lundi 31 octobre 2016

From Florence with love : une carte postale de Stendhal

From Florence with love: une carte postale de Stendhal 

Florence ! Belle endormie au visage d’ange de Botticelli !
Florence: rendez-vous d’un fatras de curieux se prenant pour des esthètes, d’amoureux de Vénus sur toiles de maîtres, de promeneurs ennuyés, et d’acheteurs frénétiques du moindre débris provenant, sur la foi des bateleurs, du trésor des puissants Médicis.
A l’époque bénie du Grand-Tour, au coeur de l'hiver Toscan qui resplendit à l'instar d'un printemps nordique , un jeune adulte portant avec une amère délectation ses trente-quatre printemps de confusion égotiste, l’ami Stendhal, descend sur Florence.
A priori, c'est un voyageur, discipliné ; en réalité,c'est un chevalier cherchant les bras de sa bien-aimée au retour d’une interminable croisade. Son voyage ou plutôt sa quête, est une sorte d’épopée à travers l’Italie déconcertante , sauvage , farouche .Voilà que Florence hausse  la rayonnante coupole de son Duomo au milieu de ses collines aussi soignées que des jardins. Stendhal a vu déjà tant  de choses en l’an 1817, il a affronté combats et défaites au côté de Napoléon , enduré assez de naufrages sentimentaux pour couler  corps et âme au moins dix fois , et maintenant , cette chimère Florentine l'attend dans la vallée brumeuse…
Son cœur prend le galop, il a si peur d’être déçu !
 Mais non , c’est impossible , Florence est une brillante étoile dans le ciel de nos décadences ; l’ami Stendhal tente de se rassurer en laissant affluer les glorieux souvenirs, il appelle à son secours la ville glorieuse et légendaire, luttant pour son indépendance face à toute l'Italie, la fière citée du sombre et sublime temps des premiers Médicis, le passé nourrit son immense espoir.
 Tout cela est si loin , en ce matin de janvier tissé de lumière pure émergeant du brouillard, Florence ne sera-t-elle qu’une illusion ?
Une immense déception ? la revanche de la vulgarité  ordinaire sur la prestigieuse beauté ?
 Bonheur ! Florence étend vers cet amoureux transi ses généreux bras de pierre : la réalité lui saute au visage, le happe en un clin d’œil dés la porte San Gallo ; le Français distingué qu’il affecte d’être déboule comme un fou halluciné de la diligence ! bouscule sans pitié  ses inoffensifs compagnons ,et soudain ivre face à cette citée qu’il connaît, croit-il, à la perfection sur le papier, court, comme si toutes les forces de police étaient à ses trousses, hagard , éperdu, dans le lacis des ruelles !
  Son intuition le guide vers  une église. La plus singulière, la plus débordante de trésors échappant au bon sens : la déconcertante et sublime église Santa Croce .
 L’ami Stendhal l’ignore encore, mais il va recevoir un choc qui appartiendra à la légende de de Florence :
 la pâmoison stendhalienne !
Ou le fol vertige s’emparant de vous quand soudain votre main frôle le tombeau de Michel-Ange ou vos yeux reçoivent la  tendre et respectueuse caresse d’un ange patient exalté par Donatello .
A cette époque , la façade étonnante de Santa Croce  dessinant une pure et harmonieuse symphonie de blanc , vert et or, souffrait depuis environ 1385 d’une suspension de ses ultimes travaux : incroyable mais vrai !
 Le temps ne pèse guère à Florence. Stendhal ( ne se doutant pas qu’un architecte y mettrait bon ordre sur la foi de projets anciens en 1855) célèbre , enchanté, ce charme fou de l’inachevé .Il entre dans l’énorme église , et son enthousiasme  légitime de voyageur éminemment raffiné se mue en extase infinie . Le ciel lui tombe presque sur la tête !
 Les descriptions mesquines des ouvrages savants s’effacent, ineptes, inutiles . La beauté, tangible et vivace, envoie ses flèches du haut de chacun des arcs robustes et gracieux  tenu par de sveltes colonnes claires au sein de la pénombre . A chaque pas , un miracle de l’histoire humaine transporte l’ami Stendhal incrédule et frémissant :
 « J’aperçois le tombeau de Machiavel ; et vis-à-vis de Michel-Ange, repose Galilée . Quels hommes ! »
 Il s’avance doucement ,erre au hasard, rencontre un moine , et un miracle se produit !
 Le rebelle Stendhal oublie sa méfiance d’esprit libre de toute influence ou tyrannie cléricale : ce brave moine , peut-être un franciscain ,ne lui déplaît pas ! Loin de  repousser ce guide inoffensif, il lui invente un lien avec le peintre Fra Bartolomeo, retrouve en lui cet ami de Raphaël, et, emporté par sa nostalgie fiévreuse, admet que ce moine est bien poli !
d’autant plus que le brave homme ouvre sans hésiter l’antichambre du paradis au Français rebelle : la chapelle Niccolini étincelante des fresques du peintre Volterrano (Baldassare Franceschini, 1611-1698).
 A l’instar des esthètes invétérés ,ces êtres bizarres et séduisants capables d’affronter péripéties inattendues, fatigues douloureuses et sacrifices financiers afin d’approcher une déesse surgie des sables, un vestige Atlante ou une tombe Maya, l’ami Stendhal est un loup ne supportant que sa propre solitude .
Le brave moine, homme vivant le plus clair de son temps entre les prières et le silence, semble avoir compris cet étrange illuminé .Voici le futur créateur de Fabrice del Dongo absolument seul face aux Sibylles de Volterrano voletant au plafond vers son humble personne .
 Là où un voyageur doué d’un tempérament ordinaire admirerait une belle décoration à la mode d’autrefois, cette âme de feu entrevoit le ciel dans la tombe et sans nul doute a-t-il parfaitement raison ; aucun amateur d’œuvres d’art ne lui jettera la pierre quand il s’écrie, foudroyé ,ébloui,anéanti :
 « absorbé dans la contemplation de la beauté sublime , je la voyais de près , je la touchai pour ainsi dire . J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés ."
Mais la visite se termine ! Juste à temps pour notre égotiste esthète en pleine confusion de corps et d’âme . Ses jambes se dérobent ,son cœur bat à se rompre ,ce sont les prémices du fameux choc Stendhalien :
 « La vie était épuisée chez moi , je marchai avec la crainte de tomber . »
Qui viendra aider cet être exagérément bouleversé par son premier rendez-vous florentin ?
Le poète Foscano, un romantique confiant à ses vers sa vibrante adoration : le solitaire Stendhal tire son précieux recueil de sa poche,s'abîme dans la lecture,et bercé par cette âme-sœur reprend des forces ! Florence est une amante qui ordonne qu’on lui fasse une cour assidue .
 Santa Croce ? Allons donc , ce n’est qu’un début , palais et chefs d'oeuvre se pressent innombrables sur chaque rive du fleuve roulant ses flots blonds .
 L’ami Stendhal se secoue et le lendemain, en proie à une humeur tourmentée, peu assortie à ce mois de janvier 1817,( saison attirant la bonne société cosmopolite goûtant délicieusement le soleil inondant la promenade des Cascines au bord de l’Arno). Le voici ,dédaignant les mortels de toute espèce, en quête de  son égotiste et singulière révélation spirituelle .
Levé aux aurores , il arpente, farouche comme un sauvage et selon son caprice éclairé, cette ville qui se donne autant qu’elle se refuse .
 Notre esthète accepte de passer un assez court instant devant les fresques de Massacio ,puis , tournant le dos aux idées reçues et aux visites convenues, il plonge au sein de Florence ; se jette dans ses ruelles comme au profond d’une eau dormante, hume le vent du passé, redescend vers 1300, nage libre et épanoui ,dans la houle du Moyen Âge :
« Je me sentais heureux de ne connaître personne ,et de ne pas craindre d’être obligée de parler .Cette architecture  s’était emparée de toute mon âme ; je croyais vivre avec le Dante . »
L’exploration s’éternise à l’heure où  sur la verdoyante colline de San-Miniato-al Monte, au delà des romanesques remparts du Fort du Belvédère, des sages vergers d’oliviers et des chemins gardés de fins cyprès,  le couchant resplendit d’une nuance du plus chatoyant jaune citron .
Or, Stendhal n’a pas du tout l’esprit aux beautés naturelles ! Qu’est-ce qu’un soleil glissant sur l’horizon à côté de ce symbole glorieux découvert à la fin de sa journée vagabonde : le Palazzo Vecchio ?
L’ami égotiste est à la limite de l’effondrement, il se traîne piazza della Signoria, s’affale sans honte sur une chaise, quelle chance que le meilleur café de la vile soit installé au beau milieu de la plus belle place du monde, et …se laisse emporter par le souffle des anciennes tragédies!
Tant pis pour les voyageurs bavards ,rieurs ,échangeant ,comme l’après-midi aux Cascines, à cheval et en voitures élégantes, regards appuyés, moues éloquentes, billets furtifs, ces pauvres gens sont presque des barbares !
Seul l’ami Stendhal comprend Florence, entend les cris d’horreur de la foule assistant à la pendaison des conjurés Pazzi sur les murs du Palazzo Vecchio …Peut-être son imagination échevelée lui montre-t-elle Laurent la Magnifique le poignard levé dans la nef de Santa-Maria-del-Fiore, appelant à venger l’assassinat odieux de son frère Julien ,amant rejoignant dans la nuit du tombeau sa bien-aimée , la Belle des Belles , Simonetta Vespucci ?
 Stendhal a-t-il vu danser, sur l’eau agitée par la brise d’hiver de la fontaine de Neptune, le visage diaphane de celle qui incarne à jamais l’idéal féminin de la Renaissance Florentine ? Nous n’en saurons rien !
 Il se fait tard : « sept heures ont sonné au beffroi de la tour . » Le regard de l’égotiste Stendhal  se perd sur le décor prodigieux de cette piazza della Signoria sanctifiée par le serein David ; héros que Michel-Ange anima dans le marbre blanc afin d’affirmer pour les siècles des siècles, qu’avant toute chose, les dieux aident ceux qui luttent pour leur patrie.
 Peut-être,,le voyageur demande-t-il plume et papier; on croit le voir griffonnant un rapide billet à une tendre et moqueuse amie ; une « carte postale » implorant sans y toucher que l’on vous accorde une brève attention ; un message  concentrant, à l’instar d’un poème, l’essence même de cette étrange réunion entre passé sanglant et présent charmant sur cette piazza légendaire .
Stendhal, amoureux souvent refusé, amant sans cesse désorienté, héros imaginaire, sent qu’un avenir lui est chuchoté par ces vieilles pierres guerrières aux façades armées jusqu'aux dents .
 Toutefois , il n’en peut plus ! Sauvé ! Il est sauvé du vertige historique par «  l’aimable Rossini » ! adieu la tragédie , vive la dolce-vita Florentine ! le théâtre , l’opéra-bouffe , les pleurs de joie , les applaudissements populaires .L’amour sur scène ? L’amour à Florence ? L’amour guette-t-il notre vaillant esthète ?
 Hélas , non ! Déception cruelle : les paysannes toscanes se moquent des affres de la passion ; traduisons mieux ce code stendhalien ; notre ami a dû éprouver quelques désillusions au point de déclarer avec une amusante lucidité :
 «  Rien n’est plus joli , comme le regard de ces belles paysannes , si bien coiffées avec leur plume noire , jouant sur leur petit chapeau d’homme . Mais ces yeux si vifs et si perçants ont l’air plus disposés à vous juger qu’à vous aimer . »
En amour , le salut restant la fuite ,Stendhal décide d’oublier ces raisonnables Florentines par un moyen énergique : aller prendre l’air sur les collines onduleuses et  grimper à la célèbre chartreuse  d’Ema( ou Galluzzo). Il a entendu un océan de louanges sur ce monastère, abritant dix-huit moines soumis à aux rigueurs du silence et de l’austérité,( mais louant volontiers, à cette époque, une ou deux cellules à des ermites amateurs… Stendhal ne semble pas le savoir).
 La chartreuse, aussi inexpugnable qu’un château-fort , est un curieux lieu saint, ruisselant autant de tableaux, statues, fresques et autres raretés que la caverne d’Ali-Baba .Hardiment, notre aventurier de l’art évite les cailloux du chemin , escalade les rochers ,contemple l’œil critique et la mauvaise foi en écharpe, le monument juché au sommet d’une ronde colline  assez escarpée; daigne entrer, et ressort presque aussitôt !
Quel impudent ! Au lieu de flâner autour des jardins de curé plantés de rosiers ,de s’étourdir dans la découverte de fresques vibrantes que réalisa avec passion cet esprit novateur de Pontormo, réfugié au monastère pendant l’épidémie de peste ravageant Florence en 1523, l'ami Stendhal se refuse à toute approbation ! Il renie l’envoûtement né de ce talent délicieux d’allier le sévère avec l’harmonieux  que Florence  érige en étendard, et se contente de résumer sa visite ratée ( Pourquoi n’a-t-il demandé à voir les tableaux ciselés et lumineux de l’exquis Fra Angelico ?) de quelques phrases d’une rudesse de vieux soldat :
 « on songe à tant de richesses entassées pour donner à dix-huit fakirs le plaisir de se mortifier. Il serait plus simple de les mettre au cachot et de faire de cette chartreuse la prison centrale de toute la Toscane . »
Ciel ! Voilà de la provocation un peu naïve ! Qu’importe ,on pardonne tout à Stendhal, amant fougueux de l’Italie,et idéaliste vite désappointé.
Florence brillera toujours,comme l’étoile du Berger,au plus haut de son firmament personnel. Surtout,ses descriptions aussi franches et familières que des « cartes postales »adressées à des confidents, habitués aux humeurs d'un ami passionné,en unissant l’enthousiaste et le mélancolique,l'ironie et l'exaltation, l'histoire et l'air du temps,donnent l’irrésistible envie de ressentir le choc Stendhalien, piazza della Signoria ou n’importe où à Florence !
A bientôt ,
La prochaine fois , ce sera au tour d’Alexandre Dumas de vous écrire « from Florence with love » !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
Un ange florentin
                                                                     Château de St Michel de Lanès
                                                                     Cabinet St Michel Immobilier CSMI