'empêcha de tomber aux mains de ce forban. Son témoignage proclame: congés de matelots, famine des équipages fuite de Cléoménès (complice deVerrès, commandant de l'escadre qui avait ordonné la fuite, mis hors de cause par Verrès )."
Puis, tous les témoins énoncés, Cicéron se tourne vers les juges en invoquant les Dieux dans un grand envol de toge:
"Par les Dieux Immortels !
Qu'en pensez-vous juges, sur votre tribunal ? De quel cœur écoutez-vous ?
Est-ce moi qui délire ? Est-ce que je prends trop au tragique cet abîme de misère où sombraient nos alliés ?
Ou vous aussi, ne souffrez-vous pas comme moi de ce deuil, de cette torture atroces imposés à des innocents ?"
Comment la victoire ne pouvait-elle couronner le front de l'impétueux orateur, combattant pour la justice foulée aux pieds par ce Verrès indigne de porter le titre de citoyen Romain ?
Le monstre subira la disgrâce de l'exil...
Et Cicéron, d'un coup célèbre et glorieux ,s'affirmera comme le défenseur de l'idéal Romain.
Son heure viendra une nouvelle fois au moment de la conjuration de Catilina , un agitateur et un excité, un patricien corrompu jusqu'aux os, voulant prendre le pouvoir par la force, en 63 avant Jésus-Christ. Tout juste élu consul, Cicéron s'imaginait un destin politique. Il écrasa purement et simplement Catilina, déjoua juste à temps son complot grâce à une jeune femme courageuse qui osa se confier à l'avocat; Cicéron, par ses harangues indignées, fit de Catilina, qui essaya de l'assassiner dans la nuit du 6 au 7 novembre 63, l'ennemi public de Rome en révélant aux sénateurs la lâche tentative du meurtre sur sa personne.
Hélas, sous l'effet de la colère, il commit la faute, lui si respectueux des principes du droit, de faire exécuter sans jugement les complices de l'odieux révolté. Les représailles fondirent sur lui en 58:
malgré la fougue furibonde, la vigueur ample et imagée de ses discours: "les Catilinaires ", sommet d'éloquence patriotique, malgré son immense ardeur à défendre Rome, destinée à être incendiée, et les plus loyaux de ses citoyens massacrés, par les conjurés perdant toute mesure, Cicéron fut exilé,
par Pompée, César et Crassus.
 Les trois chefs du gouvernement, les "triumvirs" bientôt ennemis...
Il revint vite à Rome heureusement, au bout d'une interminable année d'ennui au fin fond de la campagne d'Arpinum, une contrée montagneuse, sa patrie natale, au pays des Volsques.
Toutefois, la gloire et l'influence l'abandonnèrent, même après avoir été élevé au rang de gouverneur de Cilicie, un peu avant la guerre civile orchestrée par les deux rivaux sans merci, César et Pompée. Cicéron hésita, tergiversa, fit mine de se ranger d'un côté, tout en aidant l'autre camp.
Cela le perdit aux yeux du vainqueur: César.
Pardonné mais relégué dans le placard doré de sa villa des environs de Rome, Cicéron guettait un signe du destin en sa faveur tout en savourant ses nouvelles amours avec une très jeune "protégée"...
Entre César et l'avocat, une muraille de ressentiment exaspéré freinait la confiance et le rapprochement. On connaît la suite: en 44, César fut sauvagement exécuté en plein sénat; en 43, son opposant Cicéron subit encore pire: il fut égorgé sur l'ordre des vengeurs du premier consul, Octave et Antoine... Mais, son éloquence vole au ciel comme un aigle immortel !
Qui ne se souvient de la première attaque contre Catilina ?
L'entrée vibrante de la "Première Catilinaire " nous subjuguera jusqu'à la fin de toute civilisation:
"Quousque tandem aboutere patientam nostram ,Catilina ?
Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ?
Combien de temps encore serons-nous ainsi le jouet de ta fureur ? Où s'arrêteront les emportements de cette audace effrénée ?
Ô temps ! Ô mœurs ! Le sénat connaît tous ces complots, le consul les voit; et Catilina vit encore. Il vit ? que dis-je ? il vient au sénat; son œil choisit et désigne tous ceux d'entre nous qu'il veut immoler Et nous, hommes pleins de courage, nous croyons assez faire pour la république, si nous échappons à sa fureur et à ses poignards ".
Le maître en éloquence avec ces mots d'une fermeté éclatante appliquait ses propres préceptes:
"Quel empire, quel ascendant comparable à celui de l''éloquence, puisque sous elle les caprices du peuple, la religion des juges, la gravité du sénat, tout plie ?
Qu'y a-t-il enfin de si nécessaire, que d'avoir toujours des armes redoutables aux méchants, et qui nous mettent à couvert des insultes, ou en état de les venger ?"
Merci à Cicéron, à jamais le plus grand avocat de tous les temps !
Lisez-le, vous l'adorerez et il vous inspirera  à chaque moment: vous serez entendus, mieux,
vous serez adorés en déployant le rythme audacieux des mots disant l'amour, l'espoir, la justice...

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
Cicéron: l'avocat génial !


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