mardi 29 mars 2016

Contes du vieux château :Pierre Benoit et sa châtelaine du Liban

Le conteur le plus narquois du XXème siècle, Pierre Benoit se plaisait à décrire de turbulentes et absurdes histoires à de naïfs lecteurs qui n'avaient pas vécu grand chose.
Membre énergique de la cohorte des bâtisseurs de cette citadelle mouvante appelée évasion romanesque, cet insolent mystificateur, a su de temps à autre infliger aux esprits bien-pensants les surprises de l'entrée dans un royaume situé au delà du bien et du mal.
Après les ensorcellements macabres de "l'Atlantide", l'histoire, pareille à un conte de fées, qui s'enliserait dans le désert, de "La châtelaine du Liban" en est la preuve saisissante. Roman d'espionnage au venin exquisement suranné, ce merveilleux récit met en scène l'archétype de l'espionne des années vingt: une singulière comtesse, la somptueuse Athelstane née des amours entre une Lady anglaise et l'amant de cette grande dame, un diplomate russe, le cupide et retors comte Orlof.
Bien plus tard, les mauvaises langues ont eu le front de prétendre qu'il était devenu le propre époux de sa fille présumée...
Cela commence bien ! Quand arrive à Beyrouth, au printemps 1922, le brave et jeune capitaine Domèvre du régiment des Méharistes, ces soldats formés aux chevauchées en plein désert, un nœud de complots alimentés par l'argent anglais est à son paroxysme dans ce Liban placé depuis deux ans sous mandat français par la SDN.
Lucien Domèvre n'a pas encore trente ans et déjà on parle de lui pour une prochaine nomination au titre envié d'Officier de la Légion d'Honneur. En tout point admirable, ce "gendre idéal" vient justement de se fiancer avec l'infirmière qui a soigné sa blessure au bras, la très pauvre et aimablement insignifiante Michelle Hennequin, fille d'un colonel proche de la retraite après une vie passée dans l'ombre du devoir accompli.
Il faut se méfier tout de suite: chez Pierre Benoit seules flamboient les femmes portant un prénom dont la première lettre est irrémédiablement un A. La terne la patiente, la fidèle Michelle est d'emblée hors du jeu. En bonne fille, elle se doute du destin que lui ménage l'impitoyable auteur:
"Je vis dans la crainte perpétuelle de voir surgir quelque chose... Je ne sais pas, Lucien, j'ai peur."
Pour le moment, l'heure est à la douceur de vivre dans cette société cosmopolite qui ne songe qu'à profiter des bals, thés, papotages et flirts mêlant l'utile à l'agréable.
Le capitaine Domèvre, habitué au silence du désert et à l'amitié virile, tout d'abord étourdi par ces cercles pépiant de caquets mondains y puisera vite les éléments essentiels à sa nouvelle mission d'agent du deuxième bureau...
Son expérience en Syrie l'a rendu capable de collecter les informations venant du terrain, autrement dit des bédouins dont les cheikhs amis ou ennemis des Français se plaisent à brouiller les cartes; certains s'arment grâce aux soutien des Anglais, d'autres restent fidèles aux Français en dépit des apparences.
Le Capitaine Domèvre du fond de son bureau feutré a la mission de se mouvoir en esprit auprès de ces méharistes, ses compagnons et amis qu'il protégera de toute la force de son intuition des traîtrises et embuscades imprévues. Sa tâche à priori peu glorieuse se révèle vite extrêmement complexe, il devient en réalité la Providence des hommes de son ancien régiment:
"Moi qui avait craint, installé dans ce poste sédentaire, de m'y mépriser, je me prenais soudain de pitié pour mon existence de la veille... Ici, dans mon étroit bureau, j'avais l'orgueil de la grandeur du devoir qui m'incombait. Chacun de ces documents, c'était du sang, c'était de l'or, des trahisons et des dévouements... Ah ! Monde d'ennemis souterrains contre lequel il me faut , mon cher pays te protéger !D'Hollonne, Roussel, Ferrières, naïfs soldats qui galopez, droits et fermes à la tête de vos hommes, vous ignorez les trappes sournoises qu'on est en train de creuser sous vos pas.
Moi, je sais, je ferai échouer le guet-apens où on a rêvé de vous faire sombrer."
L'épopée s'engouffre dans les papiers, l'aventure étreint le capitaine que l'on croit fabriqué d'honneur et de sagesse. Un être impossible à corrompre, insensible aux passions vulgaires, un bloc de devoir et de patriotisme dont la faiblesse ne s'appelle pas Michelle, la gentille fiancée, mais le terrible capitaine Walter.
Ami ou davantage ?
En auteur bien-élevé des années vingt, Pierre Benoit suggère un lien vivace...
Peut-être même fervent de la part du magnifique Walter qui éclate de jalousie en apprenant l'installation de Lucien Domèvre dans un quotidien ridicule: mariage avec une bécasse, travail de planqué !
Le héros méhariste, l'homme du désert, adulé des mondains de Beyrouth méprise ces humains de pacotille, il n'aime rien à part le combat, le désert et ce capitaine Domèvre qui a l'audace de rompre leur engagement idéal, leur songe de chevalerie héroïque:
 "Te marier, c'est impossible.un homme comme toi, comme moi, ne se marie pas."
L'austère cavalier du désert cache son désarroi sous une sorte de promesse émue; le jour où Domèvre reviendra au régiment, chez lui, avec les siens, son chameau le saluera, pareil au chien Argos qui vint lécher la main d'Ulysse après 20 ans d'absence:
"Ces animaux sont extraordinaires. Dans six mois, dans un an même, je puis te l'assurer, tu reviendrais parmi nous, ton chameau Mechref te reconnaîtrait."
Un monde perdu s'ouvre devant nos yeux; depuis tant d'années déjà, les souvenirs de ces méharistes sont enfouis sous les sables où naguère ces hommes valeureux, venus d'Occident ou d'Orient, galopaient en portant haut leurs couleurs  afin de maintenir la paix dans d'immenses territoires...
Un puissant souffle de vérité allège une action qui ne s'enlise jamais dans l'inconcevable érudition de l'auteur. Pour une fois, Pierre Benoit raconte ce qu'il a vu ! C'est "son "Liban , "sa" ville de Beyrouth
dont il nous livre les clefs avec un sourire moqueur et une grimace attendrie.
A-t-il aimé sur une terrasse au petit matin, en contemplant les neiges du Sannin ou en errant sur la corniche  de l'avenue des Français, la comtesse Athelstane Orlof  ? A-t-il respiré sur son passage cette effluve poivrée, douce-amère, "Après l'ondée" de Guerlain, on en jurerait, prouvant ses mystérieuses allées et venues ?
Cette fatale créature cousue ou sculptée dans l'ancêtre de la "petite robe noire", son pâle visage au regard gris embelli d'une voilette, on la trouve surtout là où on ne l'attend pas !
Débauchée, énigmatique et transparente, exagérément fortunée et tenant sa richesse de sources inavouables, espionne ou plutôt agent double, voire triple, amante insatiable d'hommes de haut rang ou d'un grand pouvoir politique, veuve franchement joyeuse, mélancolique par pose, prosaïque de nature, idéaliste en dépit d'elle-même, la voici sortant de la garçonnière de l'espion anglais de service; le flegmatique Major Hobson qui feint lui-même d'éprouver une sorte d'amitié détachée envers un  Domèvre fort lucide.
Puis, la revoilà, sillonnant ses propriétés de la plaine de la Bekaa, disputant une partie de poker à Beyrouth, dansant un tango lascif, enlacée par le capitaine Domèvre rouge d'émotion et de puérile vanité, avant de s'enfermer dans le lieu le plus ensorcelé du Liban: sa propre citadelle.
Pierre Benoit a-t-il poussé l'aventure jusqu'à escalader les pentes escarpées de ce géant tutélaire érigé par les chevaliers francs ?
De quel songe aventureux a-t-il tiré les murailles et le nom si étrange de "château de la pureté" ?
Le fastueux "Kalaat-el-Tahara" existe-t-il encore ?
 A une heure et demie de  Beyrouth, selon l'auteur, il faut abandonner la route de Raiak, et s'élever sur un chemin étroit ,surplombant la vallée du Nahr-el- Haiyat, une rivière exubérante à la saison des pluies. Le paysage est d'une tristesse sans nom. Au sommet d'une montagne, encerclé de cèdres noirs, le château fait corps avec la pierre dont il est issu. Trente de ses frères parsemaient la Syrie en 1922. "De tous, on retire une impression où le formidable cauchemar produit par ces ruines s'allie à une sorte de fierté mélancolique."
L'envoûtement saisit à la gorge tant l'évocation rend ses prestiges à ce sanctuaire prodigieux; temple d'orgueil et de solitude, seul digne de cette comtesse si extraordinaire de beauté. Le capitaine Lucien Domèvre n'essaie même pas de lutter: il veut voir de près ces remparts démesurés abritant une femme qui l'attire comme un aimant.
C'est une épreuve initiatique, un rite d'amour courtois, un aveu aussi de ce double qu'il porte en lui: un autre capitaine prêt à renier devoir et honneur. Il profite de la nuit et oblige son chauffeur à rouler droit en ces maléfiques solitudes: un exploit pour un officier sans mission établie. Domèvre se cherche de fausses excuses !
 "N'est-ce pas mon métier qui m'oblige à observer de près cette bizarre boîte à surprises orientales ?"
L'agent de renseignement grimpe audacieusement de rocher en rocher, hélas, que voit-il ?
 Deux ombres floues et...plus rien. Si ce n'est le démon de la jalousie s'accrochant en plein cœur ! Quel est cet impudent osant se montrer à la fenêtre de la châtelaine ?
Amoureux honteux cherchant à observer en secret une belle qui en aime beaucoup d'autres.
Domèvre essuie  ce soir-là un fiasco moral . Fourbu et l'âme éparpillé, il se souvient de sa fiancée comptant sur lui en ce soir enchanté à un bal officiel; il renonce un instant au destin le guettant derrière le pont-levis de l'obscure citadelle... mais, il le sent, ce n'est que partie remise.
Il lui manque atrocement quelque chose de sauvage et de capiteux, quelque chose que son amitié particulière au désert avec le capitaine Walter, le tourmenté, le misogyne l'intraitable le possessif Walter n'a pu lui apporter.
Une exaltation des sens, une ivresse du sentiment, un désir charnel que jamais sa convenable fiancée ne comblera. Quelque chose qui donne envie de vivre et de mourir à la fois !
Pierre Benoit s'est-il laissé prendre au piège lui aussi ? Écrivain à succès marchant sur les cœurs de ses admiratrices, fuyant souvent ses encombrantes conquêtes, amoureux permanent, amant collectionneur, pourquoi n'aurait-il confié au papier sa passion inassouvie pour une vraie châtelaine ?
D'autant plus que cette comtesse Orlof s'attache à ressusciter une figure de légende, celle de la "reine de Palmyre", l'anglaise Lady Stanhope, femme de grande allure et d'immense passion, une Lady d'aventures habitée corps et âme par le Proche-Orient.
Morte en 1839, en ayant vécue mille vies en une; de l'Angleterre dont son oncle, Pitt, était le brillant ministre, aux chevauchées inconcevables à cette époque pour une femme de son rang, dans le désert de Syrie; ses efforts pour rétablir la souveraineté de l'ancienne ville de Palmyre, cité de la mythique reine Zénobie, sa lutte contre l'agent de Napoléon afin de se faire des alliés des tribus bédouines, son combat ensuite contre Badia, l'envoyé de Louis XVIII, voulant mettre en place un empire franco-islamique, son rôle occulte d'agent dévouée à l'Angleterre, lui valurent d'être adulée puis repoussée par les seigneurs du Proche-Orient.
Enfin vieille et fanée, ruinée, abandonnée par son pays, cette étrange réincarnation des reines antiques succomba à la misère sur une colline caillouteuse et austère du Liban sud, le Dahr-es-Sitt, la colline de la Dame, au pied de son jardin d'oliviers.
Le jeune capitaine Domèvre ne comprend rien à tant d'exaltation ! Qu'importe cette Lady oubliée ?
Il ne respire que pour l'espionne russe !
Et, celle-ci, calcul, ou attirance amusée, narguant la bonne société,poursuivant un obscur dessein,
fond sur lui, tout charmes dehors ! Le capitaine renie sa réputation de fiancé intègre, piétine son passé et profite sans regrets d'un présent insensé.
Le voici le favori de la comtesse sous les  yeux ébahis, admiratifs  ou méprisants de Beyrouth, le voici hôte chaque soir du château de la Pureté, déambulant au sein des innombrables corridors, traversant les majestueuses pièces, grimpant au faîte des remparts, montant et descendant les murailles géantes portant les blessures des siècles guerriers; visiteur bouleversé devant ces lugubres splendeurs, amant ébloui  d'une reine qui se moque de l'amour et met un point d'honneur à ignorer ses tourments de jeune amant ravagé d'angoisse et brûlé de fièvre.
Son temps est compté mais il ne se l'avoue pas.
Athelstane refuse de s'engager, repousse les serments du malheureux capitaine et finit par l'accabler de trois récits aussi cinglants qu'un coup de fouet: dans chacun, la comtesse livre au grand jour sa vraie rudesse de panthère ne vivant que pour assouvir ses caprices. Ces trois récits forment une halte fascinante, pour un peu on souhaiterait que le roman en reste là. La comtesse ne parvient pas à nous dégoûter, elle a beau s'y employer, c'est impossible, nous devenons ses complices !
Pierre Benoit a le don de ces retours en arrière plus enlevés et d'un esprit encore plus romanesque que l'intrigue principale.
Ainsi, Athelstane, tour à tour, brise l'âme et emporte le cœur d'un beau révolutionnaire russe, tourmente un timide employé, rend sa tromperie à son mari, déguisée d'abord en ouvrière pathétique, ensuite en veuve de bon-ton et, bien pire, en prostituée asiatique...
Ces sauvages et exquises confidences sur l'oreiller ne ralentissent pas la marche rapide d'une ruine annoncée.
La comtesse ne dispose que d'une "solution" afin de continuer son train de vie incomparable et incomparablement coûteux: accepter les largesses d'un "bienfaiteur ", un millionnaire d'Alexandrie.
"M. Keratopoulo ne sera qu'un accident" sans importance dit-elle à son jeune amant effondré.
Cherchant à rassurer ce capitaine sensible, cette femme absolument dénuée de sens moral explique tranquillement:
"Avec sa fortune à ma disposition, je serais fort étonnée de mettre plus de 6 mois à rétablir la mienne. Pendant ce temps, ne crois pas qu'on te critiquera, qu'on te plaindra. Tu passeras pour un malin. Et, les 6 mois écoulés..."
Quel discours ! Le capitaine n'a qu'une planche de salut: reprendre sa vie d'avant, reconquérir sa fiancée malade de désespoir, oublier ses illusions et cette femme sinistre pour laquelle luxe et confort passent avant fidélité et amour.
 Mais il en est bien sûr incapable ! Son honneur lui ordonne de sauver celle qui est le sens de sa vie. Comment réunir la somme colossale indispensable ? Le Major Hobson lui propose un odieux marché: 12 000 livres contre des renseignements secrets sur les chefs bédouins des déserts de Syrie.
Domèvre ira-t-il jusqu'à la trahison, lui, si admirable, si patriote ?
 Un miracle de dernier instant prendra l'allure fière du capitaine Walter ! Domèvre, épargné de la déchéance, perdra cette femme qui l'aimait peut-être davantage qu'elle ne s'en doutait, mais regagnera l'estime et l'amitié des méharistes.
Il retournera au désert où l'attendent Walter triomphant, ses compagnons courageux, âmes fortes, bien loin des égarements de l'amour-fou, le danger quotidien des embuscades contre les bandes rebelles assassinant les cavaliers lancés au galop, et... un ami qui aura le dernier mot: Mechref !
Le brave dromadaire Mechref  s'éveille en entendant son cavalier:
-Mechref, appelais-je.
J'eus contre mon visage l'énorme tête dont la mâchoire s'ouvrit, comme pour un monstrueux sourire. Il en sortit un glapissement de tendresse qui nous laissa, une seconde, pétrifiés.
-Je te l'avais dit, tu vois, murmura Walter, rien n'a changé, puisque Mechref t'a reconnu.
Notre âme d'enfant ne peut s'empêcher d'être émue : l'attachement sans bornes des animaux dépasse souvent la médiocre affection humaine, c'est vrai et ce Mechref des sables devient un héros à part entière .
Lire Pierre Benoit c'est naviguer sur un bateau de pirates qui cingle droit sur l'île de vos rêves !
Amour, politique, histoire, exotisme, aventures, et surtout  un style d'une énergie et d'une fougue changeant tout ce qu'il touche en vie palpitante.
On y croit et on en redemande !
Les plus ahurissants romans de cet auteur faussement sage, habillés de neuf et imprimés de frais depuis 2012, méritent l'engouement des lecteurs de 2018.

Ce serait vraiment dommage de vivre sans Pierre Benoit, un auteur qui n'ennuie jamais et sait adoucir les heures douloureuses ou simplement mélancoliques...

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse


Un officier Français du corps des Méharistes sur sa monture du désert


Château de St Michel de Lanès


Cabinet St Michel Immobilier CSMI

mardi 22 mars 2016

Contes du vieux château: Apollinaire et Lou: l'amour terriblement


Qui n'a  rêvé de Lou, l'étoile maudite du poète Guillaume Apollinaire ?
 Lou l'incandescente, la scandaleuse, la "garçonne" prête à tout, avide de tout, fêtant ses 20 ans en 1900, décidée à conquérir le monde des hommes et ces derniers en même temps !
Cette aviatrice, une des premières de France, rebelle, ravageuse, ensorceleuse, rencontrée à Nice en septembre 1914, semblait au poète un fléau délicieux, bien plus redoutable que les débuts effroyables de la première guerre mondiale.
Amour insensé, amour repoussé d'abord. Passion vaincue d'avance née sur la Promenade des Anglais,
face à une mer libre, au moment de l'entrée en guerre.
L'effervescence du moment bouscule conventions et protocole quand se lève une  aube glorieuse et limpide sur la Baie des Anges. Tout Nice est en marche; les promeneurs se sourient sans se connaitre, excités ou taciturnes. Les uns s'interpellent sur la plage de galets lavés de blanche écume; les autres se saluent gravement en songeant à de funestes lendemains...
Apollinaire griffonne ou gribouille sur un carnet relié de cuir, les yeux noyés du bleu irisé de mauve de la mer au petit matin. La comtesse, le reconnaît, ses voiles, à la nuance perle ou rose poudré, la nimbent comme l'ange qu'elle ne sera jamais, elle pose son ravissant caniche, et s'écrie: "Monsieur ! j'ai tellement entendu parler de vous !"
Un soleil infernal s'accroche soudain au ciel transparent, la tragi-comédie commence.
Entre le poète et la "gracieuse et novice aventurière, frivole et déchaînée" comtesse de Coligny-Châtillon" le coup de foudre est un coup de sang. Voluptueuse rousse au regard d'un vert profond, à la démarche chaloupée et aux appétits assez exubérants pour emporter son nouvel amant dans un gouffre dont il ne revint pas, la comtesse Lou n'eut besoin que de quelques mois afin d'inspirer un chapitre insensé à l'élève-artilleur Apollinaire.
 Consumé de passion au dernier degré, le poète, espérant passer ses rares permissions avec celle qui s'amuse de sa cour pressante, rejoignit le 31ème régiment d'artillerie à Nîmes avant son départ pour le front.
 Exacerbée par l'absence, sa passion s'écrivit chaque jour sur le ton le plus intrépide, créant un domaine d'une franchise absolue, d'une crudité sauvage rachetée par le lyrisme d'une âme douloureuse.
Brûlantes de pureté, éclaboussées d'érotisme glorieux, les lettres d'Apollinaire à sa capricieuse  égérie étourdissent et  ravagent les lecteurs presque honteux de pénétrer en un domaine interdit.
Ce sont les plus beaux vertiges de l'amour et les plus désespérés aussi.
 Apollinaire est un mendiant du sentiment réciproque, Lou, un être fondamentalement libre que nul ne peut mettre en cage.
La guerre rugit en toile de fond, la tragédie rampe sous la mitraille.
L'amour dompte-t-il la peur qui vous prend aux entrailles ? Les lettres crient le nom de Lou comme l'écho profond du désespoir, l'aveu de la nuit noire de l'âme...
Apollinaire compte les jours le séparant de son amante, sa vraie guerre, c'est elle !
Somptueux, les poèmes volent comme des flèches de feu vers le ciel des amours immortelles.
Le 30 janvier 1915, trois mois à peine après être devenu le malheureux amant de l'impitoyable comtesse Louise de Coligny-Châtillon, "Lou", Apollinaire lui envoie de Nîmes, cette lettre ou poème épistolaire, comme on voudra, déclaration virile et vigoureuse hantant à jamais ceux qui l'ont lue par le hasard des classes de français:

Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou, ma bien aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleurs

Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier

Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur!
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

Ô mon unique amour et ma grande folie !

La nuit descend
On y pressent
Un long destin de sang

Hélas, Lou courant d'un amour à l'autre, ne répond guère à ces vers sublimes; et Guillaume se plaint en prose, sans hésiter à user de mots énergiques qui glisseront sur l'amante comme une averse sur la mer.
Toujours de Nîmes, le dimanche 17 janvier, exaspéré, angoissé,
furieux, l'élève-artilleur du 31ème régiment d'artillerie, trace ces phrases pareilles à une coulée de feu:
"Je te demande encore, mon Lou, de répondre à mes lettres. Si tu les lis, réponds-y. Si tu ne les lis pas ...Obéis-moi, Lou ! Pense que je t'aime autant avec l'âme qu'avec le corps... Songe à la douceur, au charme de nos entretiens, contemple ton esprit charmant dont j'adore les traits inattendus... notre amour ne peut pas, ne pourra jamais être platonique, mais il faut que nous nous aimions autant hors de la chair que dans la chair. Pour moi, je t'aime autant l'un qu'en l'autre et je t'assure que ce n'est pas peu dire..."
Apollinaire en exige-t-il trop ? La comtesse Lou est-elle autre chose qu'une séductrice attirée par le précipice ? Ces poèmes retentissants en nos âmes adolescentes, ce langage de l'amour souffrant, ces appels d'un amant affrontant l'ombre de la mort chaque matin, ont-ils même été lus par leur celle qui s'agaçait  à force de ce courrier effréné ? Comment ne pas courir vers celui qui clôt sa lettre suppliante en faisant de la femme tant aimée l'image radieuse de la paix ?
Cette paix attendue en avril 1915 viendra si tard... (cette paix qu'Apollinaire ne verra pas).

"C'est l'hiver et déjà j'ai revu des bourgeons
Aux figuiers dans les clos Mon amour nous bougeons
Vers la paix, ce printemps de la guerre où nous sommes.
Nous sommes bien. Là-bas, entends le cri des hommes.

Ils crient. Cri vers le printemps de la paix qui va venir. Entends le cri des hommes.
Mais mon cri va vers toi mon Lou tu es ma paix et mon printemps
Tu es ma Lou chérie, le bonheur que j'attends.
C'est pour notre bonheur que je me prépare à la mort.
C'est pour notre bonheur que dans la vie j'espère encore."

Puis, d'une aile lyrique, le chant épistolaire embrasse l'univers martyrisé, la guerre devient symphonie, et Lou la déesse salvatrice:

"C'est pour notre bonheur que luttent les armées
que l'on pointe au miroir sur l'infanterie décimée
que passent les obus comme des étoiles filantes
que vont les prisonniers en troupes dolentes
Et que mon cœur ne bat que pour toi ma chérie
Mon amour, ô mon Lou, mon art et mon artillerie."


Apollinaire n'est pas le poète de la guerre, il est poète dans la guerre.
Face à l'insoutenable, il écrit, il rend compte de l'horreur en lui insufflant un rythme cosmique. Un Dieu invisible sauve du néant , de la barbarie inutile. C'est lui qui métamorphose le poète en un brave presque inconscient, en un artilleur qui tire le canon avec exaltation.
Apollinaire est pris d' ivresse de vie au sein des combats !
La mort gronde: on doit la  traiter  en fauve à dompter  jusqu'au moment fatal où les forces vont manquer .mais, il faut nourrir ce courage du suc de l'amour, il faut faire l'amour sur le papier en froissant les lettres de cet autre bête féroce qui à nom Lou. Le lien entre le poète combattant et l'aristocrate infidèle passe par les mots; souvent violents, écrasés d' érotisme, hallucinés de fièvre, révélant un ébranlement incurable; puis tendres, délires de naïveté, tourbillon d'extase et incantations  douloureuses.
Apollinaire tente le tout pour le tout en février 1915;
il sait que Lou aime ailleurs, elle n'a rien avoué, mais on ne peut rien cacher à un amant dévoré d'une passion lancinante qu'avive encore le pressentiment du destin ne lâchant jamais sa proie.
Dans un immense élan de rédemption, le poète pardonne à celle qui ignore la nature prodigieuse de l'amour, force inaltérable qui fait plier le mal, et ranime les volcans éteints. Le temps lui est atrocement compté, il s'engage dans une lutte épistolaire afin de garder celle qui, pour lui, est toutes les femmes en une, Lou, sa bénédiction sur cette terre meurtrie par la guerre. Ses mots jaillissent en fanfare, nulle amante au monde ne résisterait à cette tempête extraordinaire; Lou, lointaine, se tait sous l'orage... Et pourtant:
"Ô Lou bien aimée, sois bénie pour m'avoir donné un amour inouï, plus fort que tous les amours qu'aient jamais éprouvés les hommes. Sois bénie pour t'être donnée complètement. Sois bénie en ta chevelure qui est comme du sang versé. Je t'aime."
On devine que la réponse reçue sera peu en accord avec ce déluge sentimental ! Lou réplique de façon nette et concrète... Le sexe est le seul ciment, l'amour un parfum éphémère. Apollinaire combat de plus belle. Non, le plaisir ne suffit pas, l'amour est un tout, sensuel et sacré, un lien victorieux  au bout de la vie, au bout des jouissances, au bord de la mort.
A la dévoreuse affamée d'érotisme, il affirme sans savoir s'il sera entendu:

"Tu m'as parlé de vice en ta lettre d'hier.
Le vice n'entre pas dans les amours sublimes.
Il n'est pas plus qu'un grain de sable dans la mer,
Un seul grain descendant dans les glauques abîmes.

Q'importe qu'essoufflés, muets, bouches ouvertes
Ainsi que deux canons tombés de leur affûts,
brisés de trop s'aimer, nos deux corps restent inertes!
Notre amour restera bien toujours ce qu'il fût..."

On peut écrire soir et matin et devenir une ombre. Apollinaire envoyé au front en avril 1915 en fit l'habituelle et lourde constatation. Amoureuse  d'un autre,depuis Pâques 1915 , Lou écrivait des mots débordants d'une vie qui ne concernait plus son amant, des confidences un peu malsaines que l'autre endurait, montrant à la fois son amour infini et un esprit singulièrement complice. La correspondance perdura bien après la rupture. D'ailleurs, y eut-il réellement rupture ? Apollinaire tentait de se ranger en se confiant à une marraine de guerre, Madeleine Pagès , jeune fille sage et insipide qui le rassurait en étant aussi différente de la comtesse folle que sa raison l'avait décidé... Cette amitié amoureuse épistolaire avait la saveur douce de l'ennui provincial.
Lou, cynique, inconsciente, égoïste, jalouse, ou l'ancien amour encore attachée au cœur, qui sait, écrivait toujours; le poète lui inventait toujours mille vers, mille lettres, mille dessins...
Il avait pourtant affirmé: "Je ne veux plus t'aimer, on souffre, on souffre, puis on apprend à ne plus souffrir. "Qui peut sonder le cœur des hommes ? La guerre continue, inexorable.
Apollinaire en septembre 1915 reçut les galons de maréchal-des-logis, ambitieux, il passa dans l'infanterie afin d'atteindre le grade d'officier. Mal lui en pris ! Il rejoignit les tranchées de Champagne , l'horrible existence des pauvres hères martyrisés sous la boue, les tirs incessants, les cadavres entassés...
Trois mois d'héroïsme de l'ombre et le coup fatal de la destinée: voici 100 ans tout juste, le 17 mars 1916, comme il parcourait le "Mercure de France", son rempart contre les tueries inutiles, l'anéantissement de corps et d'esprit quotidien, il fut touché à la tête par un éclat d'obus. Il survivra affligé d'une blessure incurable, trépané de la manière la plus barbare, jusqu'au 9 novembre 1918...
Sa devise, "tout terriblement", sonne comme un généreux adieu.
Lou, assagie, menant l'édifiante vie d'une grande dame recevant en un de ces salons mondains où l'on se penche fort peu sur les malheurs des poètes, aura-t-elle senti une morsure en son cœur aussi froid que son corps était ardent ?
Son amant avait eu l'âpre espoir ancré dans l'âme jusqu'à son dernier jour. Il se lance à la reconquête de la comtesse "Alouette" en jetant dans sa bataille contre l'amour impossible un testament: le poème L'amour, le dédain et l'espérance".
"Et qui peut prendre qui peut saisir des nuages ? qui peut mettre la main sur un mirage ? et qu'il se trompe celui-là qui croît emplir ses bras de l'azur céleste !
J'ai cru prendre toute la beauté et je n'ai eu que ton corps
Le corps hélas n'a pas l'éternité.
Le corps a la fonction de jouir mais il n'a pas l'amour
Et c'est en vain maintenant que j'essaye d'étreindre ton esprit
Il fuit il me fuit de toutes parts comme un nœud de couleuvres qui se dénoue

Je suis honteux je demeure confondu je me sens las de cet
amour que tu dédaignes
je suis honteux de cet amour que tu méprises tant
Le corps ne va pas sans l'âme
Et comment pourrai-je espérer rejoindre ton corps de na-
guère puisque ton âme était si éloignée de moi
Et que le corps rejoint l'âme Comme font tous les corps vivants
Ô toi que je n'ai possédée qu morte !"

Au bout des adieux, à l'orée des bois noirs de la douleur tangible comme un manteau de plomb, reste une faible lueur, hasard, intuition, volonté de vivre, Apollinaire ne baissera jamais la garde de sa passion:
"Allons mon cœur d'homme la lampe va s'éteindre
Verses-y ton sang
Allons ma vie alimente cette lampe d'amour
allons canons ouvrez la route
Et qu'il arrive enfin le temps victorieux le cher temps du
retour "

Aux éternels adolescents engloutis dans le tourbillon des illusions déçues, il reste la musique,
l'eau dansante, la grâce immortelle d'un poète qui rejeté par l'amour le vécut au centuple.

A bientôt, vers de nouvelles lettres d'amour et de folie,
le monde épistolaire est aussi vaste et profond que toutes les mers de notre planète bleue !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse


Peut-être Lou de Coligny- Châtillon,
 amante qui rendit fou de douleur et d'amour le poète Apollinaire,
 une mystérieuse aviatrice vers 1910, par Helleu


Château de St Michel de Lanès


Cabinet St Michel Immobilier CSMI

vendredi 18 mars 2016

Lettres d'Espagne: gitanes, auberges et bandits !


Prosper Mérimée, bien avant de devenir l'homme de Lettres reconnu et le spécialiste des Monuments Français sous le second Empire, était déjà dans sa jeunesse folle un homme trop élégant pour ne pas se moquer de lui-même et de ses aventures en pays inconnu.
L'Espagne ainsi le jeta dans des situations absurdes au cours d'un voyage enlevé par un remarquable souffle épistolaire. Ce fut réellement  une initiation, nourrie d'expériences vécues avec un regard aiguisé, et caracolant sous une  plume caustique. L'automne 1830 s'étendait sur une civilisation aussi bizarre pour un dandy parisien que la Chine de Marco Polo !
L'esprit lucide, la curiosité en étendard, l'humeur intrépide, le jeune Parisien se lance en Andalousie comme une âme entre au Royaume des Ombres; les contes et légendes n'égarent pas en route celui qui observe la plus élémentaire réalité: "l'usage de peindre tout en blanc, c'est la seule propreté d'un pays où l'on mange des mouches dans la soupe dans les meilleures saisons."
L'indiscrète  rumeur des salons mondains raconte que le beau Prosper court les déserts espagnols afin de se guérir d'une déception amoureuse
. Le remède est d'une grande efficacité: le dandy au cœur souffrant affirme, au fil de ses rencontres avec un monde bruissant des coups de feu des brigands et des volants des belles paysannes ou gitanes, un style très singulier; un mélange de froideur et d'intense passion, une volonté de conserver la réserve du conteur tout en la bousculant d'humanisme joyeux.
De cette neige ensoleillée glissent les merveilleux récits adressés aux vieilles connaissances ou à un public d'esthètes friands d'horizons inédits.
Une des premières lettres persifle avec tendresse l'originale hospitalité des auberges espagnoles.
Son heureuse destinatrice s'est sans nul doute étranglée de rire en la parcourant et nous l'envions infiniment ! Confidente, amie, amante, qui était au juste cette charmante Sophie résidant "Au Jardin des Plantes à Paris" ? Le passé des complices amusées  de ce Prosper adoré des jolies parisiennes ne l'a  pas engloutie.
 Cette lettre malicieuse adressée à la future Madame Ducrest de Villeneuve  pétille au delà du temps. La destinataire , ravissante et spirituelle amie de Stendhal le vaut bien !
Son cher ami lui écrit de Grenade, le 8 octobre 1830. Et, afin de bien marquer cet acte, à priori banal, du sceau de l'importance extrême, il précise tout de suite: "savez-vous Mademoiselle, qu'en vous écrivant, je fais une action sublime ?" Ciel !
On imagine cette Sophie excitée et radieuse; l'Apollon du Faubourg Saint-Germain lui tenir ce langage !
Que se passe-t-il  au juste ? Le beau Prosper attend de l'argent de France, il n'a plus un sou et la poste locale exige qu'il verse "une piécette": somme dérisoire à Paris, somme colossale quand on ne dispose que de 9 francs dans un pays qui ne vous fera grâce de rien. Sa correspondante doit revêtir une extrême importance afin de mériter pareil sacrifice. Pourtant, le ton de cette lettre si coûteuse n'indique aucune tendre intention !
 Le voyageur persifle au galop, s'amuse de tout et nous entraîne dans son tourbillon.
Grenade comble ses envies de grandiose en ruines; mais, ne comptons pas sur une description savante et minutieuse. Mérimée haïssant par dessus tout l'ennui mortel des longues explications, la charmante Sophie se contentera de cette envolée lapidaire: "Je ne vous dirai rien de l'Alhambra: vous l'avez dans votre bibliothèque; mais croyez que vous n'êtes pas dispensée de faire le voyage de Grenade et qu'aucun livre in-quarto ne pourra vous donner une idée de la Tour des Lions et de la Salle des ambassadeurs." Le romantisme à la mode de Chateaubriand n'est pas de mise chez Mérimée, l'impertinent se contente de confier qu'il dînera au sein de "ces ruines vénérables "; mieux, une bonne libation tiendra lieu d'ivresse archéologique: "Imaginez le plaisir que j'aurai à boire du bon vin de Jerez dans le palais de Boabdil !".
On imagine la moue de Sophie ! L'émotion voilée de son correspondant la touche-t-elle ? Mérimée s'en soucie peu ! Son goût pour le concret sans fioritures sentimentales donne une vie piquante au moindre détail. Quel calvaire avant les merveilles de Grenade ! Lui, l'arbitre des élégances, juché ridiculement sur un âne, n'a-t-il affronté les déserts Andalous ?
 N'a-t-il été palpé par une paysanne admirant la qualité de son habit ? Le voilà rendant mot pour mot un dialogue avec un montagnard avide de connaissances:
 "J'entre dans une boutique d'une mauvaise petite ville de montagnes, et je demande des cigares.
Ah! Vous êtes étranger ? - Oui -Ynglesito ? (Les Andalous se servent toujours de diminutifs)
Français ? - Oui - Militaire ? - Non - Marchand ? - Non - Qui êtes-vous donc ? - Un homme qui demande des cigares - Est-il vrai qu'il vient des soldats de là-bas ? (Ici je ferme les yeux et baisse les deux coins de ma bouche , ce qui veut dire: "je ne sais pas ")
Etes-vous marié ? Parlez donc un peu français pour voir quelle langue c'est-Moi: "que le diable vous emporte !"
Les Andalous vous étourdissent donc de paroles  mais répugnent à vous offrir le couvert.
Mérimée éclaircit le mythe des Auberges espagnoles; c'est tout simple, on n'y trouve que du pain et de l'eau ! Si on désire se mettre davantage sous la dent, il faut se munir de quelque pitance rencontré en chemin:
 "Souvent, j'ai porté en croupe un coq vivant dont je devais souper le soir. Il ne fallait rien moins que l'appétit que donne l'air des montagnes pour me rendre insensible au sort de cet infortuné volatile et particulièrement à la dureté de sa chair."
Sustenté des os de son maigre trophée, le dandy encore affamé doit endurer un autre supplice. Les lits sont une rareté dans les auberges perdues ! La plus évidente courtoisie force ainsi les voyageurs à la promiscuité hasardeuse, à plusieurs sur  un matelas, punaises à partager pour tout le monde !
Le plus saumâtre restant l'obligation de dévorer le repas frugal dans un plat commun: "il serait indécent et extravagant de demander une assiette à part, ou de prier que l'on servît les cheveux séparément pour l'usage de ceux qui les aiment."
Des profondeurs de sa bergère confortable, la charmante Sophie, rêveuse, sa tasse de porcelaine de Sèvres à la main, a dû s'étouffer avec son thé de Chine en découvrant ce passage d'un prosaïsme confondant !
Le beau Prosper avait une chance de se faire pardonner, sans doute sa correspondante espérait-elle une bataille des plus romanesques entre son cher dandy et un prince des voleurs. Quoi de plus exaltant que la description d'un vrai bandit au grand cœur ? Là encore, Mérimée énonce une vérité bien décevante; il n'a aucune magnifique histoire de brigands à raconter !
 Nul frisson, juste une remarque d'un intolérable bon sens, à se demander ce qu'à l'Espagne sauvage de si palpitant ! "Je n'ai rien à vous dire des voleurs. On dit que le pays en fourmille, mais je n'en ai pas rencontré .
De quoi vivent ces pauvres diables ? Je ne conçois pas ce que l'on peut prendre dans une venta excepté des bancs et la poêle à frire. "Pauvre Sophie ! le pire est pour la fin de cette lettre dénuée de lyrisme mais riche en traits acérés.
Le mordant de Prosper s'adoucit de façon à éveiller la jalousie de sa correspondante; cette fois, la tasse à thé vole en éclats rageurs ! Le dandy amateur de beautés de toute sorte a l'audace de croquer les appas superbes, les charmes ahurissants des Dames Andalouses ! Ces originales créatures méritent des louanges enflammées ! Et le jeune enthousiaste s'écrie: "Quant à l'article pieds, avant d'avoir vu Cadiz, j'ai accusé les voyageurs d'exagération, mais après avoir vu la promenade, un dimanche, et les souliers qui s'y promenaient, j'ai trouvé qu'on n'avait pas assez loué leur petitesse et leur élégance."
Sophie peut s'en convaincre facilement: son ami a l'obligeance d'agrémenter ses dires d'un délicieux dessin affirmant la grâce naturelle d'une ravissante autochtone aux cheveux "qui traîneraient à terre si on ne les rattachait sur le haut de la tête avec un peigne de dix-huit pouces de haut."
Prosper Mérimée serait-il amoureux de "Carmen" ? Le feu espagnol habite désormais ce cœur de glace !
Un roman s'écrit en sourdine au hasard de ses pérégrinations... Il a regardé sa Carmen sous l'âpre soleil de Cadix; la légende lui parle vite de son second héros; le bandit généreux, l'amant de la gitane capricieuse. Avant don José, voici José Maria; le "Robin des bois "Andalou.
Sophie, hélas, ne recevra pas la longue et passionnante lettre relatant les égarements fantasques et les gestes chevaleresques d'un preux dont la tête est mise à prix dans toute l'Espagne.
Mais, si  en 1831,elle était abonnée à la très éclectique "Revue de Paris", la jeune amie du hardi cavalier aura eu le plaisir presque coupable d'approcher les vices et vertus de la caste des voleurs livrée au public par un Mérimée habillant ses sarcasmes de fausse candeur.
Comment devient-on brigand sur les chemins espagnols ? Par la faute d'injustes lois !
"La profession de voleur n'est point regardée comme déshonorante. L'homme qui n'ayant qu'un fusil, se sent la hardiesse pour jeter le défi à un gouvernement, c'est un héros que les hommes respectent et que les femmes admirent."
Cet homme au destin tragique et généreux existe: on en rabat les oreilles à Prosper qui finit par l'imaginer aux aguets, armé de son arquebuse dans chaque auberge.
A ses débuts, l'illustre voleur José Maria arborait le visage ouvert d'un studieux étudiant en théologie. Il a gardé de bonnes habitudes de cette époque intellectuelle: "Son linge est toujours éclatant de blancheur, et ses mains feraient honneur à un élégant de Paris ou de Londres."
Un brigand bien tenu, beau, et de surcroît bien élevé. Sa délicatesse n'a pas de limites: "S'il arrête une diligence, il donne la main aux dames pour descendre et prend soin qu'elles soient commodément assises à l'ombre... Jamais un juron, jamais un mot grossier."
Le galant José Maria a inventé une technique singulière afin de dépouiller à l'instar d'un amant fort épris les douces victimes ravies de consentir: une bague contre un baiser ! Mérimée, passé maître dans l'art de la conquête féminine, décrit ce tour de force d'un ton fervent; aurait -il envie d'imiter ce modèle ? On le croirait presque ! Que dit José Maria afin d'obtenir le bijou ? Un compliment irrésistible: "Ah! Madame, une si belle main n'a pas besoin d'ornements !"
Puis, la malheureuse accepte un hommage exquis: "il baise la main d'un air à faire croire que le baiser avait pour lui plus de prix que la bague. La bague, il la prenait comme par distraction, le baiser, il le faisait durer longtemps..."
Servi par une garde de complices d'une fidélité infaillible, d'une bravoure invincible, le brigand est aussi entouré d'espions à sa dévotion; il échappe aux traquenards et sait épargner ses ennemis.
Ce héros, chanté par un Mérimée qui lui pardonne tout puisqu'il l'intrigue, l'amuse et le fascine, réunit tant de panache, d'habileté, de noblesse de cœur et d'âme que l'on ne sait plus très bien si on se moque de nous !
De sa voix impavide, le dandy lisse sa cravate, rajuste ses manchettes, secoue sa canne au pommeau d'ivoire; et de sa plume flegmatique, un sourire à peine ironique aux lèvres, incite sans façon ses lecteurs épouvantés à embrasser ce métier appris à la pointe du sabre.
Ses anecdotes savoureuses fusent comme autant de louanges: quel bandit poli ! Ne  faisait-t- il don à l'un d'une mule, à l'autre de la vie, et à une aimable jeune mariée de la paix nécessaire à ses noces ? Quel bienfaiteur de l'humanité ! Au lieu de tuer vulgairement en plein banquet de mariage un méchant notaire  qui avait demandé à son fermier de le gorger d'arsenic, José Maria, invité inattendu,se consacre à la craintive épousée. "José Maria déclara à la mariée qu'il la priait de le tenir pour son serviteur, et qu'il ferait avec joie tout ce qu'elle voudrait bien lui commander. "La pauvre jeune femme ne perd pas une seconde !
La réputation de courtoisie du bandit va être mise à l'épreuve; la jeune mariée tremble, mais elle a confiance en cet homme redoutable. Un autre la tuerait, celui-ci l'écoutera !
 "Accordez-moi une grâce, dit-elle.
- Mille! s'écria José Maria.
- Oubliez, je vous en conjure, les mauvais vouloirs. Promettez-moi que, pour l'amour de moi, vous pardonnerez à vos ennemis , et qu'il n'y aura pas de scandale à ma noce."
Bien sûr le bandit accepte ! "Pendant le reste du dîner et le bal qui le suivit, il se rendit tellement aimable, que les femmes avaient les larmes aux yeux en pensant qu'un aussi charmant garçon finirait peut être un jour à la potence."
Le bandit Mérimée en rit encore !
Ce diable parisien  sortira du terreau de ses voyages ses intrigues féroces et leurs amours insolites; histoires brèves, racontées, sans graisse inutile, pour la joie d'inonder d'horreur d'honnêtes lecteurs soudain abreuvés au suc amer du fantastique...
Mais dans sa correspondance on découvre le conteur parfait; l'homme altruiste, sensible et s'évertuant à le cacher, humain et refusant de l'avouer, adorant par dessus-tout s'aventurer en terres nouvelles ;voyageur solitaire et glacé, mais aimant l'ami étranger, se passionnant même pour lui, à condition qu'il ne s'approche pas de trop près !
Comment se passer de Prosper Mérimée ?
Et de ses héroïnes, Colomba et son poignard, Carmen et son cœur de tigre!

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse


       
         
Château de St Michel de Lanès

     Cabinet St Michel Immobilier CSMI 



vendredi 11 mars 2016

L'amour en hiver selon Musset !

L'hiver inspire le réchauffement des coeurs glacés, c'est ce que nous promet le bel Alfred de Musset !
Vous l'ignoriez sans doute, mais ce prince noir des romantiques, n'est pas seulement un cœur blessé et gémissant sous les trahisons de ses  cruelles amantes.C'est aussi un auteur comique , et je n'invente rien !
Saviez-vous que son ironie aimable, sa verve acérée sauvent, grâce au Ciel, ses pièces de théâtre d'un naufrage sur les rochers de la sensiblerie ?
Vers 1835, une cascade  d'aimables et piquantes intrigues, mettant en scène des personnages volés à Marivaux, s'échappe de son imagination nourrie de romanesques déceptions.
Le poète porté par la grâce de la création retrouve sa passion de la vie largement émiettée après ses extravagances vénitiennes sous la griffe de son amante, l'excessive George Sand.
Sa rencontre avec la suave et compatissante Madame Jaubert, le guérit des volcans et des fureurs.
Une amitié épistolaire se noue et perdure jusqu'à la mort prématuré du poète. Le sentiment fort tendre unissant les correspondants eut l'élégance de rester discret, noble et fidèle.
L'amour n'est plus une calamité, un gouffre dont nul être à l'âme élevée ne sort vivant, c'est un bienfait qui vous réchauffe.
 Un peu comme le feu brûlant chez une adorable et frileuse Marquise un après-midi de janvier...
L'histoire, ou la pièce destinée à être lue autant que jouée, se veut une comédie affublée du titre d'un proverbe inventé:
"Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée."
Cette porte, bien sûr, protège la Marquise des frimas de saison et des visites importunes. Mais elle a un" jour" sacré qui voit défiler dans son petit salon admirateurs, curieux ou snobs de toute espèce. La Marquise est, cela va de soi, exquise.
 Elle joint aussi à la liberté mélancolique du veuvage, l'originale simplicité d'une très relative pauvreté. Sa domesticité ne se compose que d'une femme de chambre et, peut-être, d'un valet bon à tout et sans doute propre à rien.
Mais, les visiteurs ne lui manquent jamais car elle sait faire oublier sa gêne par les douceurs de son caractère et la beauté de sa figure. Elle va au bal, sort aux Italiens, et reçoit quelques hommages plus ou moins empressés.
Pourtant, la Marquise n'a rien d'une coquette, elle se borne à mener la vie assez retirée  d'une grande dame qui a connu une ancienne prospérité. A une exception: son "jour" fixé chaque mardi. Et ce mardi là, sa courtoisie lui joue des tours; ainsi, en ce début janvier, s'efforce-t-elle de ne pas s'agacer de l'intrusion du Comte.
Ce butor de bonne famille entre à grandes enjambées, tourne autour de sa fêle personne en affectant les manières d'un ours cherchant sa pitance !
Pourquoi est-il là ? Respecte-t-il le fameux "jour" de sa voisine ou, au contraire, espère -t-il que le froid intolérable égarera les visiteurs en route ? Que cache-t-il sous sa mine soucieuse ?
L'impertinent s'explique crûment:
"Eh bien ! J'étais un peu ennuyé. Je ne sais ce que j'ai... Je me désole depuis midi; j'ai fait quatre visites sans trouver personne. Je suis sorti par un temps glacé; je n'ai vu que des nez rouges et des joues violettes. Je ne sais que faire, je suis bête à plaisir."
Quel début ! La Marquise, femme douée d'une grande habitude mondaine, ne s'offusque pas de cette étrange humeur.
Elle répond sur le même ton. Le froid l'ennuie et, dit-elle, avec une charmante espièglerie que l'autre ne comprend guère,:
"Je commence à avoir trente ans, et je perds le talent de vivre."
Le Comte ne saisit pas cette perche tendue: au lieu d'affirmer à cette jolie femme qu'elle est bien loin des affres du grand-âge, il renchérit:
 "En prenant des années, on devient plat ou fou,et j'ai une peur atroce de mourir comme un sage."
La Marquise sent la moutarde monter à son nez de Vénus désargentée !
Quel discours ce malotru va-t-il lui tenir devant un feu qu'il ne sait même pas entretenir ?
Justement, le voilà qui fait mine de partir tout en gardant la porte entre-baillée, de façon à laisser les plus cruels courants d'air frigorifier sa charmante hôtesse. Manifestement, quelque tourment travaille cet homme... Il salue, puis se ravise et se jette à l'eau.
Un horrible soupçon l'étreint, cette jolie veuve aurait-elle envie d'en finir avec ses ennuis au point de se jeter au cou d'un parvenu richissime ? Le Comte, bien naïvement, ignore que la Marquise se tourmente également. Cet aimable voisin n'a t-il la réputation d'un coureur de jupons ? Un duel à fleurets mouchetés s'engage sur la corde tendue de la jalousie amoureuse. Ce n'est plus du théâtre, c'est de l'acrobatie ! Le vent du nord s'engouffre dans le petit salon douillet, la Marquise frissonne et se venge.
Si elle se montre jeudi prochain aux Italiens, ce sera en la compagnie rassurante et inoffensive de son voisin de campagne, un homme rustique répondant au nom fort commun de Monsieur Camus; un individu qui pour toute obligeante qualité n'a que celle de lui vendre du foin et des pommes !
Cette déclaration si péremptoire chez une femme si paisible a le don de piquer au vif le Comte.
Il ferme la porte et continue les hostilités. Sait-elle, la rumeur qui court en ce moment ?
Non, elle ne sait rien et  en l'écoutant, la Marquise s'étrangle de surprise:
"On dit que vous pensez à vous remariez, que M.Camus est millionnaire, et qu'il vient chez vous bien souvent."
La surprise fait place à l'exaspération. La Marquise comprend soudain beaucoup de choses, mais cette jalousie du Comte lui paraît fort injuste. La prendrait-il pour une sotte ? Comment ignorer que tout en jouant les amoureux transi ce Monsieur aime ailleurs ? Comment ose-t-il lui lancer "au nez " son rustre de Camus ! Les piques assassines fusent!
Le Comte glisse sur les allusions perfides puis explose. C'est un homme au caractère entier ou du moins s'en donne-t-il les allures. "Vous ne voulez pas qu'on vous fasse la cour ?" demande-t-il sur un ton si autoritaire que la Marquise se révolte à son tour.
La voici emportée par l'âpre plaisir de dénigrer les condescendants assauts de séduction habituels chez les hommes du grand monde, et les autres...
Sa parole mord, ses yeux étincellent, le Comte écoute, fou de rage et d'amour !  Quelle diatribe:
"La belle manière de se faire aimer que de venir se planter devant une femme, de la regarder des pieds à la tête, comme une poupée et de lui dire bien agréablement: Madame, je vous trouve charmante ! Joignez à cela quelques phrases bien fades, un tour de valse, et un bouquet, voilà pourtant ce qu'on appelle faire sa cour. Fi donc ! Comment un homme d'esprit peut-il prendre goût à ces niaiseries -là ?"
Le pauvre admirateur tout penaud bredouille une vague excuse, la jeune femme n'écoute plus !
Ses plaintes et accusations envers la gent masculine redoublent !
"Vous autres hommes à la mode, s'exclame-t-elle, vous n'êtes que des confiseurs déguisés."
Lassé, embarrassé, craignant surtout une dernière attaque, le Comte se lève et ouvre la porte.
Bizarrement, le vent glacé calme les humeurs de sa furieuse voisine.
Primesautière, toute colère envolée, la Marquise redevenue exquise réclame un petit service à son voisin étonné; trois fois rien, une bague qu'il serait si serviable de laisser au bijoutier Fossin, l'artisan des grandes dames. En galant homme, le Comte accepte.
Que ne ferait-il afin de plaire à cette belle désabusée !
Va-t-il sortir et fermer cette porte qu'il tient ouverte malgré les supplications de la malheureuse mourante de froid ? Non, c'est impossible !
Le Comte ne peut quitter ce salon, et la Marquise n'a finalement aucune envie de le chasser. La porte est donc refermée. Pour combien de temps ? Le Comte, de plus en plus perdu ,reste en prenant un étrange prétexte: celui de ne plus revenir.
Venir chez sa jolie voisine le bouleverse, il faut que cela cesse !
Soudain inquiète, celle-ci rentre ses griffes, et se découvre sans y toucher:
"Si je vous ai dit que vous m'ennuyiez, c'est que ce n'est pas une habitude. Sérieusement, vous me feriez de la peine; j'ai beaucoup de plaisir à vous voir. "
Elle s'aventure en terrain mouvant...
N'avoue-t -elle un sentiment secret ? Trop tard ! Le Comte, dépité, déçu, recule net.
Il songe à s'exiler en Italie ( heureux mortel ) ! La Marquise sous le choc abat son jeu !
Sa jalousie à l'égard de la dernière conquête de ce séducteur, ce Comte qui, sous ses airs romantiques, n'est qu'un collectionneur de danseuses choisies à l'Opéra, ranime la tempête.
Le Comte, désarmé face à cet ouragan imprévu, prend une nouvelle fois un congé auquel aucun des deux ne désire croire.
"En vérité, dit-il en feignant d'être affreusement blessé,vous êtes trop cruelle ! C'est bien assez de défendre qu'on vous aime, sans m'accuser d'aimer ailleurs."
Sur ce, le ton monte !
Voilà que le furibond accusé menace la Marquise d'une déclaration à la hussarde ! Offusquée, sa voisine riposte en proposant de demander secours à sa soubrette;
en femme du peuple, cette dernière saura la défendre contre pareille vulgarité ! La-dessus, la porte est ouverte d'une main ferme par le Comte craignant un importun.
Le vacarme hivernal s'engouffre dans le salon, pluie, grêle, tonnerre, le climat se met à l'unisson de la bagarre amoureuse. La Marquise perd pied. Il faut que ce maudit voisin reste, coûte que coûte à son orgueil. Elle se dévoile et le Comte reprend un léger avantage:
"C'est effrayant mais fermez donc la porte; vous ne pouvez pas sortir de ce temps-là."
La météo sert à cacher le désarroi s'emparant de la jeune veuve. Si le comte s'en va, son cœur cessera de battre ! Toutefois, l'ingrat ne doit pas s'en douter. Or, l'ingrat en question saisit sa chance au vol. Se rasseyant près de la Marquise, exquise, ronronnante au coin du feu, il s'écrie à la hussarde:
"laissez-moi vous aimer."
L'imprudent !
Quand on s'exprime de la sorte, une femme intelligente entend non pas "je vous aime " , mais "je vous désire". La jolie veuve a d'autres ambitions que celle de se livrer à ce hussard. L'envie de céder à cet amoureux passionné la titille pourtant avec violence.
Voulant et ne voulant pas, tentée et agacée de l'être, au bord de la crise et au bord du gouffre, elle se drape dans un voile de tragédienne revenue des périls de l'amour.
Une dure leçon éclate aux oreilles du séducteur décontenancé. La marquise connaît toutes les astuces, ruses, pièges, flatteries, le complet catéchisme des séducteurs ! Mieux: elle s'est plongé avec une amère délectation dans l'édifiante lecture de cinquante lettres d'amour graduées; achetées par un maître diplômé dans l'art de duper les amantes crédules.
"Il y en avait, raconte-t-elle à son admirateur médusé, pour les déclarations, pour les dépits, pour les moments où l'on se rabat sur l'amitié, pour les brouilles, pour les instants de jalousie, pour la mauvaise humeur ,même pour les jours de pluie comme aujourd'hui. L'auteur prétendait n'avoir jamais trouvé une femme qui résistât plus tard que le trente-troisième numéro. J'ai résisté moi à toute la collection ."
D'abord abasourdi, le Comte décide de protester:
"Quoi ! à votre âge vous méprisez l'amour ? Les paroles d'un homme qui vous aime vous font l'effet d'un méchant roman ? "
Fatigué des attaques et soupçons, il renchérit de sincérité. Et, en devient fort dangereux sans le savoir.La Marquise écoute ses arguments simples, purs, naïfs, "si l'amour est une comédie, cette comédie, vieille comme le monde, sifflée ou non, est au bout du compte, ce qu'on a trouvé de moins mauvais."
La jolie veuve est touchée, son cœur s'emballe, ses mains tremblent, un trouble délicieux l'envahit des pieds à la tête. Face au précipice, elle  se retranche sous ses persiflages: " Monsieur, voilà de la poésie
, Monsieur, voilà de l'éloquence."
On ne saurait en apparence montrer plus de condescendance !
Le Comte s'en moque ! Il veut convaincre ou fuir à jamais ! Oui, il est éloquent ! Mieux, en s'acharnant à persuader cette femme blasée de la beauté de l'amour vrai, il devient incroyablement attirant... la Marquise est bien proche de révéler ses sentiments; épouvantée de sa faiblesse, elle ne baisse pas sa garde. Après tout, les intentions de ce Monsieur sont fort douteuses. N'est-elle pas une grande dame à laquelle on n'oserait faire des propositions inconvenantes ?
Le Comte tente le tout pour le tout: se jetant aux pieds de sa voisine, il exige d'être écouté. Hélas !
l'orgueilleuse lui montre la porte ! Tant pis ! Le Comte se déclare, il aime, il adore; et la cruelle n'écoute pas et le salue bien... Nous le plaignons de toutes nos forces ! Cette fois, c'est à la Marquise d'ouvrir la porte.
Mais, elle omet de la fermer... Le Comte se résigne-t-il ? Seul face à cette porte laissant déferler le courant d'air sibérien, le voici livré à son amertume... Va-t-il sortir de la vie de cette trop moqueuse Marquise qui ne voit en lui qu'un vulgaire collectionneur de bonnes fortunes ?
La jeune veuve excédée, le pousse délibérément à bout. Jamais, elle ne sera sa maîtresse ! Qu'il se fasse une raison ! Le Comte réalise que pour atteindre la chambre de cette jolie femme, il faudra emprunter la route menant à l'Eglise ! Et il accepte ! Le collectionneur renie son goût du vide, l'amour qu'il éprouve malgré lui envers sa belle Marquise le comble à son complet étonnement. Serait-il transformé par l'amour ? Sa défaite l'enivre et le rajeunit, c'est un comble .
"Vous, ma maîtresse ! Non pas, mais ma femme !"
Ravie, rayonnante, victorieuse, la Marquise propose aussitôt d'enlever la couronne de Marquise de sa fameuse bague...
La comédie finit à la manière de "Peau d'Âne "; une bague a mené le Comte vers l'amour, le mariage, et le bonheur. La porte se ferme sur le couple qui  convolera peut-être sans cérémonie sous le soleil hivernal, au coin de la cheminée, sur un sofa complice, en attendant mairie et chapelle... .
Lecteurs ou spectateurs les suivront de loin  vers un jardin des mots, tendres, amers, volubiles, furibonds, enjoués et amoureux.
 Laissez ce réchauffement plein d'esprit vous annoncer le printemps !
La prose d'Alfred de Musset voltige, chavire, chatoie, danse, court, galope, s'emballe et s'apaise en agitant les cœurs et libérant les âmes.
Cela s'appelle poésie et c'est un trésor indispensable.
Le Comte, amoureux malgré lui, et la Marquise, moins dégoûtée qu'elle ne le pensait, sont de toutes les époques, de tous les milieux à l'instar des surprises et revirements du sentiment et de la destinée...

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de la Panouse
Une "Marquise espiègle" : Madame Marotte
Par Jean-Dominique Ingres

samedi 5 mars 2016

"L'Apollon de Bellac": l'humour généreux de Jean Giraudoux !

"On ne badine pas avec l'amour" proclamait, de sa voix lasse et triste ,Alfred de Musset, poète de l'espoir dans le désespoir.
A cette insoutenable mélancolie, Jean Giraudoux réplique, environ un siècle plus tard:
 "on ne badine pas avec la séduction!"
Le chantre des promenades mythologiques, la main tendue  au divin, l'homme pour lequel le ciel de Grèce fourmillait de jambes de déesses, l'inventeur de l'ondoyante, fée des eaux, Ondine, amoureuse éperdue d'un mortel qui lui inspirera ce mot sinistre: "jamais, voilà ce que nous partagerons lui et moi", le créateur d'un style aux amples volutes spirituelles, soudain oublie tragédies et sacrifices. L'écrivain tourmenté par l'absolu,s'apaise, et crée une pièce aussi irisée de soleil que le sourire d'Agnès, son héroïne.
"L'Apollon de Bellac" n'est, toutefois, ni une distraction rose bonbon, ni un feu d'artifices de mots précieux
 C'est une surprise de la séduction; une voltige du charme jouant avec les petites vanités humaines; une leçon sur le sortilège de la parole: l'ingénue Agnès apprend en une journée comment mener les hommes par le bout de son nez grec.
Son maître est un "Monsieur de Bellac"qui en sait long sur l'âme des mortels. Mais qui est-il au juste, ce rusé inconnu ? Un mage ? Un Dieu échappé à l'ennui immortel ? Un Apollon antique descendu de son piédestal de marbre afin de séduire les mortelles ?
Ou un hasard merveilleux qui s'enfuit pour toujours ?
Chez Giraudoux, la mélancolie des destins, chavirés comme des navires en détresse, rode sous le sourire ou les exquises manières...
Et ses pièces laissent une porte ouverte vers l'invisible, peut-être le bonheur perdu attend-t-il dans l'ombre à la manière d'un chat aux aguets.
En ce matin d'avril ou de mai, sans doute à une époque dansante où l'on croyait à l'amour fou, aux vertus de la beauté grecque, et aux inventions de toute sorte, Agnès,une ingénue de 20 ans, belle comme un ange, timide à rougir à chaque seconde, se présente à l'Office des Grands et Petits inventeurs, noble société savante d'une bourgade de Province.
 Sans nul doute le Limousin cher à Giraudoux. Terroir en tout cas assez paisible pour susciter les passions des inventeurs- amateurs, bercés par les meuglements des vaches et la verdeur des belles prairies !
La ravissante Agnès se fait aussitôt rabrouer par un goujat mal-élevé: l'huissier chargé d'inscrire les visiteurs. Assis sur un fauteuil de notaire d'un affreux vert passé ,un homme observe, puis intervient.
C'est le "Monsieur de Bellac", petite commune voisine.
 Un homme à priori insignifiant mais qui sait manier les mots et broder les discours. L'huissier refuse de laisser Agnès prendre rendez-vous avec le Président ? Mais se doute-t-il que cette jeune personne vient d'inventer le légume unique ! Trouvaille vouée à bouleverser le monde, invention dont seul le fameux président daigne se mêler !
 Ce beau mensonge ne sert qu'à augmenter la rudesse de l'employé. Agnès ne passera pas ! Et l'horrible personnage claque sa porte aux deux visiteurs.
Agnès soupire, le "Monsieur de Bellac" réfléchit. Cette ravissante idiote souffre manifestement d'un regrettable manque de confiance. Elle n'a rien inventé bien sûr, elle cherche un travail et ne sait rien faire. "Vous pourriez énumérer le dictionnaire des emplois, dit-elle, jamais je n'aurai à vous interrompre." Le Monsieur de Bellac a une inspiration:
 "alors coquette, dévouée, gourmande, douce, voluptueuse, naïve ?"
Il a trouvé !
Hélas, ces exquise qualités professionnelles sont gâtées par la phobie de la jeune fille: elle a peur des hommes... De tous les hommes sans exception...
C'est épouvantable, explique-t-elle au sympathique envoyé de Bellac, "dès qu'ils me regardent ou me parlent, je défaille".
Le brave homme ose alors une étrange proposition: "Cela vous intéresserait-il de les mener à votre guise, de tout obtenir d'eux ?" Agnès reste incrédule, mais le "Monsieur de Bellac" insiste !
 Il connaît la recette infaillible des séductrices invétérées. Le secret de la réussite sociale, mondaine, amoureuse est à la disposition de l'innocente jeune fille... Doit-on trembler, s'attendre à la plus infâme des suggestions ? Que non pas !
L'univers de Giraudoux est tissé de bienveillance amusée. Il suffit pour en devenir la reine de dire aux hommes qu'ils sont beaux... Suffoquée d'étonnement, Agnès tente de saisir les subtilités cachées sous ces mots :
"Dites-leur qu'ils sont beaux". Cela ne sautait être si simple ! il faut mettre un peu de complication, ajouter "beaux et intelligents " par exemple.
 Le Monsieur de Bellac soupire devant une si touchante sottise. Les hommes, affirme-t-il, n'ignorent en rien l'étendue puissante de leurs facultés, même les plus ineptes sont persuadés d'être les rois du monde; par contre, aucun n'est certain de sa beauté... L'angoisse les ronge ! Mères et sœurs ne les rassurent jamais !
Si Agnès sait donner au mensonge un air de vérité, si elle se lance sans peur, la chance tournera en sa faveur.
"Seriez-vous bornée, Agnès ? Dites qu'ils sont beaux aux laids, aux bancals, aux pustuleux...
Tous le croiront.Tous le croient d'avance. Ceux qui ne le croient pas, s'il s'en trouve, sont même les plus flattés. Ils croient qu'ils sont laids, mais qu'il est une femme qui peut les voir beaux, ils s'accrochent à elle."
Le charmant conseiller déploie en vain sa verve: Agnès n'est nullement convaincue.
Ahurie, elle veut filer à l'anglaise, l'homme la retient et la jette dans la fosse aux lions.Voici le méchant huissier, aimable comme un garde Suisse, ce sera un cas d'école parfait. Au travail Agnès !
Rétive, la jeune ingénue s'exerce sur un paisible papillon qui voletait par là; la formule magique l'incite à battre des ailes !
Encouragée, Agnès entre dans la bataille. L'huissier sursaute ! Et riposte aussitôt: "Vous dites qu'il est beau à une tête de gorille ?" Agnès, encouragée par le gentil inconnu de Bellac, plaide sa cause en s'embrouillant un peu. De la silhouette aux dents de l'huissier, tout y passe tout semble beau et le pauvre employé finit par y croire. Du coup, la porte fermée s'ouvre, Agnès va être présentée au secrétaire général du poussiéreux Office.
L'ingénue n'éclate guère de fierté, ce succès aurait bien pu tourner au désastre.
Ses mains la trahissent ,elle doute de son talent d'actrice, mentir avec aplomb et naturel, quelle entreprise périlleuse ! Heureusement, son mentor la tire d'affaire encore une fois. Il serait de bon ton qu'elle compare ses proies à une référence impossible à vérifier: l'Apollon de Bellac. Il vient de naître dans le cerveau fertile de cet inventeur anonyme:
"Dites l'Apollon de Bellac, il n'existe pas. C'est moi qui l'extrais pour vous du terreau et du soleil antiques." Agnès prend soudain de l'assurance. La voilà qui audacieusement se moque de son maître en séduction: "Je suis né à Bellac", confie ce dernier sans se méfier...
La belle enfant se précipite dans la brèche: "On dit que les Limousins sont si laids. Comment se fait-il que vous soyez si beau ?"
Le natif de Bellac accepte le compliment de bonne grâce, une seconde trop tard avant de comprendre la flatterie !
Agnès est armée jusqu'aux dents, parée pour le jeu de la séduction.
Qui sera sa première vraie victime ? Le secrétaire général, individu hideux, tordu, et comble de la malchance, pressé, ne l'enverra-t-il paître avec ces boniments exagérés ? Agnès le contemple, les yeux pleins d'une  expression bizarre quel'autre ne sait comment interpréter. Sa laideur l'effaroucherait-elle à ce point ?
Agnès le pétrifie sur place: "Vous êtes beau" s'écrie-t-elle au malheureux qui se demande s'il rêve.
Sa vanité en sommeil s'éveille doucement, n'aurait-il un air de ressemblance avec un type physique italien remarquable ? Agnès refuse tout net, le secrétaire est au contraire le sosie du fameux "Apollon de Bellac habillé, évidemment " ajoute-t-elle afin de mêler vraisemblance et pudeur...
Définitivement enjôlé, le brave homme promet de revêtir un costume élégant afin d'être digne de ce mystérieux Apollon de Bellac qui lui ressemble comme un frère.
En attendant, la situation est grave. Inquiétante même; voici que déferlent les poussiéreux membres du Conseil.Vont-ils se laisser manipuler par l'ingénue ?
Agnès vient justement d'être engagée comme dactylographe par son  nouvel ami et admirateur après le plus fantaisiste des entretiens d'embauche: une jeune fille pratiquant le seul piano, prenant la dictée fort lentement et incapable de se relire, mais c'est la candidate idéale  ! Et ce ne sont pas les honorables Messieurs du Conseil qui la renieront ! La vie pétille, le printemps éclate, une adorable créature vient d'affirmer haut et clair:
"Que vous êtes beaux!"
Les respectables chercheurs bombent le torse. Tous marchent sur une mer éthérée, peuplée de miroirs rendant une image flatteuse de leurs charmes impromptus.
Le docte Président, mis au courant de cette exaltation juvénile, veut voir la charmante responsable de ce doux délire de près:
"C'est vous le phénomène ? Cette maison que je préside croupissait jusqu'à ce matin dans la tristesse, dans la paresse, et dans la crasse. Vous l'avez effleurée, et je ne la connais plus ...Que leur avez-vous dit ?"
Agnès s'empresse de le renseigner; "Comme vous êtes beau ! je leur ai dit à chacun: comme vous êtes beau !" Le Président éprouve une cruelle déception. Il sent le démon de la jalousie le piquer au vif, serait-il ainsi l'unique homme dans cette joyeuse maison à ne pas mériter cet hommage ?
Son amour-propre l'attire droit là où la belle Agnès souhaitait qu'il aille... La délicieuse affabulatrice se défend avec le brio d'une séductrice expérimentée:
"Je ne vous vois pas beau. Vous êtes beau."
Le Président ne se tient plus de joie ! Cette louange certainement spontanée, c'est le ciel dans la tombe, c'est l'éblouissement de sa morne existence ! Il n'a vécu que pour ce moment exquis: il est beau !
L'esprit reverdi, l'âme refleurie, il renvoie sa secrétaire autoritaire et désagréable qui le méprise. Mieux: il rompt avec sa fiancée, un terrible dragon du foyer, femme injuste, jalouse, méfiante. On ne peut être épanoui en vivant avec une femme qui vous trouve hideux et, pire, ne cesse de vous le répéter sur tous les tons en prenant pour témoins les objets familiers:
 "Je comprends, s'exclame le Président, je comprends cette gêne qui me prenait non seulement devant toi, mais devant tout ce qui est toi ou à toi."
Il ouvre les fenêtres, respire l'air vif, et offre le diamant, choisi pour contenter son amère promise, à la radieuse et rougissante amatrice de beaux hommes. Comment pourrait-il vivre sans cette jeune fille qui se pâme devant sa ressemblance frappante avec l'Apollon de Bellac, ce chef-d'oeuvre du Praxitèle Limousin ?
La fiancée éconduite crie au scandale et accuse Agnès de  tromperies !
Mais le "Monsieur de Bellac"la fustige de ce discours bien senti: "C'est vous l'aveugle... Car il suffit
vraiment, pour les trouver beaux, de regarder les hommes dans leur souffle et leur exercice et chacun a sa beauté, ses beautés. "La beauté, elle réside dans le regard de l'autre, l'amour a ce don sublime de métamorphoser la laideur  en magnificence pure !
Les amants éternels ne chaussent-ils leurs émouvantes "lunettes de l'amour" ? La recette de séduction se dépouille de ses plaisanteries faciles; et Giraudoux nous entraîne vers les rives où s'épanouit l' humanisme qui lui tient de raison d'être: "le seul Narcisse coupable est celui qui trouve les autres laids."
Agnès a ouvert un coffre au trésor, en un seul jour, elle y a puisé une place, un mari, un diamant. Pourtant le vide l'accompagne, l'essentiel, elle le sait, la quitte. Ses victoires ne sont qu'humaines, éphémères; elle a soif d'intangible, de beauté parfaite et immatérielle, de passion soulevant de terre, d'amour vaste comme la mer d'Ulysse.
Serait-elle amoureuse de l'Apollon de Bellac ?
 "Vous me laissez, dit-elle, tremblante à l'inconnu, et vous croyez que je vais épouser le Président ?"
Hélas, dans la vie, on est toujours un vers de terre attiré par une étoile.
Agnès ne l'a pas encore appris. Le destin parle, il faut obéir. Au moins pour le moment... L'imprévisible ne gouverne -t-il l'univers  en général et l'âme humaine en particulier ?
 Un peu triste autant que son essence divine le lui permet, un peu repentant aussi, peut-être déjà en proie au désir de revenir bouleverser cette Agnès si attachante pour une mortelle, l'Apollon de Bellac s'en retourne sur son Olympe.
Ne manquez pas de lire cette pièce irréelle, tendre et  profonde.
 Sous les étincelles élégantes, les prestes caprices de la séduction, s'alanguit le charme discret de la Province amoureuse.
"Apollon est passé" dit le mot de la fin. Ou irons-nous hantés par son souvenir ?
Peut-être vers un nouveau proverbe inventé par Musset,
une comédie optimiste à l'aube de la belle saison...

A bientôt !

Lady Alix ou  Nathalie-Alix de La Panouse