dimanche 27 décembre 2015

Pierre Benoit et sa fée "Axelle"


"Axelle" est un récit qui ne vieillira jamais : à la fois mémoires de captivité et roman d'amour , inclassable et prenant, inoubliable ....
Axelle,la plus touchante et la plus secrète des héroïnes de Pierre Benoit, est une créature sortie du sable blanc et de l'eau couleur d'aigue-marine d'une mer glacée, sur les rivages  de la  Prusse Orientale .
Fée à la blondeur irrésistible, déesse païenne, vierge à la candeur allemande ornant une toile oubliée au fond d'une chapelle gothique, elle fait tourner les têtes des humbles prisonniers essayant de survivre dans l'obscurité de leur minable camp au pied d'une forteresse en ruine.
L'an 1918 ouvre ses noires perspectives à Reichendorf, village misérable de la Prusse Orientale, une espèce de désert battu d'âpres vents, un purgatoire de corvées et d'ennui pour les jeunes officiers qui n'ont d'autre distraction que d'épier les habitudes des gens du château médiéval, noble citadelle lézardée veillant sur une mer maussade au delà des marais toujours chargés de vapeurs fétides et d'oiseaux sauvages.
Le château est cerné d'invisibles ennemis faisant fi de ses douves engorgées de boue et de son pont-levis dévoré de rouille. Ils ont nom pauvreté hautaine, pourriture humide, plafonds effondrés, planchers troués, atmosphère endeuillée à chaque heure du jour et de la nuit.
La vie des fiers barons repliés en ces murailles illustrant une gloire déchue ne diffère finalement que fort peu de la sinistre existence menée par les prisonniers de guerre sous le commandement d'un assez respectueux officier prussien, le capitaine Elbing. Cet homme a souffert de la guerre au point d'y avoir laissé la moitié de sa personne; en entrant dans son bureau, le héros de cette histoire, hésitant entre conte chevaleresque et roman tragique, ressent un choc nerveux;
 "mon émoi provenait du fait que le capitaine Elbing venait de m'apparaître au grand jour ce qu'il était en réalité: une moitié d'homme.
Les jambes subsistaient, mais la hanche droite, le bras, l'épaule ,la partie droite du visage, enfin y compris l'oeil, tout cela avait disparu. "
Par contre, ce ravagé est une belle âme, un chef juste et compatissant. Du moins avec ceux qui lui paraissent en valoir la peine; à la première seconde, il a jaugé et bien jugé le jeune Pierre Dumaine, "Dumaine, en un mot ? "La réponse affirmative du héros le déçoit un peu, on devine ainsi que le Sergent ne manque pas d'allure...
D'ailleurs, ses diplômes parlent en sa faveur: c'est à un ingénieur en électricité sorti de Centrale que le commandant souhaite la bienvenue. Le prenant assez vite en sympathie pour ses efforts de diplomate à l'intérieur du baraquement 7, sinistre cahute où Pierre Dumaine a eu la permission de réunir quelques vieilles connaissances, le commandant"gueule cassée", le recommande au Pasteur du village .Une fois par semaine, Pierre sort du camp, de la misère totale, il tourne le dos à la promiscuité, la saleté, le froid et la faim, ces terribles maux  rythmant le quotidien des prisonniers. Sans omettre le pire: l'isolement. Même les nouvelles du front ne parviennent plus à la frissonnante petite troupe d'officiers malades ou d' humbles soldats privés de lettres de France.
Le pasteur est un brave homme et aussi un fervent admirateur de la vieille noblesse locale. Il est au comble du bonheur en trouvant chez le jeune ingénieur français un confident singulièrement passionné.
C'est que Pierre a eu l'insigne chance d'éteindre un feu se déclarant dans le pavillon abandonné où la fiancée et cousine du seul des quatre fils du châtelain qui ne soit pas tombé au champ d'honneur, la diaphane Axelle de Mirrbach passe le plus clair de ses jours. Depuis, le mot le plus insignifiant sur la généalogie, les faits d'armes, la grandeur passée et la déchéance financière de la famille de Reichendorf  lui cause une secousse irraisonnée: il est amoureux...
 C'est le vers de terre en extase devant l'étoile polaire. Le hasard les remettra-t-il en présence ? Son unique lien avec la fière jeune fille reste le brave et bavard homme de Dieu:
 "La destinée de cette famille sur laquelle s'appesantissaient à la fois la ruine et la mort servait de thème, chaque mardi aux dissertations du pasteur Früwirth".
Au début, Pierre jouait la comédie, maintenant, il essaie de reconstituer les fils d'une espèce de chanson de gestes donnant à la fée Axelle le rôle traditionnel de princesse enfermée en son donjon. Il sait tout sauf l'essentiel: Axelle aime-t-elle le comte Dietrich ? Ou n'est -elle qu'un maillon soumis au sein d'une chaîne vieille de huit siècles qui à chaque génération ou presque voit un Reichendorf épouser une Mirrbach afin de perpétrer une lignée de guerriers, absolument valeureux et parfaitement dénués de sensibilité, au service de la gloire germanique ?
Se sacrifie-t-elle afin de réparer la faute de son père qui osa en épousant sa mère, une simple aubergiste, entacher de mésalliance le médiéval nom des Mirrbach ?
Mais surtout comment approcher cette froide sylphide blanche et blonde se mouvant évanescente et muette au milieu des tempêtes de sable et des rafales du vent du nord ?
La main du destin se pose sur l'épaule du prisonnier en la personne du général et comte de Reichendorf.
Au bord de la ruine après avoir enduré les dettes de jeu et le train de vie outrancier de ses trois premiers fils, le chasseur d'ours Conrad, un géant de deux mètres, le somptueux hussard Michel à l'uniforme couvert de "massives aiguillettes d'argent", le comte Hermann, colosse taciturne au dolman rehaussé d'or, le général est ravi de faire installer l'électricité dans sa forteresse sans débourser un sou grâce à l'excellente suggestion du Pasteur: utiliser gratuitement le savoir-faire,et
les services de l'ingénieur prisonnier.
Voici Pierre Dumaine en mission obligatoire là où il rêvait: chez Axelle !
Le chevalier sauvera-t-il de son amer destin la Dame de ses pensées ? Pierre est prêt à livrer bataille contre une armée de dragons mais Axelle ne lui demande rien. Pire, elle glisse  sans lui accorder une ombre d'intérêt, aérienne à l'instar des souffles d'air hantant les salles gigantesques et vides du château englouti sous l'incurie séculaire.
Pierre cherche à rendre sa mission pratiquement éternelle, quitter le château lui semble un arrêt de mort. Il prend son temps, découvre au fur et à mesure de ses travaux la très grande gêne contre laquelle luttent en vin le général et sa nièce, et peu à peu, éveille la confiance de la cuisinière et de l'homme à tout faire. On le vêt décemment, on le nourrit, il devient presque présentable !
A force d'aller et venir librement au sein de la citadelle dominant un étrange paysage d'étangs noirs et de sables blonds, il comprend que le vieux général nourrit une coûteuse faiblesse pour un divertissement enfantin; la reconstitution de batailles prussiennes mémorables à l'aide de régiments entiers formés de luxueux soldats de plomb. Il y noie toutes ses ressources...
Cette plongée dans l'héroïsme germanique lui tient lieu de raison de vivre.
La guerre actuelle le bouleverse beaucoup moins que les avancées des cuirassiers, uhlans ou chevaux-légers depuis longtemps en paix au paradis des braves.
Une idée de génie s'empare de Pierre: s'il installe de minuscules ampoules colorées aux endroits les plus décisifs d'un de ces combats immobiles, il gagnera peut-être les faveurs du général... Et, si ce dernier exige l'illumination de chaque vitrine contenant une bataille historique, il sera assuré de demeurer au château encore de longs mois. Axelle finira bien par s'apercevoir de son existence, à défaut de l'amour extravagant que sa personne éthérée ne cesse de lui inspirer...
La ruse du français réussit encore mieux qu'il ne l'escomptait. le général se pique d'amitié envers ce prisonnier qui le comprend si bien !
Le voilà entraînant dans sa manie le français soumis aux volcaniques humeurs de son nouveau compagnon de jeu: tous deux s'évertuent à faire avancer ou reculer leurs petits soldats.
Le général se métamorphose, rajeunit et perd la tête...
Le voici qui ne distingue plus le présent du passé tout en dilapidant les vestiges de sa fortune afin d'augmenter ses régiments miniatures, sa guerre imaginaire avance et recule.
Dans la vraie vie, c'est la même chose, l'Allemagne gagne, puis perd, la France avance et recule.
Pierre avance en amour et ne perd plus.
Sincèrement émue d'apprendre la mort de  la mère de ce prisonnier si poli, si respectueux, héritier de l'amour courtois, la muette Axelle lui  a fait broder un brassard de deuil. Compassion d'une bonne âme ?
Ou aveu voilé d'une attirance coulant de la solitude extrême ? Ce don a marqué une étape dans le chemin bosselé menant vers la confiance. Axelle est venue doucement à Pierre, apprivoisée chaque jour davantage par la timide générosité, la fidélité infaillible, le dévouement d'un autre temps de ce prisonnier singulier et de si bonne apparence. Le prisonnier, après le départ du malheureux homme à tout faire au front, part chasser le gibier sauvage, les canards volant sur les marécages, tout ce qui passe à sa portée afin d'aider les châtelains à ne pas succomber à la famine.
Mais il trouve vite sa récompense; Axelle s'anime, la fée fragile et froide devient une amoureuse, une femme au cœur chaud, à la main tendre, au regard éloquent. La Dame médiévale a disparu. Le bonheur se vit dans les brumes du matin, la guerre semble un cauchemar dont on tente de se préserver.
Les promenades sur la grève pluvieuse, les rencontres à l'abri des bosquets de sapins, les haltes au bord des marais à l'eau d'étain ont fait éclater les barrières; le sentiment parle sans honte ! Mais, les obstacles se précipitent au devant du couple fantôme. Le cousin et fiancé, le comte Dietrich arrive en permission au beau milieu d'une partie enragée menée par le général et son français !
Va-t-il se douter du profond désarroi de sa fiancée ?
 Une crise chassera-t-elle Pierre de la forteresse ?
Axelle éprouvera-t-elle des remords ou au contraire un regain d'affection loyale envers cet officier prussien qui se sait condamné au combat sans merci ? Car le commandant de Reichendorf n'a aucun doute: il assiste au crépuscule d'un monde figé par des idéaux moribonds. Une scène d'une intensité bouleversante dans sa simplicité lugubre unit à l'improviste les deux ennemis l'aristocrate prussien  et l'ingénieur français.
Se croyant seul,Dietrich tire un semblant de mélodie du piano éreinté de l'immense salle de concert; Pierre réfugié dans un recoin obscur écoute et son esprit s'élance sur les ailes de la musique vers l'enfer de cette guerre cruelle, inutile, interminable dont eux seuls, le prussien et le français connaissent l'atroce réalité.
"Nombre de fois, avant 1914, j'avais entendu cette marche funèbre du Crépuscule des Dieux, et l'on pense bien que depuis, je n'ai pas manqué de provoquer d'autres raisons de l'écouter. Quelles qu'aient été la virtuosité de l'artiste, je n'ai plus retrouvé le trouble qui me saisit ce jour-là, tandis que j'écoutais tremblant, un exécutant pourvu d'autres mérites que ceux que l'on peut exiger des jeunes gens du Conservatoire.
Sa maladresse même grandissait son jeu. Elle devenait l'expression du sublime désarroi de son âme.
Avec le même accablement, le même harassement que là-bas, une armée de fantômes défilait dans une marche aussi lente que celle des nuages..."
Conrad  a deviné qu'il fallait dire adieu à tout ce qui le rattachait encore à l'envie de vivre, Axelle comprise... L'art de l'écrivain emporte vers le haut ce roman qui aurait pu se contenter d'une intrigue touchante et banale. "Axelle" emprunte ses nobles accents à la tragédie sans espoir. La victoire séparera ceux que la guerre aura unis... La folie du général empire, le commandant Dietrich , fiancé mal-aimé de la silencieuse Axelle,tombe en héros juste avant l'armistice, Pierre supplie Axelle de fuir cette contrée malsaine, ce château demi-effondré, cette vie de nonne emmurée. Elle refuse par ces mots déchirants:
"vous ne comprenez pas ? Il ne vous est jamais arrivé de vous répéter deux mots, d'écouter avec épouvante le son qu'ils rendent l'un près de l'autre ? Un français, une prussienne !"
Le roman n'aura pas de fin: les amants se jurent d'attendre... Et nous attendons avec eux le miracle, l'espoir, le bonheur, ces bienfaits qui fondent sur les âmes lasses au moment où elles y croient le moins...
Pierre Benoit a laissé ses exubérances scintillantes au fond de la mer Baltique en écrivant "Axelle" d'un trait lucide, affûté, aiguisé. Le vent froid se mêle au sourire fugace de la comtesse prisonnière, un soleil prudent éveille à peine l'acier des eaux-dormantes; mais, tenace et vif, l'amour réchauffe le feu sous la glace. On espère dans le désespoir  en marchant sur le sable humide à la rencontre d'une fée qui enchante l'hiver.
Cette sobre manière avec laquelle l'auteur  distille une souffrance radieuse rend ce livre puissant comme un astre invaincu.
A bientôt, puisse l'an neuf vous combler de soleil !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

lundi 21 décembre 2015

Le jeune prince Cyrus: l'enfant parfait de l'antiquité !



Quelques dizaines d'années après l'époque glorieuse où des mains capables de prodiges faisaient jaillir du marbre nu les colonnes élancées du Parthénon, où la beauté pure inspirait le magicien Phidias, un grec, ancien admirateur de Socrate, une tête brûlée qui avait souffert du bannissement d'Athènes, se passionna pour un enfant perse.
Un jeune prince pauvre et fier, issu d'une tribu des hauts-plateaux du sud de l'Iran vers 550 avant notre ère.
Le grec curieux était un gentilhomme campagnard qui avait inventé un métier alors parfaitement ignoré: journaliste de guerre !
 Son récit  écrit au jour le jour quand il suivait l'expédition des dix-mille mercenaires menées par Cyrus le jeune, l'Anabase reste un morceau de bravoure  qui fait  l'éloge de l'action .
Ce bel homme, chasseur émérite, propriétaire clairvoyant, toujours levé tôt afin de parcourir les champs de son domaine d'Olympie, don du roi de Sparte pour son engagement militaire, amoureux de sa terre mais lettré et érudit à ses heures, portait le nom de Xénophon.
Et le jeune perse qui l'intéressait tant avait gagné l'immortalité sous celui de Cyrus le Grand, roi d'un empire aux frontières si reculées que l'imagination humaine s'y perdait et, un océan de siècles après, s'y perd encore.
Cyrus reste une énigme: comment le jeune conquérant de Babylone, mort à 29 ans ,plus jeune de trois ans qu'Alexandre, son épée d'or à la main  a-t -il réussi l'impossible: être aimé de ses sujets si différents ?
 Les Perses répandaient sa réputation de roi juste et généreux, beau à l'image du dieu grec Apollon, sage à 25 ans comme s'il avait vécu un nombre inconcevable d'existences, dans tout le monde Antique. L'écho de ces louanges tinte encore à l'aube de l'an 2016 .
Il a illustré le précepte fameux et difficilement réalisable: "roi et peuple n'en font qu'un "
Xénophon veut aller plus loin que la légende ...
Qui était vraiment Cyrus ? Comment devient-on un chef de guerre éclairé et compatissant ? Formé à l'école de Socrate, le gentilhomme pose les questions et tente de mettre au jour la vérité ensevelie dans la nuit des mythes héroïques...
Cyrus fut un enfant singulier, attachant, enthousiaste, généreux mais avant tout extraordinairement censé. En rencontrant ce jeune prince charmant, le pondéré humaniste, s'anime .
Le voici donnant son goût de la chasse à l'enfant ou l'adolescent Cyrus.
 Il le montre d'un naturel affectueux, à l'image de se deux fils, il l'élève comme son propre héritier. Le récit est vrai, étayé par des anecdotes, ou des commentaires historiques, mais, l'étude s'égare en chemin et Xénophonfabrique un roman, celui du prince idéal
.Du coup, on ne s'ennuie pas . L'enfant Cyrus amuse,  attendrit, on se sent prêt à l'aimer et à le suivre. Xénophon a gagné son pari .
Les plus délicieux passages sont sans doute ceux racontant les retrouvailles du prince âgé de dix ans avec son grand-père, le roi des Mèdes, le débonnaire vieux roi Astyage.
Ayant entendu parler de Cyrus, fils de sa fille, Mandane  qu'il donna en mariage au rois des Perses,
Cambyse, comme d'un"enfant accompli", le royal grand-père désire voir ce jeune prodige de près.
En bon père et patriarche bienveillant, la perspective de renouer avec sa fille ne lui déplaît pas.
Cette reine était certainement d'une exceptionnelle beauté, on l'imagine sans peine à la manière des
sveltes et distinguées crétoises dont les murs des palais gardent la séduisante grâce...
Son jeune fils est dépeint dans tout le monde antique comme "ayant reçu de la nature une très belle figure, une âme très généreuse passionnée pour l'étude et pour la gloire au point d'endurer toutes les fatigues, d'affronter tous les périls pour mériter les louanges". A notre époque, Cyrus représenterait ainsi le type-même de l'enfant sur-doué ! Il n'a que dix ans et voudrait conquérir le monde .
Arrivé chez les Mèdes, il va d'abord emporter l'affection et les faveurs de son grand-père .
Celui-ci, monarque d'un pays aux verts pâturages, mène une existence paisible et, pour ces temps lointains, cossue. Au contraire des Perses, peuple montagnard formé de guerriers durs avec eux-mêmes comme avec autrui .Mais d'une franchise à toute épreuve .
Leur mode de vie est sobre, le luxe, une fantaisie des caractères faibles. Par contre, ils ne connaissent pas l'art équestre.
Xénophon explique ainsi ce fait étonnant chez un peuple aussi intrépide: "chez les Perses, la difficulté d'élever des chevaux et de circuler à cheval fait que c'était chose très rare, dans un pays essentiellement montagneux de voir seulement un cheval."
Cyrus, de son côté  on s'en doute, rêve  d'être un cavalier . Le petit prince, ravi d'embrasser son royal grand-père ,n'a toutefois pas sa langue dans sa poche et ses paroles ingénues vont amuser la cour . "Voyant le roi paré avec des yeux faits, des joues fardées et des cheveux postiches, Cyrus le contempla et dit: Mère que mon grand-père est beau ! "
L'étiquette exigeant une pareille débauche de cosmétiques perdurera beaucoup plus tard...
 Le Roi-Soleil lui même avait peut-être un vague air de ressemblance avec le roi des Mèdes ...
La reine Mandane profite de l'occasion pour révéler le tact et l'excellente éducation de son cher enfant, elle lui pose une question dont elle seule, on le sent, est sûre de la réponse !
 "Qui est le plus beau de ton père ou de ton grand-père ?"
"Mère, parmi les Perses, c'est mon père qui est de beaucoup le plus beau, mais, des Mèdes que j'ai vus en en voyage ou à la cour, le plus beau de beaucoup c'est lui, c'est mon grand-père."
L'adorable diplomate de dix ans est aussitôt embrassé et applaudi .
Le roi Astyage descend de son trône d'or, secoue sa tunique de pourpre et ordonne que l'on couvre de cadeaux ce charmant petit-fils, c'est l'art "d'être un grand-père" voici quelques 26 siècles. La scène est d'une vive et délicieuse fraîcheur, elle a une saveur immuable, l'océan des âges a eu beau couler, grands-pères et petits-fils, rois, princes, simples mortels, n'ont pas changé, ne changeront jamais ! Et, l'on éprouve la joie sincère de Cyrus à recevoir de superbes vêtements, et surtout d'apprendre à monter à cheval !
La vie à la cour va--t-elle transformer le bon naturel du petit prince montagnard ? Au contraire !
Les présents continuels, les attentions de chacun, les hommages parfois excessifs, tout cela attise
la générosité et le bon sens d'un caractère qu'aucune flagornerie ne peut gâter.
Profitant d'un festin magnifique, Cyrus prie gentiment son grand-père de lui octroyer les mets raffinés s'empilant en une pyramide inutile, c'est bien trop pour un seul homme fut-il -roi ! Astyage, croyant que l'appétit de son petit-fils est singulièrement vorace accepte bien volontiers, et à sa stupéfaction, que voit-il ? "Cyrus prit des morceaux de viandes et les distribua aux gens de son grand-père, adressant quelques mots  à chacun :à toi, parce que tu te donnes de la peine pour m'apprendre à monter à cheval; à toi, par ce que tu m'as fait cadeau d'un épieu; à toi, par ce que tu sers bien grand-père; à toi, par ce que tu es plein d'attentions pour ma mère." et ainsi  de suite .
La cour admire ! et les hauts dignitaires comprennent que l'avenir sera écrit de cette petite main enfantine si prompte à recruter des alliés...
Cyrus ose davantage: chagriné de l'état d'ébriété du roi pendant son repas d'anniversaire entre nobles, il lui tient un discours débordant à la fois de franchise Perse et de confiance envers un grand-père aimant: "Par Zeus, j'ai bien compris que l'échanson vous avait versé du poison." Le roi amusé interroge ce naïf, et il ne se méfie pas et voilà qu'à son âge, et dans sa haute position, il reçoit une leçon de la part d'un enfant !
Cyrus de poursuivre son récit sans se douter de son audace: "je voyais que vous aviez la tête à l'envers et que vous titubiez. Ce que vous ne nous laissez pas faire à nous autres enfants, vous le faisiez, vous: vous criiez tous à la fois, vous chantiez, vous n'étiez pas même capables de vous tenir debout "Puis arrive la flèche assassine de l'adorable gamin, et on a l'impression de voir le rouge envahir le front royal du grand-père pris en faute, Cyrus déclare sans peur: "Vous aviez tout à fait oublié, toi que tu étais roi et les autres que tu étais leur souverain".
Le roi des Mèdes réalise alors que jamais cet enfant n'aura la faiblesse d'oublier qui il est et ce qu'on lui doit... Impressionné, il ne s'emporte ni ne proteste, en silence, il s'incline devant son petit-fils, vrai roi en devenir... Cyrus prend son coeur de telle façon qu'il ne peut supporter de le voir repartir en Perse ! La reine Mandane hésite, mais Cyrus, toujours beau parleur, sait la persuader sans blesser son amour de mère et sa fierté de souveraine d'un peuple juste. Mandane rappelle à son fils que si le roi Astyage gouverne en monarque absolu, son père, le roi des Perses agit à l'opposé; c'est un monarque que l'on qualifierait de nos jours roi "constitutionnel": "ton père est le premier à faire ce que l'Etat ordonne, à recevoir ce qu'il lui attribue, et la limite de son pouvoir est, non pas son caprice, mais la loi."
Xénophon entre en scène ! La jolie évocation du prince parfait sert d'alibi à la défense pure et simple de la démocratie face aux égarements de la tyrannie . Cyrus, malgré son jeune âge, promet à cette mère inquiète de tirer de l'éducation Mède le meilleur: l'équitation  et la chasse .
Et les années passèrent... Adolescent beau comme Apollon, Cyrus n'a rien perdu de sa vivacité d'esprit, sa bonne humeur et son panache, adoré sans mesures par son grand-père, au détriment de son oncle, l'héritier du trône, il accomplit son premier exploit à quinze ans tout juste .
Venu à la frontière Mède, le jeune prince, fils du roi voisin, le roi des Assyriens, décide par défi de remplacer les plaisirs inoffensifs de la chasse par le pillage en règle du pays qui le nargue de l'autre côté ! Alertés, le vieux roi Astyage et son fils lancent l'ordre aux renforts Mèdes de défendre la frontière menacée. Hélas ! Une armée assyrienne immense, gonflée de troupes imprévues est rangée en ordre de bataille . Le désarroi fond sur les Mèdes; Astyage pense son pays perdu . C'est à ce moment-là qu'apparaît Cyrus, "ayant pour la première fois revêtu des armes faites sur mesure. "Au lieu de trembler, il toise les envahisseurs, se moque de leurs "bidets", et demande la charge ! Se moquant des ordres, il fonce au milieu des pilleurs . "Comme un chien de race encore sans expérience se porte à l'étourdie contre un sanglier, Cyrus allait de l'avant, ne songeant qu'à frapper !"
Il prend des risques insensés mais donne l'impulsion aux Mèdes indécis . Tous le suivent .
 Les cruels assyriens, interdits devant cette folle audace, reculent . Les Mèdes "les serrent de près, les poursuivent à toutes brides, frappent tout ce qui leur tombe sous la main..."L'ennemi est mis en déroute, un chef est né ! L'armée est au comble de l'admiration !
 Le jeune lion a sauvé de sa fougue et de son exemple d'une hardiesse inouïe les richesses du royaume attaqué... Mais, le roi des Perses, conscient de la valeur d'un fils accédant au rang de héros d'un peuple, lui demande de retourner dans son pays. Les Mèdes escortent en pleurs leur prince adoptif; la Perse assistera bientôt à l'envol du plus grand roi de tous les temps...
En 559 avant notre ère, Babylone sera prise par le plus audacieux et le plus ingénieux des guerriers: le Perse Cyrus aussi éclatant que ses armes d'or et de bronze, aussi bienveillant pour les peuples soumis à la nouvelle domination Perse qu'un père pour ses enfants .
Un exemple qui ne sera ensuite illustré que par le bel Alexandre, prince pauvre et montagnard également... Le  destin unit dans sa fulgurance ces deux rêveurs armés qui voulurent chacun bâtir un monde démesuré tout en recevant l'affection de leurs sujets...
Xénophon a tissé la légende d'or et de bonté du grand Cyrus d'une plume alerte et vigoureuse: sa fascination envers cet enfant généreux et cet adolescent sauvant tout un peuple de son  galop insensé nous enlève au delà des pages jaunies...
Pourquoi les légendes les plus belles s'égareraient-elles dans le gouffre des siècles ?
A bientôt !
Que ce Noël vous comble de douceur et de paix !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

                  
Apollon ou Cyrus ?

vendredi 18 décembre 2015

Ulysse à Corfou : le roman de Nausicaa



"Muse, dis-moi la vie de l'homme aux mille tours dans son sac, raconte-moi comment il vagabonda sans fin, après avoir pillé la ville sainte de Troie."
C'est ainsi que résonne depuis trente siècles la mélodie du  plus beau conte du monde; le récit sentant le sel de la mer couleur de vin autant que celui des larmes du héros grec, Ulysse, errant dix tumultueuses années d'île en île, de port en port sans jamais voir le jour du retour.
Une escale le mit aux prises avec le monstrueux cyclope mangeur d'hommes, l'autre vit la déroute de ses compagnons dévorant, pauvres fous, le troupeau du dieu du soleil. Une autre encore le livra à l'encombrant amour de la divine Calypso, nymphe qui le retint prisonnier de sa caverne creuse, de ses grèves au sable fin, croyant nourrir sa passion, et ne récoltant que le désir de la fuir .
Heureusement Athéna aux regard vert veillait sur cet Ulysse qui avait su lui plaire grâce à son esprit vif, ses ruses ingénieuses, sa bravoure mise aux service des rois grecs devant les remparts de Troie, et surtout sa ténacité extraordinaire chez un mortel. Hélas ! En aveuglant d'un pieu rougi au feu, Polyphème, le Cannibale doué d'un œil unique, qui s'empressait d'avaler ses marins, Ulysse a défié le dieu de la mer, Poséidon qui, depuis, ne cesse de l'égarer sur les flots.
Mais, Athéna persuade le roi des dieux Zeus de libérer le héros de la tendresse égoïste dans laquelle essaie de le noyer Calypso . Cela suffit ! Ulysse mérite de rentrer enfin à Ithaque où son fils, le jeune et naïf Télémaque et sa femme, la fidèle et aimante Pénélope, luttent contre une nuée de princes et rois fainéants. Ces pique-assiettes invétérés réclament tous la main de la reine et les richesses de cet infortuné roi que l'on s'acharne à désirer chez Hadés, le monarque du pays des ombres, le roi des morts.
Calypso pleure et se lamente, toutefois, quand un ordre vous est donné par Zeus et transmis aussitôt de la bouche d'Hermès, que faire sinon se soumettre ? Ulysse, diplomate digne de sa réputation, atténue de ses mots habiles l'intolérable déception de la nymphe; la colère de cette déesse amoureuse tombe sous les flatteries parfaitement calculées ! Ulysse, prêt à tout afin de s'enfuir, ment au point d'enlaidir son épouse: "vénérable déesse,ne te fâche pas ! Auprès de toi, Pénélope paraîtrait médiocre de beauté et d'allure; elle est mortelle et toi tu es immortelle et jeune pour toujours."
C'est vers cette humaine imparfaite que s'embarque le héros qui a eu le front de refuser l'immortalité offerte par sa divine amante. Humain, il est né, humain, il restera, c'est sa grandeur d'homme capable de faire un choix...
Il l'ignore, mais le destin lui réserve un tour de sa façon. Le calme après la tempête, une halte au milieu de la houle, un jardin parfumé sur une île  mystérieuse: le sourire d'une princesse envoyée par Athéna ! L'adorable chant VI de l'Odyssée nous captive depuis trente siècles...
Ulysse navigue dix-sept jours sans encombres, en se fiant à la Grande Ourse, le dix-huitième, enfin, l'île de Phéacie se détache sur l'horizon. Ulysse arrive-t-il vers un port secourable ? Ce serait trop facile .
Les vents sont vite contraires, la mer s'enfle ,le courroux de Poséidon se lève avec la tempête .
"Durant deux jours, deux nuits, Ulysse dériva sur la vague gonflée: que de fois en son cœur, il vit
venir la mort ! Quant ,du troisième jour, le vent tomba, le calme s'établit; pas un souffle, il put voir la terre toute proche; "C'était sans compter avec le dieu de la mer préparant sa vengeance !
La terre se dérobe, la mer est soulevée, Ulysse est forcé d'abandonner son radeau, il reçoit l'aide de dernier instant de la déesse marine Ino; et sauvé par le voile protecteur de celle-ci, aidé ensuite par le dieu d'un fleuve dont il découvrit l'embouchure, le héros bien mal en point réussit à s'écrouler sur la grève.
 Puis, sa fameuse raison lui revient: "malheureux que je suis ! que vais-je encore souffrir ?
Quel est ce dernier coup ? Si je reste à veiller sur le bord de ce fleuve, quelle nuit angoissée !"
Ulysse se reprend, monte à grand peine le coteau, et "il alla se glisser sous la double cépée d'un olivier greffé et d'un olivier franc qui, nés du même tronc, ne laissaient pénétrer ni les vents les plus
forts ni les brumes humides".
Il s'endort, sous la protection d'Athéna dont l'arbre consacré est bien sûr l'olivier. La déesse aux yeux verts le regarde et décide encore une fois d'agir.
Cette sage gardienne du héros aux mille ruses  se change en un souffle d'air qui se glisse au sein du palais du roi des Phéaciens, Alkinoos; là, elle entre dans les rêves de la princesse Nausicaa, et, en empruntant le visage d'une jeune amie, lui dit ces mots d'une charmante et ferme simplicité, étonnant et touchant témoignage des coutumes de ces temps antiques où rois et princes savaient vivre avec un noble naturel: "Salut, Nausicaa, ta mère a enfanté une fille qui ne se fait guère de souci: il y a du linge brillant dont on ne s'occupe pas beaucoup ici.
Ton mariage approche, et il faut pourtant que tu sois belle et bien habillée.
Vite, partons laver dès que l'aurore nous y incite, je t'accompagnerai pour que nous finissions plus vite... Allons ! dis à ton père de faire atteler les mules et la voiture... puisque les lavoirs sont très loin de nos quartiers."
Aussitôt Nausicaa s'éveille et cours chez ses parents . Il n' y a pas une minute à gâcher ! La princesse met toute l'impétuosité de sa jeunesse à conduire elle-même son chariot débordant de blanches robes !
La joyeuse troupe des suivantes lave avec entrain au bord du fleuve se jetant dans la mer; ensuite on joue à la balle  et voici que des cris rieurs tirent Ulysse de son sommeil salvateur. Il sort de son abri, pareil à un vieux lion . Les jeunes filles effarouchées s'enfuient !
Le plus délicieux intermède de l'Odyssée commence: Nausicaa  ne recule pas . D'abord, une princesse se doit de montrer l'exemple face au péril, donc, elle ne bouge pas, elle veut comprendre qui est ce mendiant hideux; sa force de caractère provoque l'admiration d'Ulysse; qui peut bien être cette intrépide jeune fille ? Il ignore qu'Athéna donne cette audace incroyable à la belle inconnue...
Mais, comment plaider sa cause, il est repoussant, sale, hirsute; il ne lui reste rien, sauf l'essentiel,
l'intelligence, la raison et la parole ! Aussi se prosterne-t-il aux pieds de cette superbe créature qui l'observe sans manifester la moindre crainte et prononce-t-il un enivrant discours dont l'élégance révélera immédiatement  quel homme civilisé  se cache sous une horrible apparence:
"Reine, je suis à tes genoux, que tu sois déesse ou mortelle, si tu es déesse, chez les dieux qui habitent les champs du ciel, tu dois être Artémis, la fille de Zeus tout puissant:
la taille, la beauté, l'allure, tout me paraît ressemblant.
Si tu es une mortelle, chez les hommes qui habitent la terre,
trois fois heureux ta mère adorée et ton père,
trois fois heureux tes frères !"
Nausicaa sourit, se trouble, s'étonne, qui donc est cet étranger ? Qui tente ainsi de gagner son soutien ? Serait-ce un dieu déguisé en naufragé ? Le doute l'envahit... Puis, la certitude .
Tant pis pour sa timide réserve de jeune fille bien éduquée !  Rêveuse, elle l'écoute, comme il s'exprime bien ! Voici que l'homme la subjugue par un coup de génie. Il la compare à un arbre sacré : le palmier de l'île de Délos qui abrita les enfants de Zeus et de la douce Léto: Apollon et Artémis, rien que cela ! Cette fois, Nausicaa  en est sûre: cet homme ravagé par la mer est l'envoyé des dieux .
"Ah !reine, prends pitié: c'est toi que la première j'ai rencontrée ici, après tant de misères. Je ne connais que toi, indique-moi la cité, donne-moi un haillon qui puisse m'habiller."
Nausicaa est une jeune fille sérieuse douée d'un grand cœur, elle a réalisé à quel point cette aventure était extraordinaire; les dieux attendent une noble conduite, elle ne craint plus rien:
"O étranger, tu n'as pas l'apparence d'un sot ni d'un méchant homme, et tu sais que de l'Olympe Dieu donne leur part de bonheur aux hommes... Il faut prendre sa part de ce qu'il t'a donné comme destin."
Mais, ce destin, elle, Nausicaa le veut meilleur pour l'humble naufragé si beau parleur .
On vole au secours du piteux inconnu . Et, miracle, l'objet repoussant se métamorphose, grâce au soins, à la nourriture, aux  vêtements princiers, en un bel homme, d'allure plus que séduisante...
C'est toujours Athéna qui veut que son protégé inspire confiance par sa bonne mine:
"Et plus grand et plus fort elle le fait apparaître." C'en est presque trop . Ulysse rayonne de "force et de beauté", Nausicaa sent son coeur s'emballer ! Vraiment cet étranger ne peut qu'être le messager des dieux, il faut avertir son père, le roi; et surtout calmer ces sentiments étranges s'emparant d'elle...
En princesse pleine de distinction et de réserve, elle se tourne vers ses suivantes afin d'épancher ce flot passionné qui l'étourdit par surprise: " Servantes aux bras blancs, je vous parle, écoutez, c'est
sûrement la volonté des dieux que cet homme arrive chez les Phéaciens, j'avoue que  tout à l'heure, il me semblait un homme comme n'importe lequel, maintenant il est pareil aux dieux qui habitent les champs du ciel. "Soudain, la jeune fille ose en dire bien davantage, elle avoue sa nouvelle faiblesse
en la déguisant à peine, aucune de ses amies ne sera dupe, mais, on les imagine toutes souriant d'un air complice quand la belle Nausicaa leur confie: "puissé-je donner à son pareil le nom d'époux un jour, et s'il veut habiter ici, puisse-t-il y rester toujours !"
Cela serait un belle fin pour le héros: l'île mystérieuse de ce peuple vivant de la mer, les bienveillants Phéaciens, regorge de ressources; ses champs se déroulent à perte de vue, la capitale est un modèle d'architecture magnifique, son palais encerclé de jardins ravissants et d'une prospérité sans cesse renouvelée, est fermé d'une énorme porte de bronze, d'or et d'argent, qui lance un éclat de soleil et de lune... Nausicaa, prudente et pudique  suggère avec délicatesse à son hôte de se présenter seul au manoir de son père. Sinon, les ragots vont se déchaîner ! Guidé par Athéna métamorphosée en petite fille, Ulysse entre chez le roi Alkinoos et, obéissant à la princesse, se dirige droit vers la reine filant au coin de l'âtre. S'il persuade la compatissante Arété, son destin en l'île de Phéacie est assuré !
Le plan de Nausicaa porte ses fruits ! Toute la maisonnée tombe sous le charme de l'étranger ! On arrange un festin ! on convoque les nobles et, bien sûr, l'aède, le poète qui récite les exploits inconcevables des dieux et des héros; en particulier ceux ayant emporté la citadelle de Troie grâce  au stratagème du plus ingénieux des guerriers et des rois: Ulysse d'Ithaque.  Ce héros a disparu de la surface de la terre depuis la chute de la ville ruinée et pillée. Nul ne sait s'il est vif ou mort, il est devenu à lui seul la légende de la Grèce !
On ne peut s'empêcher d'imaginer Nausicaa, cachée derrière une tenture... La princesse, invisible et attentive, écoute l'aède aveugle, installé par le roi dans un fauteuil orné de clous d'argent, elle écoute le chant du poète et ses yeux se remplissent de larmes... Elle a compris avant les princes, les notables , le roi ! Devant elle, mais il ne la voit pas, Ulysse étouffe ses sanglots, l'aède chante les combats des grecs sous les murailles de Troie, il chante la mort des héros...
"A toute l'assistance, il sut cacher ses larmes: le seul Alkinoos s'en douta, puis les vit, ils siégeaient côte à côte. "Le roi demande alors la raison de cette peine immense secouant un homme si solide, la princesse, on l'imagine encore, frissonne peut-être, car Ulysse révèle l'incroyable vérité !
"Seigneur Alkinoos, touché par mes pleurs, tu veux savoir ma peine, Ah ! par où débuter ? Mais je veux commencer en vous disant mon nom: que vous le sachiez tous !
C'est moi qui suis Ulysse de qui le monde entier chante toutes les ruses et porte aux nues la gloire. "
On peut admirer la touchante absence de modestie du grec . Mais, Ulysse avait conscience de sa nature extraordinaire . Et le voilà racontant ses aventures... L'Odyssée est maintenant rapportée par son vrai héros aux aristocrates de l'île merveilleuse; un auditoire ému, subjugué, abasourdi...
Alkinoos, roi sage et clairvoyant,comprend qu'il serait judicieux de garder cet homme en son royaume:
il ose proposer au magnifique héros de rester sur l'île 'merveilleuse et d'y épouser sa fille.L'attirance d'Ulysse et de la princesse lui saute au visage , en bon père , il souhaite un époux aussi remarquable pour la pure Nausicaa . Mais , le roi d'Ithaque sait que Pénélope désire de toute se tendresse conjugale le retour de cet époux aventureux, il ne peut que repousser la tentation phéacienne ...
Ce peuple de marins décide d'aider Ulysse à prendre la mer vers Ithaque. Ulysse et Nausicaa échangeront un adieu sublime de tendre retenue, Ils ne s'oublieront jamais, ces deux êtres liés, l'un à Pénélope, l'autre à son fiancé inconnu, et pourtant éblouis  tous deux par leur rencontre voulue par les dieux sur l'île la plus mystérieuse et la plus chatoyante de l'Antiquité...
 L'île solaire de Corfou, qui d'après les recherches érudites et l'intuition jamais en défaut des âmes romanesques, serait la paisible Phéacie, garde depuis trente siècles ce secret immortel.Avec la brise vespérale passant en ses montagnes couvertes d'oliviers, ses bois  de citronniers, ses vergers d'orangers, ses sources bondissantes, soupire encore le souvenir tremblant de ce coup de foudre entre le héros grec et la princesse intrépide.
A bientôt !
Pourquoi ne pas naviguer jusqu'au nouvel an sur la méditerranée ?

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
     

           

lundi 14 décembre 2015

Hérodote vous invite chez les Perses !


"En cheminant avec Hérodote" est un recueil de textes commentés qui permet de s'initier aux récits du grec" voyageur de l'Antiquité" en évitant de s'y noyer !
 C'est également une invitation lancée par Jacques Lacarrière aux aventuriers de tout âge, de toute culture, de toute nation par un écrivain français à la curiosité nourrie de beauté antique et de savoir-vivre humaniste.
Jacques Lacarrière a aimé la Grèce d'un élan immodéré. Au fil de ses ouvrages, il a su réunir toutes les "Grèces" dans un superbe concerto. La Grèce contemporaine en proie aux vifs paradoxes, celle des poèmes de Séféris et de Ritsos, celle de Périclès, celle des îles à l'harmonieux éparpillement, celle des premiers conteurs; du premier poème: à l'aurore du monde,le chant rude et batailleur, adouci du sourire des déesses et mortelles, le chant d'Homère; la musique balbutiant la découverte de ce fol univers...
Puis, Hérodote, l'enquêteur, le détective de l'humanité remarquant tout et ne s'indignant de rien. Hérodote, celui qui a inventé le goût de l'histoire humaniste: il découvre, mais ne juge pas; il apprend afin de nous apprendre ce qu'est le monde infini, il ouvre les portes nous séparant des autres. Depuis plus de vingt cinq siècles, il ne déçoit jamais ce qui se glissent entre ses pas... Son coffre aux merveilles déborde de souvenirs glanés dans des contrées qui nous semblent légendaires, la Lydie, la Perse, Babylone, la Tauride.
Il a étudié ou, selon son acte de"foi" enquêté sur tout y compris sur Athènes sauvée des Tyrans; l'inventeur de l'histoire proclame alors sans peur l'éclat de la liberté et la suprématie de l'égalité, principes absolus de la civilisation d'Athènes au temps de l'humaniste Périclès:
"il est vrai, non pas une fois mais toujours, que la liberté et l'égalité sont des biens précieux ! Athènes, délivrée des Tyrans prit de loin la première place; preuve que sous un maître, les citoyens n'avaient que mauvais vouloir, parce qu'ils travaillaient pour ce maître, mais une fois libres, chacun mettait son cœur à la défense d'intérêts devenus les siens".
Comment oser dire en lisant ceci que les "Antiques" sont un luxe inutile ! Les écrivains grecs parlent notre langue spirituelle...
Hérodote est le marcheur du monde antique, le "routard" du Vème siècle avant notre ère, le Nil lui a servi de guide afin de mesurer le degré de civilisation de ces égyptiens sur lesquels brillait une lumière immémoriale de prodiges. L'Egypte, terre "don du Nil", selon la fameuse formule inventée par Hérodote et toujours reprise, où seule une poignée de contemporains s'était risquée, causa une telle secousse au grec qu'il en livra son témoignage le plus fervent... "J'en arrive à l'Egypte dont je parlerai plus longuement; elle contient tant de merveilles, tant d'ouvrages défiant la parole et l'imagination que je n'hésiterai pas à lui donner une place importante."
Ses pages les plus vivantes gorgées d'anecdotes  riches de détails souvent drôles et touchants, révèlent
la vie quotidienne, l'engouement pour les chats sacrés, les demi-dieux encore de nos foyers, les rites, la simplicité et la magnificence de ce peuple infiniment mystérieux pour ses voisins... L'audacieux, le curieux, l'infatigable"enquêteur" n'a peur de rien.
Pourtant en ces temps si éloignés où l'on croyait la Terre partagée en trois continents souvent peuplés de monstres hideux, les voyages exigent un caractère trempé dans le fer, une énergie de jeune homme et l'ingéniosité d'un stratège face à une bataille contre plus fort que soi ! Sans l'appui des cartes ou la solidarité entre voyageurs ou marchands, sans escorte d'une petite armée, bêtes sauvages et brigands guettent les proies faciles sur terre, au sein des déserts ou dans les montagnes arides. Pirates et tempêtes découragent les aventureux inconscients sur mer; le retour est incertain, les périples durent, si l'on est malchanceux, malade, ruiné ou rançonné, des mois, des années... Mais les grecs naviguent de père en fils, la méditerranée est leur univers, ils ne craignent pas d'aller à la rencontre de ports grouillant de peuples barbares. Pourquoi l'un des leurs attendrait-il avant de repousser les limites des comptoirs marchands ? Le plaisir l'emporte sur la peur  le désir de s'instruire, de récolter les renseignements utiles et les mythes insolites devient un aiguillon décisif !
Le monde bouillonne  d'inconnu, Hérodote ne résiste pas ! A la fois sage, fou, lucide, naïf, épris de grandeur et de familiarité, il s'en va, sans façon, impartial,en dépit de sa fougue, considérer, le spectacle du monde.
Le voici en Perse. Là, dans ce pays ennemi traditionnel des grecs, depuis les guerres médiques,
il sait reconnaître de belles et nobles vertus à ce peuple de guerriers. Les différences ne l'offusquent ni ne le choquent, son travail est d'informer.
Tout d'abord  remarque-t-il, les Perses sont respectueux des Dieux, mais, au contraire des grecs et des égyptiens, sans avoir pour cela besoin de leur donner une forme: "En Perse, les dieux n'ont droit à aucune statue, à aucun temple, à aucun autel. Mieux, les Perses traitent de fous tous ceux qui en construisent ".
Hérodote essaie de comprendre et il aboutit à cette conclusion pleine de bon sens: "sans doute les dieux sont-ils, à leurs yeux, d'une autre essence que les hommes. "Mais, cela n'empêche nullement les Perses d'accepter le culte de dieux venus d'autres peuples, l'esprit de tolérance ou l'envie de se concilier une divinité renommée les incite à sacrifier pour Vénus, "Mitra" en perse, selon Hérodote.
Jacques Lacarrière intervient discrètement pour nous confier que notre routard antique aurait confondu un dieu solaire mâle Mitra avec la Vénus perse Anahita... Une légère distraction venue d'aussi loin nous charme autant que l'exacte vérité ! Hérodote confie ensuite ce trait fort généreux prouvant l'esprit de clan perse en matière de religion "il ne viendrait à l'idée de personne, en Perse, d'invoquer un dieu pour son compte personnel." la foi a un un caractère solidaire, la communauté, le roi passe avant le vœu égoïste... Hérodote sait ménager notre curiosité ! Rien qu'avec ces précisions de départ,le peuple perse nous intéresse au plus haut point !
La description se poursuit, par petites touches  amusées et bienveillantes. Un peuple sort des vapeurs antiques, jaillit des frises sculptées d'un cortège de gardes du palais de Darius, des reliefs légendaires de Persépolis, des colonnes gravées de taureaux ou de sphinx, pierres d'or rouge portant un roman fantastique sous le ciel d'un bleu profond,.. La vie ranimée de la Perse grandiose et intime s'élance devant nos yeux ébahis grâce à l'inaltérable familiarité de ton menant l'enquête de l'historien grec.
Voici que se tendent, entre nous et ces hommes et femmes du Vème siècle avant notre ère, d'étranges passerelles.
"L'anniversaire d'une naissance est toujours, en Perse, considéré comme un grand jour. On sert ce jour-là un repas plus copieux que d'habitude, comprenant, au moins chez les riches, un boeuf, un chameau, un cheval ou un âne tout entiers au four ". Ce qui laisse imaginer les dimensions du four en question ! Hérodote reste dans le domaine de la gastronomie en n'omettant pas une pique perse à l'égard des grecs, ce qui prouve son absence de parti pris, qualité essentielle du premier historien de l'humanité, "Les repas perses comportent en général très peu de plats de résistance, mais, en revanche , une véritable avalanche de desserts. Ce qui leur fait dire qu'en Grèce, quand on se lève de table, ce n'est nullement parce qu'on n'a plus faim, mais simplement parce qu'il n'y a rien de plus à manger.
Apportez-leur un dessert, disent-ils en parlant des grecs, et vous verrez s'ils ne le mangeront pas !"
Ces perses nous sont très sympathiques ! Ces bons vivants savent inviter à des repas d'affaires, "il est de tradition, chez eux, de traiter en buvant les affaires les plus sérieuses": une pratique fort répandue de nos jours...Mais, la sagesse règne au milieu des libations excessives: "quand ils ont pris ainsi une décision, l'hôte chez qui la réunion a eu lieu remet la décision aux voix, le lendemain, quand ils sont
dégrisés. S'ils l'approuvent toujours, on s'en tient là, sinon, on y renonce."
Ce bon sens s'observe dans le domaine de la politique internationale, là aussi, rien de plus franc, de plus logique, les perses ne trichent ni ne rusent, ils sont à prendre comme ils sont et nous les apprécions sans peine; Hérodote, dans l'ombre, ne tire-t-il les ficelles ? Voyons un peu: " Les peuples qu'ils estiment le plus sont ceux qui vivent le plus près d'eux, puis les plus proches voisins des premiers et ainsi de suite. Leur estime décroît à mesure qu'augmentent les distances. Inutile de dire que les peuples qui habitent aux extrémités de la terre ont droit à tout leur mépris !".
La vraie richesse d'un Perse coule de source: bravoure et, enfants ! L'or pur, ce sont les fils !
Comment devient-on un guerrier, antichambre d'un héros Perse ? En s'y prenant tôt ! les recettes en vigueur évoquent l'éducation médiévale au sein des châteaux-forts: "de cinq à vingt ans, on n'apprend aux enfants que trois choses: monter à cheval, tirer à l'arc et dire la vérité."
Hérodote avait beau être un grec cosmopolite et avide de savoir, l'éducation des filles n'éveillait guère son insatiable curiosité! Son "article " sur les mœurs de l'ancienne Perse, celle qui fut gouvernée par l'intègre Cyrus, choisi par un autre grec humaniste Xénophon  afin d'incarner les vertus d'un monarque ne faisant qu'un avec ses peuples, nous passionne en dépit de cette lacune "d'époque" !
La justice Perse nous étonne beaucoup; où sont passés les barbares ?
A la place des jugements rapides, voici des hommes profondément attentifs aux faiblesses humaines, ne rendant de verdict qu'après de mûres réflexions. Hérodote approuve de toutes ses forces, il cherche à convaincre au delà de sa mission  et son intervention donne au récit un accent troublant; sans y toucher, ne dénoncerait-il d'autres systèmes de justice ? écoutons-le ! "Je trouve très bien, en Perse, que personne n'ait le droit de faire exécuter quelqu'un qui a commis une faute. Au lieu de céder sans réfléchir à sa colère ou à ses impulsions, on pèse d'abord les méfaits et les bienfaits du coupable, et on ne le condamne que si les premiers l'emportent."
Enfin, la société Perse s'appuie sur ces deux pierres: ne pas tuer, ne pas mentir.
Un beau modèle de noblesse antique !
Le monde d'Hérodote frappe à nos portes, ouvrons grand ! Laissons-nous emporter par les voix
chuchotantes, les bijoux ciselés, les entêtants parfums, les armures de bronze, les animaux sacrés, les rois généreux, les légendes trop belles pour ne pas chanter juste !
Il suffit d'ouvrir  un livre de poche à quelques euros et l'Antiquité s'engouffre dans votre vie !
Encore mieux, en version bilingue, et tant pis si vous ignorez le grec, rien que le dessin des mots, la grâce des lettres, le secret traduit sur l'autre page vous raviront en ranimant une musique endormie, le retour aux sources bleues sommeillant au fond de vous... L'écume du bassin méditerranéen...
A bientôt !
Peut-être vers une île dont la princesse portait le doux nom de Nausicaa,
ou ailleurs... en navigant sur la mer d'Ulysse,
Pourquoi ne pas suivre Hérodote à la recherche des sources du Nil ?

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

jeudi 10 décembre 2015

Pierre Moustiers: "L'hiver d'un gentilhomme" ou l'aube sur les cendres


Voici une quarantaine d'années, Pierre Moustiers donna aux amateurs éclairés de l'Ancien Régime un roman qui, même en 2020, sort étrangement des brumes littéraires avec une jeunesse lumineuse.
 Le style concis, maniant la précision amusée comme une épée à fine lame, les héros de toute sorte, châtelains, paysans, bourgeois, faibles, forts, frivoles, lâches, idéalistes mais toujours d'un naturel parfait, les terres de haute-Provence, rudes, venteuses, impitoyables, mais rachetées par le soleil luisant à travers les amandiers, le ton d'épopée au delà des drames intimes, tout cet éclat vivace scelle le puissant envoûtement allant de pair avec la vérité du récit.
L'histoire respire à pleins poumons!
Chanflorin, le vénérable château du baron de Sagne émerge comme un îlot immémorial des montagnes du Lubéron, sous l'égide de son maître encore vert, symbole inaltérable d'une espèce d'hommes que l'on nomme les gentilshommes.
Les uns, de cœur, d'esprit, de famille, qu'importe, un gentilhomme est un être au dessus, un solitaire marchant sur le ligne de crête, un brave, acceptant sans sourciller sa propre défaite, un optimiste invulnérable qui sur les cendres fumantes s'apprête à reconstruire les palais effondrés...
En bas, dans la vallée ample et prospère, un homme neuf, Balthazar Maynier, apothicaire à son aise, s'évertuant à monter à l'assaut des sommets, porte le titre de deuxième consul de la bonne ville d'Apt. Petit-fils de bûcheron, il sait abattre des montagnes de corvées et découper à la hache les dossiers de la déjà sacro-sainte administration locale.
Veuf à quarante ans, il ne craint ni la solitude ni le travail acharné. Une unique faiblesse perce sa carapace de citoyen vertueux et dévoué: l'indéfinissable sentiment d'estime, d'amitié et d'admiration pudique qu'il voue à l'impavide baron.
Le premier de ces hommes perpétue un monde menacé, le second lutte pour un nouvel ordre qu'il s'invente plus juste et plus riche en humanité.Tous deux vont se lier en allant de pair rétablir l'honneur vaincu d'Olivier de Sagne, le fils du baron, meurtri dans sa chair et martyrisé dans son intégrité de gentilhomme d'ancienne souche.
En 1771, la pire des punitions pour de fringants aristocrates lancés avec panache dans le tourbillon mondain, fut-il provincial, restait sans conteste le piteux enfermement sur les terres familiales.
Ne s'obstinaient à vivre en leurs manoirs décatis que d'irréductibles vieux soldats !
Ces revêches pourfendeurs d'anglais ou de prussiens, affligés de blessures glorieuses dont ils ne parlaient jamais, astiquaient épées et mousquets et goûtaient les plaisirs rustiques, avant d'aller prêter main forte et conseils judicieux aux semailles, labourages, et récoltes.
Exilé par décision du commandant en chef des Etats de Provence, le fils de l'héroïque baron de Sagne,  le prudent et réservé Olivier, conseiller au Parlement d'Aix, regagna de force le château ancestral.
 Le seul à s'en réjouir fut son père, le baron, faucon fidèle à son nid par dessous tout:
 "noble d'épée entiché de sa terre, il se tenait à l'écart des intrigues politiques et des coteries, mais il avait sur les affaires publiques et sur les mœurs du siècle des idées précises et des sentiments personnels."
Ainsi le baron ne se voile-t-il les yeux sur la conduite de sa belle-fille, la coquette Christine qui ne cesse d'effeuiller ses charmes abondants et fanés auprès de conquêtes à la mode. Sa consolation lui arrive en malle-poste:
 c'est une longue jeune personne de dix-huit ans, brune et fière, digne et lointaine à l'instar d'une "belle dame de pierre", elle saute au cou de son grand-père qui croit soudain au printemps en hiver... Anne de Sagne ne ressemble pas à son époque, son caractère altier appartient aux temps chevaleresques. De toutes ses forces, la jeune fille souhaite vivre selon une chanson de geste incarnant la noblesse dans ce qu'elle a de plus courageux et de plus extraordinaire: la loyauté et la défense des opprimés.
 C'est l'héritière spirituelle du baron ! Regagner le domaine donne sens, beauté, ampleur, bonheur à ce qu'elle entend commander au destin.
Les acteurs sont en place ! Un an après leur installation forcée au château, les exilés ont choisi de se ménager un sort convenable, chacun à leur façon.
Olivier de Sagne essaie de se monter bon fils et bon paysan; châtelain tout -puissant, il n'y songe pas, cela sentirait trop le parvenu qu'il n'est en aucune manière .
Christine trompe éperdument Olivier avec le premier consul d'Apt, elle n'envisage pour le moment nulle autre panacée à son ennui incommensurable. Elle aussi ne joue pas à la châtelaine, seul son hôtel particulier d'Aix lui semble un château.
 Au contraire du manoir envahi d'effluves puissantes de son beau-père !
La belle Anne est devenue étourdissante et ne s'en doute pas. Elle règne au château où tous la reconnaissent pour ce qu'elle est: la preuve en blancheur et en grâce que la lignée de Sagne continue.
Ce matin du premier octobre 1772, le baron reçoit à déjeuner.
 En dépit des sinistres bruits courant sur une bande de brigands détroussant sans vergogne sur les routes de Toulon à Marseille, un des convives, le menton entaillé par son barbier, se hâte lentement au trot de son sympathique cheval, le robuste Chausson. Comment ce laborieux roturier a-t-il gagné son invitation ?
 Par sa sincérité ! N'a-t-il sans crainte expliqué au baron:
 "La possession de l'argent m'indiffère, mais j'ai horreur du déséquilibre comme d'une maladie et le déficit en est une. "Ce à quoi le baron avait répondu avec la même droiture:
 "en vérité, les gens de ma race sont bien illogiques. Ils dénigrent l'argent et ne pensent qu'à lui". Depuis ces propos audacieux, une amitié ne cesse de grandir entre ces hommes que tout oppose. Balthazar Maynier a une autre raison de se réjouir de ce déjeuner pluvieux, il monte Chausson dans l'espoir de faire un peu moins peuple, presque gentilhomme.
 Il voudrait tant que l'estime aimable du grand-père se transmette à la somptueuse et glaciale petite-fille !
Le baron a eu pitié de sa belle-fille, un invité précédé de sa vibrante réputation d'homme du monde se joint à la table dominicale: le pommadé, suprêmement raffiné, et terriblement prétentieux chevalier d'Urtis. Christine s'épanouit ! Anne daigne sourire, le repas s'annonce bien !
Au menu, de bons mets, un marcassin cuit à l'étouffée dans sa purée de chanterelles et un sujet inquiétant: les brigands ! Le vin étourdit, et insuffle à Maynier une passion éloquente ! Anne est attendrie, peut-être davantage...
Olivier s'amuse de la cour du chevalier à sa femme, l'insouciance baigne l'assemblée.
C'est le moment rêvé pour les brigands ! Le château est envahi par d'odieux personnages bottés et pointant leurs pistolets ! Ces brutes réclament carrément le trésor de guerre du baron; le rude gentilhomme ne se laisse pas décontenancer. Il ment avec l'accent de la vérité, sa fortune repose en sécurité à Apt. Bien renseigné, le chef des brigands ne s'embarrasse pas d'une once d'humanité:
 il tue froidement d'un coup de pistolet le bon serviteur Sauvari qui tombe aux pieds du baron. Révulsé, Olivier provoque l'assassin en duel.
Geste qui de nos jours paraît d'un grand courage, acte en 1772 lourd de sens; le perdant perdra son honneur, la vie qu'importe ! L'honneur d'une famille, d'un nom, d'une terre, tout repose à la pointe de l'épée d'Olivier. En est-il capable ?
 Le soldat qu'il fut avec panache avant son enfermement mondain exigé par sa femme dans les salons et au parlement d'Aix n'est-il amolli ? Ses forces, sa fougue, sa science de l'escrime, le sens instinctif des ruses, des esquives, des feintes, les possèdent-ils encore ?
 "Au premier choc, le baron  sentit ses veines gonfler et ses tendons craquer comme si les lames froissées entraient dans sa chair... Il était fou d'action et de haine. Il devinait tous les mouvements de l'adversaire,éventait ses moindres ruses. Mais que se passait-il,Seigneur ?"
L'inconcevable survient... Olivier est mis en déroute puis vaincu. Pire: le gueux épargne la vie du gentilhomme. C'est l'offense suprême. La fin d'un système ancestral.
Cette défaite sonne le glas d'un monde où l'esprit chevaleresque palpitait comme un feu aux aguets sous les lambris dorés et les buis ridiculement taillés.
Ce duel que nous vivons à l'unisson des spectateurs, coup par coup, lame contre lame, secoue le roman jusqu'au dénouement vengeur. Car, vengeance se prépare. Vengeance de gentilhomme pour lequel la sauvegarde de ses paysans importe autant que la réparation de l'offense portée à son nom.
Olivier sera, hélas, anéanti par la conscience irraisonnée de sa faiblesse.
 Et, c'est avec le sage, prudent , travailleur roturier, l'apothicaire plein de bon sens, Maynier, que le baron de Sagne agira à l'exemple de ses ancêtres: il montera à l'assaut ! Seul, comme autrefois, en compagnie de ses hommes de confiance; et là où les forces officielles de gendarmerie ont échoué, il réussira !
Avec sept hommes là où il en aurait fallu trente ! L'héroïsme n'est jamais du côté le plus fort mais de celui qui a la rage au cœur, l'expérience dans le corps et la bravoure sortant de l'âme.Toutefois, le rôle du sauveur appartiendra à Maynier !
 Mouton mué en fauve par amour pour Anne, il s'interpose,
sauve le baron et s'écroule !
L'honneur est sauf, celui d'Olivier comme celui de Maynier, roturier  qui, en un autre temps, aurait été adoubé chevalier. Le baron ne détient plus, hélas, ce pouvoir...
Maynier est accepté par Anne, une Sagne se sacrifie-t-elle afin de récompenser le manant qui vient d'être blessé afin de protéger son grand-père ?
 Il s'agit d'autre chose: Anne a choisi un homme neuf. Olivier s'est réfugié dans la mort. Que reste-t-il au baron, ultime chevalier sans peur et sans reproches au sein d'une aristocratie en doute d'elle-même?
"On ne sait plus défendre une cause. On ne sait plus mourir. Nous sommes fatigués de montrer les dents. Me voilà au cœur de l'hiver."
Brusquement, le soleil étincelle dans le ciel gris, l'hiver du gentilhomme resplendit d'allégresse, il
voit monter vers lui les fiancés, allons, sur les cendres fumantes, l'aube étincelle:

"La vie recommence, dit le baron en souriant, les hommes de mon espèce ne meurent pas."

Ce livre d'une sobre passion rend proches de nous ces êtres si lointains qui en 1772 sans le savoir
réunirent sans haine l'ancien monde et le nouveau...

A bientôt, pour d'autres splendides récits que l'on dévore pour les retrouver encore et encore tant leur esprit exprime d'humanisme et leur style ruisselle d'intensité élégante...

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

lundi 7 décembre 2015

Contes du vieux château : "Esther et le diplomate" ou les hasards de l'amour dans une Florence endormie

Les hasards de l'amour dans Florence endormie:
"Esther et le diplomate: Frédéric Vitoux

En 1793, qui se souciait de Florence, citée ronronnante sur son passé ?
La ville des Médicis était devenue une bourgade veillant sur un coffre aux merveilles.
Or, une tempête d'opinions et d'idéaux bruissait en ses palais de pierres bosselées; les rumeurs les plus insolentes croissaient ses jardins et menaient leur train entre cyprès, fontaines et citronniers, trahisons chuchotées et  amours occultées.
 Fraîchement promu à l'austère dignité de diplomate représentant la nouvelle République française juste après l'exécution du roi, le très humaniste et absolument célibataire François Rambault va se découvrir une nouvelle jeunesse en faisant la chasse aux espions de toute sorte et aux toiles de maître vendues trois francs six sous en son honneur.
Frédéric Vitoux brosse dans ce roman "Esther et le diplomate" le portrait d'un homme mûr qui s'affranchit soudain de sa prudente retenue, de sa réserve de diplomate habitué à se cacher derrière un masque lisse, afin de défendre sa passion amoureuse inattendue; et en même temps, sa foi dans les droits de l'homme ravagés par le bain de sang d'un gouvernement français en proie aux pires exactions contre ce peuple qu'il avait juré de défendre.
Le récit commence de façon pittoresque à bord d'une corvette marchande tanguant sur la méditerranée, de Marseille au port toscan de Livourne. Les passagers s'accommodent de bonne grâce des inconforts de la navigation, du mauvais vin servi à la table du commandant, du mal de mer et des torrents verbaux d'un anglais apoplectique, rougeaud et antipathique qui en fait un peu trop pour ne pas susciter la suspicion...
Pourquoi ce John Hartwood fouille-t-il dans la cabine du diplomate ? Qui l'a mis sur son chemin ?
Sa sœur, la fine, suave et tuberculeuse lady Melcombe, veuve du vicomte Veymouth, aristocrate ayant poussé l'art de vivre jusqu'à la ruine totale, sert-elle de paravent, d'alibi à ce frère fort peu respectable? François Rambault ne se doute nullement qu'il est sur le point de tomber amoureux comme un adolescent de la blanche Cecily.
En célibataire endurci, il s'est toujours méfié des femmes de chair, sources d'ennuis et de dépenses inutiles, au profit des madones peintes, si rassurantes du haut de leurs toiles  et surtout silencieuses et sans caprices ! Mais l'amateur d'art trouve son maître cette fois, cette sage lady abandonnée par la fortune possède bien mieux:
 "elle aurait pu ressembler à une madone de Corrège. Et il apprécia autant sa pâleur que son silence dans les profondeurs de cette salle à manger où les flammes des lampes se reflétaient aussi sur le vernis du bois. C'était une femme qui ne se poudrait pas, qui ne se souciait pas de séduire ou de mentir".
Le ton est donné ! Le diplomate a trouvé son idéal !
Du coup, son esprit bat la campagne; sa mission ne lui inspire qu'un intérêt mitigé. D'ailleurs, en ce mois de janvier 1793, c'est la confusion qui s'installe dans sa hiérarchie. Il croyait partir pour Rome, lors d'une escale à Nice, il reçoit l'ordre du Conseil exécutif de se rendre à Florence; immédiatement ! Il est urgent de savoir si le jeune grand-duc, neveu de Marie-Antoinette, mais éduqué selon les idées des philosophes, accepterait de "laisser les troupes françaises traverser la Toscane".
Sur ce, le diplomate après Nice et Gênes, débarque à Livourne et dans ce port tranquille, les fureurs politiques lui sautent au visage !
 La Convention vient de voter une déclaration de guerre au roi d' Angleterre... Les anglais, plus que la mort du roi, veulent venger leur défaite américaine.
 "Les Anglais n'ont jamais oublié Yorktown ! " s'écrie le collègue de François obligé, bien malgré lui, de plonger dans les orages de la Terreur à Paris.
Béni des dieux, François Rambault ? A priori, ses chimères glorieuses et ses manies artistiques sont vouées au néant: que va -t-il devenir à Florence ? Rome, passe encore, c'est le paradis des collectionneurs impécunieux de l'époque, mais Florence ?
La Toscane se déclarerait-elle en guerre contre la France ?
Elle n'avait aucun besoin de soutenir l'Angleterre; pays prospère, libéré de la peine de mort par le propre frère de Marie-Antoinette, le grand-duché avait reconnu la République française.
C'était donc une espèce de Suisse où allait s'engloutir François. Et Lady Cecily dans tout cela ?
Une malice du destin met en présence de son portrait le diplomate errant dans les rues de terre battue de Livourne, l'échoppe minable du Signor Rafaelli contient un obscur trésor: un très vieux tableau, une toile en triste état représentant Esther s'évanouissant devant le roi Assuérus; une chose élimée, pitoyable, et pourtant, François n'hésite pas à marchander âprement ! Esther évoque Cecily...
La toile n'a pas de prix :
 "Elle avait l'ovale, l'ivoire aussi du visage de Lady Melcombe et il aurait voulu déjà nettoyer ce visage, passer dessus un peu d'eau savonneuse pour l'éclaircir, pour qu'il relève les paupières et dévoile ses yeux bois de rose."
Un tableau déniché, l'écho subtil d'une femme que l'on ignore encore aimer, voila qui réconforte l'humaniste perdu dans un nouvelle société rompant avectout ce qui lui tient à coeur:
"ils n'avaient peur de rien ces hommes de la Révolution, ils étaient l'avenir et l'enthousiasme. L'enthousiasme surtout. Seuls les postes de diplomates avaient encore échappé à leur impatience. Sans doute parce que la diplomatie est affaire de silence, d'attention, de doute, de ruse, et non pas de cavalcades et de provocations. "
François n'est plus à sa place et il le sait.
Un espoir demeure: par le plus singulier des hasards, Cecily et son frère, l'insupportable négociant anglais, changent de cap eux aussi ! Florence les réunira tous !
Qui en a décidé ainsi ? François s'en moque !
Une faible lueur perce à travers son brouillard intérieur; et, comme si une divinité avait pitié de son humeur adolescente, à Lucques sur le chemin de Florence, alors qu'il contemple, au sein du Duomo, le gisant sublime de la belle Ilaria, chef d'oeuvre du maître Jacopo della Quercia quatre siècles auparavant, Cecily se matérialise...
Leur promenade nocturne éveille les sentiments cachés, un air d'opéra-bouffe "Nina ossia la Pazza per amore" fredonné par l'adorable lady scelle une promesse:
 ils se reverront !
En attendant, François à peine ses bagages ouverts et son Esther clouée au mur de son logis, deux pièces surmontant une boutique de fruits et légumes, quelle manque au protocole indispensable à un presque ambassadeur, se voit soudain la Providence des affligés du monde de l'art !
Méchamment rejetés de Rome, la cohorte affamée des peintres, architectes, dessinateurs français affluent dans la minuscule ambassade bordant l'Arno.
Il faut nourrir, rassurer, habiller ces esthètes épouvantés ! Un secours leur a été obligeamment fourni par un inconnu, le dessinateur Jean-Baptiste Wicar, tête brûlée, caractère emporté, républicain immodéré ! Ce comportement explosif agace le dévoué secrétaire d'ambassade car Florence exige du silence ! Rien que du silence ! François est entièrement d'accord .
Du fond du silence florentin, n'entend-t-il chanter Lady Cecily ?
Alors, qu'importe les turbulences déplacées de ce Wicar . La confrontation entre les deux hommes arrive toutefois assez vite: en plein cabaret, un français reçoit un coup de poignard sous les yeux incrédules du diplomate !
C'est le fameux Wicar, bien sûr, victime de ses incessantes provocations .
François vole à son secours, aide sa jeune et ronde maîtresse, et, en récompense, apprend que la première de "Nina ossia la Pazza per amore", une "ânerie larmoyante", dit l'insolent Wicar auquel sa blessure n'a nullement fait perdre la causticité de sa langue, est pour les prochains jours ! François oublie l'attentat, la révolution, les espions anglais qui, d'après Wicar, pullulent comme des mouches, les ennemis de la république, le grand-duc et sa maîtresse, les statues, les églises, les cyprès, les nobles florentins courtois et taciturnes, les poignards sortis et les servantes amoureuses.
Le monde se rétrécit, Florence se métamorphose en une seule rue: la via della Pergola, un seul théâtre  une seule femme:
 lady Cecily !
Il ne se trompe pas: Cecily assiste à cette représentation emportant de bonheur les Florentins sentimentaux, coeurs chauds et faciles à émouvoir, se délectant de l'affreux chagrin de la malheureuse Nina perdant sa raison à force d'aimer celui qu'elle s'imagine perdu à jamais.
Tout Florence se presse et Lady Cecily fait encore mieux: elle trône au dessus de la plèbe, invitée des aristocrates les plus remontés contre la République française !
Grâce au Ciel, c'est une femme intrépide, dés qu'elle aperçoit l'embarrassé diplomate, elle s'empare de son bras et de son cœur par la même occasion ...
Le moment n'est pas au romantisme: une nuée de papiers pleut sur l'assistance: des proclamations révolutionnaires appelant à la révolte le bon peuple de Florence, n'aspirant qu'à des jours endormis.
Le diplomate se ranime en l'adolescent amoureux de cinquante et quelques printemps:
François déchire ostensiblement un des ridicules papiers, l'incident est clos en deux secondes, Florence, à la guerre préfère l'amour.
Mais, le frère de lady Cecily entre dans la danse, les manipulations se multiplient, une machination s'ourdit contre François qui, indifférent, ne pense qu'à Cecily.
La jeune veuve s'attache et se détache de son diplomate au rythme de sa maladie, elle veut se montrer à lui sous un jour serein et gracieux, comment aurait-elle l'impolitesse de l'accabler avec son quotidien fastidieux de remèdes, potions et quintes de toux ?
 Ils vont vivre et faire l'amour sur un fil tendu au dessus de l'abîme.
Cecily meurt tout doucement, elle se donne sans mesure avant de descendre le fleuve éternel:
"le bonheur n'est pas un droit. Le bonheur est une grâce. Cecily et lui s'accordaient parce qu'ils mesuraient le privilège de cette grâce qui tombait sur eux, comme le vent du haut des collines vers la plaine de Pistoia. "
Les pages exquises contant la fugue des amants dans une solide maison de la campagne toscane tissent une harmonie ample et musicale: le chant de l'éternité, l'amour pur, élevé au rang d'oeuvre d'art, l'isolement généreux dans un jardin interdit au commun des mortels:
"Avant de connaître François, Cecily n'avait jamais rien partagé de la sorte avec personne. elle n'avait jamais pensé qu'elle pouvait être une femme libre qui s'arroge le droit d'exister..."
Hélas, le temps ne se dompte qu'un court instant...
Sa manie de collectionneur aura raison de la légendaire prudence de François; les nerfs à vif, de retour des collines toscanes, le voici prisonnier d'un complot .
On l'accuse du vol d'un précieux tableau de Corrège faisant partie du Palais Pitti. Il a donc détroussé le grand-duc ! Lui l'honnête diplomate !
Une folle cavalcade emporte le pauvre François, brouillé avec Cecily, menacé,calomnié, exaspéré, il rajeunit à vue d'oeil .
Le roman s'apaisera, et le vent de l'histoire reprendra ses droits. La maladie de Cecily aura le dernier mot...
Longtemps après ces péripéties florentines, François, léguera au musée de sa ville natale, Nantes, la toile d'un grand maître: un Corrège qui vaut le détour... Un souvenir mêlé à sa passion pour une Anglaise qui ressemblait à l'Esther embellissant un vieux tableau dont personne n'a retrouvé la trace.
Roman à l'écriture élégante, sensible, subtile, "Esther et le diplomate" se lit, se relit, devient un ami, un confident, un sanctuaire parfois.
 Ce testament d'un esprit altruiste, ces confidences aériennes, ces amours diaphanes et vigoureuses nous rejoignent cœur et âme; c'est l'apanage enchanté des grands romans.

A bientôt !

Lady Alix
ou Nathalie-Alix de La Panouse
1780: un portrait signé Fragonard qui pourrait être celui de Lady Cecily,
Musée Fragonard, Grasse