samedi 31 octobre 2015

"Féerie Cinghalaise": le voyage ensorcelé de Francis de Croisset



Voici dix-sept siècles, une île divine, bienheureuse, habitée par des rois et refuge des Dieux, portait
le nom ensorceleur de Taprobane.
En 1926, un jeune écrivain épris "du merveilleux  des longues traversées", le pétillant Francis de Croisset,aborda avec un bagage d'illusions occidentales et d'humour bienveillant sur les plages de Ceylan.
Il cherchait l'éblouissement, l'étrange confrontation avec un monde faisant sauter les verrous du matérialisme ou de la banalité, il  était avide de magies inconnues et prêt à tomber amoureux de chaque déesse insulaire rencontrée sur le marché de Colombo.
 Naïf, courtois, amusé de tout, Francis se croyait maître de lui et de ses enchantements.
Mais, en dépit des bonds de son imagination débridée de jeune écrivain-voyageur, il aurait perdu  son âme  et sa tête sur cette île, où depuis l'aube des temps les fantasmagories mènent une sarabande sans foi ni loi,si un mentor rouge comme un coq ne l'avait pris sous sa protection...
Quelques années plus tard, mais aucun des deux ne s'en doutait, Francis de Croisset et le Lieutenant Hollicott iraient à la rencontre de l'Inde des derniers Maharajahs...
 "La féerie cinghalaise" est le récit d'une amitié naissante entre un français subtil et un anglais capable de mesurer les limites de la bonne parole britannique.
 Ceylan est une colonie en apparence tranquille; or il suffit d'une soirée chez un couple ami de l'Empire et de ses représentants pour que le doute s'immisce chez l'écrivain. Déjà, la veille, il avait cherché une île qui se dérobait. Logé, à l'instar des européens ou pire touristes américains, au palace, une grosse caserne jaune, à la sortie de Colombo, il n'avait reçu qu'une flambée de canicule en guise de bienvenue.
 Et soudain, le miracle: trois géants, trois cocotiers s'élevant plus haut que les sept étages du vulgaire palace-hôtel, lui semblent le symbole de la résistance d'un monde extraordinairement ancien;
"sans doute, surveillant la mer tropicale, signalent-ils l'arrivée hostile de tant de fumées étrangères, et là-bas, ces torpilleurs gris dont les ventres de requins luisent dans l'écume du port. Pareils à des sentinelles, ils sont là, détachés par ordre de la jungle, patients, graves et muets comme les guetteurs d'un poste avancé".
Ensuite, le jeune cosmopolite est froissé en silence par le mépris d'une américaine qui le met en garde contre à peu prés tout ! attention aux fruits !
" pour l'amour de Dieu, n'en mangez pas ", attention aux glaces ! "c'est le typhus " !
Et, un comble à Ceylan:
"jamais de thé, les indigènes ne font pas bouillir l'eau. Que d'imprudences "!
 Pauvre Francis !  Agacé, le voici  maintenant sur la marché  de Colombo; il s'attend à une joyeuse invitation à goûter ou sentir mangues, letchis ou doerians, il trouve, au bord d'une lagune opaque sous son "rideau de moustiques", un silence oppressant, rompu par le seul lugubre cri des vautours... L'atmosphère est aussi épaisse que la chaleur du jour. Malais cinghalais chinois tamyls s'affairent autour des étals de volailles ou de poissons, l'exotisme est à son apogée, le spectateur  atterré: "de toutes ces races, pas un cri ne monte, pas une exclamation, pas un rire, ce n'est plus un marché, c'est sa pantomime ".
Francis comprend que l'angoisse des voyages solitaires va gâcher ses beaux espoirs d'aventure. Qui lui donnera les clefs de Ceylan ?
 "Pourquoi suis-je venu à Colombo tout seul ? Je ne suis pas un héros romantique. Je suis un animal infiniment sociable. Sitôt que l'on voyage, la solitude s'appelle l'isolement".
 Le hasard a pitié du jeune écrivain: comme il affiche sa triste mine de français abandonné au bord de la piscine de l'hôtel, il  attire le regard incrédule d'un lieutenant anglais, géant blond doué d'une impulsivité étonnante pour un fils d'Albion,
 "Dujardin, crie l'anglais ", "Croisset, répond l'écrivain."
 Aucune importance ! Francis a la présence d'esprit d'annoncer qu'il fut officier de liaison à l'armée britannique pendant la guerre, le voilà aussitôt adopté ! En deux secondes, il rejoint un groupe d'officiers empressés autour d'un colonel fumant sa pipe sous ses moustaches. C'est l'Angleterre à Ceylan ! "Tous, du colonel au lieutenant, ont le même regard assuré, le même sourire paisible, la même attitude confortable ".
L'impression  est charmante, mais qu'en pensent les "natives" ? Justement, Francis, Hollicott et son ami et rival en amour, le capitaine Jerriman, sont conviés chez de "vrais " naturels de Ceylan, sir et lady Laïssoura, ce qui scandalise le méfiant colonel.
Ces cinghalais ne seraient-ils d'attaque pour offrir un poulet à l'arsenic à la place du traditionnel poulet au curry ? Aveuglés par les attraits de l'exquise lady Laïssoura, les deux  jeunes officiers n'écoutent que leur coeur ! D'autant plus qu'ils se partagent les faveurs de la dactylographe du régiment "pour la santé "explique Hollicott...
Mais sur le chemin, secoué dans un inconfortable rickshaw, Francis rêve enfin: "je n'écoute plus . J'écoute la nuit. Elle m'apporte un avant-goût de la jungle. D'immenses chauves-souris volent d'arbre en arbre. Brusquement, comme un cheval fait un écart, notre coureur s'arrête, saute par-dessus quelque chose de rampant et d'oblique, puis repart.
"Est-ce qu'on dit le ou la serpent ? demande Hollicott".
Que la fête commence chez les "sujets" de sa Majesté ! Francis sent très vite que les apparences se moquent des lieutenants sentimentaux... Gravures hippiques, sac de golf, portrait de Sa Majesté, le décor pêche par un zèle intempestif ! Quand à la sublime et fragile lady, n'en fait-elle pas un peu trop dans l'art de séduire de bavards jeunes lieutenants, révélant sans y songer les secrets de leur état-major à l'épouse d'un homme dont la bibliothèque abonde en livres particulièrement sulfureux.
Francis, entré par erreur dans le bureau du maître de maison tombe des nues, que voit-il ? Tout simplement des bombes littéraires ! "L'inde sous la pantoufle des Anglais ", ou "l'Inde sans les anglais " et encore pire "La terreur anglaise aux Indes".
 Pourtant, le capitaine Jerrimann compose avec lady Laïssoura
 "une chaste mais savoureuse affiche de propagande coloniale; le flirt à Ceylan, ou la paix dans nos dominions "...
L'aventure reprend ses droits grâce à un scorpion ! Cet horrible bestiole ayant méchamment piqué la charmante Dorothy, l'aimable "promenade de santé" des très dévoués Jerrimann et Hollicott, la malheureuse est dûment expédiée en convalescence à Kandy, citée endormie sur les rives d'un lac sacré débordant de crocodiles. Hollicott joignant la galanterie aux devoirs de sa mission d'officier enfourne donc dans la Rolls de l'Etat-Major cadeaux destinés à cette accommodante Dorothy et l'ami français. En route vers l'antichambre de la jungle...
 Chaleur insoutenable d'abord, village escarpé peuplé d'habitants en haillons, éléphants résignés, l'arrivée à Kandy apaisera-t-elle la sauvagerie de ce premier voyage ? Mais Francis se lasse vite des querelles de faux amoureux entre un Hollicott lucide et une Dorothy succombant au pouvoir d'illusion sans pareil de tous les charmeurs de serpents de l'île...
La jungle l'attire comme un paradis perdu, inconscient, il s'élance vers la démesure et l'inattendu, au désespoir d'Hollicott qui l'abreuve de conseils  d'une rare pertinence. En particulier, celui d'engager un guide salvateur qui "vous empêchera de s'amuser avec le crocodile et de caresser les cobras". Francis, obéissant, entame son odyssée à bord d'une vieille Ford conduite par un chauffeur impavide.
 A toute allure, sur les flancs d'une montagne, la jungle lui saute au visage comme un chat impétueux: "Jamais je n'oublierai ce spectacle, mais, hélas ! jamais je ne pourrai le décrire. Et à quoi bon, puisque jamais un lecteur ne me croira qui n'a pas vu la jungle de Ceylan. Des arbres qui ont l'air de bondir, de danser, de danser de joie, délirants de sève, de lumière. Des arbres qui s'enlacent, qui se tiennent par les branches, qui se rejoignent de rameau en rameau; tous dans le matin vermeil ont l'air ivre, étirent leurs bras, brandissent leurs fleurs, gonflent leurs fruits "
.Mais ce n'est qu'un pâle début ! Promu subitement Capitaine, Hollicott fonce droit vers les méandres touffus des anciens palais, traînant un Francis heureux, laminé par la morsure du soleil et atteignant un délire d'épuisement après des nuits anéanties sous l'agressif opéra de milliers d'insectes lâchés ainsi que de maléfiques furies.
Il faut une fin même aux folles épopées, le voyage se termine sur la promesse de continuer l'amitié franco-britannique et d'améliorer l'étrange français du capitaine:
"Vous viendrez me voir mon vieux, à Paris. Nous reparlerons de Ceylan ". "Oui. Et maintenant, s'écrie-t-il avec une soudaine explosion de joie, quand nous nous revois vous m'appelle Jeffrey et
moi je dis Francis".
"C'est une idée admirable, dis-je en rayonnant à mon tour ".
Les deux compères se reverront aux Indes pour un nouveau "beau voyage"...
Drôle , incisif, jamais cynique, le ton amusé de Francis de Croisset enlève l'esprit du voyage et nous emporte vers le bonheur pur des horizons lointains...

A bientôt ,  peut-être vous proposerais-je un voyage autour d'une chambre entre "la nuit et le moment", un conte ironique et enjoué, le jeu de deux voyageurs de l'amour et du hasard...
 On peut s'égarer et se retrouver sans aborder aux rives lointaines...

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

lundi 26 octobre 2015

Un voyageur détestable : le misanthrope Charles de Monbron !

Un voyageur détestable: Charles de Monbron

La belle époque des Lumières vivifiait les voyageurs intrépide des années 1750.
 Le goût de l'évasion, légué par l'humanisme, la curiosité de l'autre, le bonheur entier de la découverte, le ravissement de l'esthète ou de l'artiste devant les paysages neufs et les monuments antiques, tout cela s'entassait facilement dans la malle de l'européen aventureux vers 1750.
 Voir Naples, Rome, Venise, surtout Venise; respirer le parfum des plaisirs et l'odeur lourde de la Lagune, sombrer corps et âme dans la languide décadence, apprendre à se moquer de tout et d'abord de soi-même, cet itinéraire a suscité les caprices des adeptes du "Grand Tour".
Mais l'un d'entre ces hardis jeunes gens assez fortunés, ou faisant semblant de l'être, pour courir autour des volcans  palais, jardins, au hasard de longues allées bordées de déesses de marbre et de cyprès hiératiques, n'avait cure de la bienséance et, allant plus loin encore, affectait un égoïsme rehaussé d'une indétrônable vanité à l'égard du genre humain.
Armé de son insolence indéfectible, cuirassé de facile misanthropie, jetant son verbe cinglant à l'attaque de l'humanité toute entière, le pire des voyageurs se nommait en ces temps lointains Monsieur le Comte Louis-Charles Fougeret de Monbron.
 Cet être, qui s'ingéniait à se montrer détestable, caressait le doux espoir de scandaliser ses lecteurs jusqu'au jugement dernier.
La postérité en a décidé autrement et notre arrogant conteur nous amuse inlassablement par ses vérités jamais bonnes à dire mais extrêmement piquantes à entendre ! Partons avec ce sommet du narcissisme ,cet esprit sec, ce cœur froid, cette âme noyée dans l'amour propre, vilipender et adorer Rome, Naples et Venise.
Sans façon aucune, à peine arrivé à Rome, l'auteur du"Cosmopolite ou le citoyen du monde" nous indique sa philosophie:
 "Je ne rougirai point d'avouer que parmi tant de belles choses que j'ai vues, il y en a beaucoup que je n'ai trouvées telles que sur la foi d'autrui, et point du tout sur le rapport de mes yeux". Cette sincérité éclatante excite l'intérêt du lecteur moderne qui se méfie des louanges de commande. Le franc parler de Monbrun nous émeut et nous angoisse en charriant un pessimisme bien éloigné de l'enchantement prodigué par le voyage.
 "C'est mon lot d'être sincère; et mon ascendant quoi que je fasse est de haïr les hommes à visage découvert. Je déclare que je les abhorre parce que je les connais, et que je ne m'épargnerais pas moi-même, s'il n'était point de ma nature de me pardonner préférablement aux autres ".
 Se pardonner ? Pourquoi ? Vanité ? Que non pas ! Monbrun continue tranquillement son cynique plaidoyer:
"J'avoue de la meilleure foi du monde que je ne vaux précisément rien; et que la seule différence , c'est que j'ai la hardiesse de me démasquer, et qu'ils n'osent en faire autant ". L'arrogance hautaine de ce peu aimable philosophe ne l'empêche heureusement pas d'abaisser sa garde orgueilleuse quand la passion du voyage s'empare de lui: "je suis un être isolé au milieu des vivants; l'univers est pour moi un spectacle continu, où je prends mes récréations gratis ".
Le spectacle commence à Rome; l'ironie du misanthrope titille le Pape, mais ses paroles assassines cèdent  peu à peu devant la magnificence de l'église de Saint-Pierre, sa mauvaise humeur perpétuelle s'envole, il a beau s'évertuer à faire le blasé et le dégoûté, Rome le rattrape au vol, bien malgré lui:
"Je me contenterai de dire, sans prendre ce ton décisif qui ne me va point, que j'ai vu de grands morceaux dans toutes sortes de genres, dont j'avoue n'avoir que bien faiblement apprécié les beautés, faute d'être initié dans les mystères des gens de la profession."
 Monbrun ose même se glisser dans la querelle opposant les férus de l'Antiquité aux "modernes "en s'appuyant sur son bon sens d'homme féru de simplicité:
 "Qu'il me soit permis d'observer en passant qu'on pousse un peu trop loin la prévention pour les Anciens, et qu'il y a une sorte de fanatisme et d'idolâtrie à vouloir leur donner la prééminence en tout."
Monbrun, un homme plus proche de nous qu'il nous paraît ? Or, en 2017, Saint-Pierre de Rome est un monument des plus anciens...
 Presque honteux de ses éloges,qu'il prend soin d'éclabousser d'une cascade de méchancetés envers la vie quotidienne des sujets du Pape, Monbrun nous affirme avec son aplomb habituel que gagné par l'ennui, sa hantise en tout lieu et dans toute rencontre, il entraîne ses lecteurs à Naples.
 Ce vieux cynique éprouverait-il une sorte d'attendrissement à l'idée de se reposer sa hargne éternelle en contemplant la grandiose baie, le paysage de ruines, de remparts, de palais, merveilles gardées par les vagues capricieuses de la "mare nostrum" ?
 Bien sûr que non ! La seule chose qui revête une quelconque importance à ses yeux furibonds c'est de se mesurer au Vésuve !
 Un adversaire à sa mesure... Tous deux ne crachent-ils des flammes ?
Voilà donc le voyageur en pleine action et , cela va de soi, il est déçu !
"Il est aisé de juger à quel point ma curiosité fut satisfaite, lorsqu'aprés avoir bien sué pour parvenir au haut du volcan, je ne vis qu'un large trou et beaucoup de fumée".
 Et le difficile voyageur d'en profiter pour nous faire la leçon: nous ne vivons que d'illusions, que la nature humaine est donc triste ! La beauté de Naples distrait toutefois notre invétéré  pessimiste. Friand de nouvelles sensations si possible fortes, il se met en devoir de percer les secrets de l'antique Sibylle.Il ignore que seul le ridicule l'attends, or ce dernier peut vous tuer net.
 Voici  Monbron maintenant sous terre, en train de se faufiler dans ce qui subsiste de l'antre de la magicienne et mal récompensé de sa curiosité d'archéologue amateur par un accident imprévu:
 "on m'y fit voir dans un petit espace séparé, la fontaine où la Sibylle avait coutume de prendre le bain. J'en puis parler plus savamment que personne car j'y tombai tout de mon long et en sondai la profondeur avec le nez par la faute de celui qui nous éclairait ".
 Monbrun laisse sans regrets ces promenades risquées et se consacre à Naples.
 Les morbides splendeurs des Catacombes l'intriguent, son ironie congénitale se réveille devant le miracle du sang de Saint-Janvier, sa sincérité l'oblige à vanter la splendeur du théâtre de Saint-Charles mais le naturel revient au quadruple galop quand les chants s'élèvent de la salle de concert:
 "Si mes yeux furent satisfaits de la beauté du spectacle, mes oreilles le furent médiocrement du son mélodieux des voix par la difficulté de les entendre Il me semble que dans un pays où l'on chante et où l'on ne hurle pas, des salles de médiocre grandeur seraient plus convenables".
Jamais content ce cher Monbrun ? Venise lui arrachera-t-elle enfin un cri spontané d'admiration juvénile ? Les Vénitiennes trouveront-elles le chemin de ce coeur revêche ?
 Son vieil ennemi, l'ennui, s'enfuira-t-il sur les îles de la lagune dans les cris des oiseaux de mer ?
Nous n'osons croire à tant d'heureuses perspectives !
Pour une fois, le désappointement n'est pas au rendez-vous, à son arrivée, Monbrun avoue: "on peut dire que cette ville est très belle et unique par sa singularité".
Et les Vénitiens ? Vont-ils subir quelques coups de griffe ? pas du tout !est-ce croyable ?
 "J'ai eu souvent occasion de fréquenter de nobles vénitiens; je les ai trouvés communicatifs, affables, polis, en un mot, pleins de cette urbanité que nous, français, prétendons être seuls en possession ". Surtout, bien davantage que le Carnaval, et l'extravagante foule emplissant la Place Saint-Marc, ce qui emporte l'enthousiasme de notre esprit des Lumières, c'est la liberté d'expression absolument originale, rare et précieuse en ce temps -là:
"J'ai été témoin que l'on pouvait y parler aussi librement qu'en aucun endroit du monde ".
 Et la conclusion ne tarde pas:
 " Venise est, sans contredit l'endroit du monde où l'on peut le plus agréablement tirer parti de la vie "! Ou peu s'en faut car l'amour n'effleurera pas Monbrun au détour des canaux...
Solitaire il restera... Tant mieux pour les malheureuses qui auraient pu éprouver un sentiment altruiste à l'égard de ce fieffé égoïste.
 Réjouissons-nous, cet homme impossible se lassant du sentiment à peine rencontré,  n'aura endolori le cœur d'aucune Vénitienne !
 "Voilà l'avantage qu'ont les voyageurs; ils passent d'une liaison à l'autre sans s'attacher à personne, ils n'ont ni le temps de remarquer les défauts d'autrui, ni celui de laisser remarquer les leurs ".
En 2017, notre voyageur-misanthrope de 1750 sort toujours ses griffes !
Sa verve nous fait sourire, l'homme nous paraît presque fréquentable et ses carnets de voyage regorgent d'une vigueur méchante des plus réjouissantes...
Comment par exemple ne pas être pris d'un fou rire en lisant le récit de'une de ses mésaventures sentimentales sur le chemin de Venise: voulant tenter sa chance avec une jeune comédienne en profitant de la nuit passée dans une salle d'auberge, le voilà qui, confondant robe et soutane, se trouve face à un abbé indigné...
Mais rien de comparable aux discours cyniques de "Margot la ravaudeuse", autre livre de l'insolent auteur ; conte amoral décrivant avec perfidie les turpitudes des "puissants et misérables" !
Coeurs sensibles s'abstenir ...
Préférons le meilleur chez ce cher Fougeret de Monbrun ...On en déniche même chez ce genre d'individus obsédés par le plaisir de faire du mal à son sensible prochain !
Oui, un homme détestable en tous points, l'ami Fougeret de Monbrun; mais, tant pis pour lui, sa méchanceté irrépressible ne nous dévastera pas autant qu'il le souhaiterait.
 Quel châtiment plus horrible peut-on infliger à ce triste sire dont la langue mord surtout ceux qui ont la faiblesse de lui offrir amitié et confiance ?
 Mieux vaut rire que pleurer: ce malotru élégant a le coeur trop vide pour être regretté; c'est d'ailleurs le lot des arrogants desséchés de sa triste espèce.
A très bientôt,
 pour un nouveau voyage en compagnie d'un caractère aussi spirituel mais plus aimable !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse


Giuseppe Bonito :"le Poète",vers 1740. Bonito est un des peintres napolitains les plus férus des scènes populaires à cette époque .Pourquoi ne pas imaginer notre Fougeret de Montbrun sous les traits allègres de ce poète ?

jeudi 22 octobre 2015

Mogok la rouge: Kessel au pays des rubis !



Mogok, qu'est-ce que Mogok ?
 Rien de moins que l'un des endroits les plus mystérieux de notre planète. Nous croyons le monde rétréci, les mythes anciens dévoilés, les palais ouverts aux quatre vents, l'entrée des glaciers alpestres transformée en boulevard parisien, la jungle livrée aux amoureux désirant une lune de miel sous la bénédiction des quelques animaux sauvages laissés libres d'exister.
Nous avons raison et nous avons tort: une vallée  subsiste au profond de la jungle birmane, à 800 km de Rangoon, un lieu que l'on dit envahi le soir par un envol de blancs fantômes dansant sur les eaux d'opale de son lac immobile.
 Bien davantage, une citée disparate, entrechoquée de maisons en teck englouties sous les fleurs, de chemins de boue rouge, de toits de chaume blond cendré,et d'autres de laide tôle grise. Une ville à étages, rehaussée de l'envol de ses pagodes piquées d'or pur et  des rouges éclats de ses ruisseaux tombant des montagnes. Mogok !
 L'unique contrée en ce monde où gît le rubis dans sa splendeur enflammée, accroché souvent à du marbre immaculé, précipité sur les courtes vagues des torrents, arraché aux grottes, extirpé au prix de la sueur, du sang et des larmes des noires entrailles de la terre. Seul rubis revêtu de la nuance épaisse, assourdie, ensorcelante, ayant nom: sang de pigeon. Si vous le touchez, le rubis libéré des mines de Mogok s'empare de vous.
N'attendez pas un éblouissement de commande, son pouvoir est aussi spirituel que sensuel. Pierre du courage selon les Indous, pierre vouée à l'énergie et au combat loyal, le rubis parfait, celui qui embrase l'âme et ranime l'amour éteint, ce rubis ne naît depuis l'aube terrestre qu'à Mogok.
Voici un bon demi-siècle, Joseph Kessel entra, protégé par une réputation usurpée de savant bouddhiste, dans la "vallée des rubis " et le récit qu'il en fit n'a pris aucune ride; à l'image de ces pierres empourprées qui  s'offrirent à lui un matin, apportées à Paris par le hasard, l'amitié et le goût de l'aventure. Un vieil ami défait un papier de soie et annonce :
"Sang de pigeon, le plus pur ;
Je ne comprenais rien, mais ce que je voyais bien, c'était dans la clarté pauvre et brumeuse de ce jour de pluie, l'éclat de braise translucide, le feu miraculeux de ce fragment de lumière empourprée ".
La-dessus, la perspective d'une chasse aux rubis fabuleux évaporés sans que nul ne sache le fin mot du mystère s'ajoutant à la persuasion exubérante d'un ami courtier en pierres précieuses  déclenche une épopée sans pareille: celle d'un écrivain en quête de personnages terriblement insolites, tous vivant par et pour le rubis tout puissant au creux des montagnes de la Haute-Birmanie.
Mais la route est longue avant d'avoir la merveilleuse liberté d'entrer au pays des rubis.
D'abord, Bombay, et la plongée dans une fête extravagante "Shivaratri", spectacle insensé, la fête des femmes, le jour ou plutôt la ronde de nuit des femmes:
"une ronde frénétique hurlait, chantant et claquant des paumes. Des femmes la menaient et uniquement des femmes. Mais elles ne perdaient jamais, malgré leur déchaînement, une expression de dignité, de fierté, de liberté singulière et farouche ".
Le voyage comble déjà l'aventurier profondément humaniste. Ensuite, Rangoon et les mises en garde, surtout ne pas aller plus loin, les risques sont énormes, bandits, assassins, les dacoïts rodent dans la jungle.
 Le diplomate représentant la Suisse ne cache pas son épouvante indignée face à l'entêtement de ces français dont la détermination n'a d'égale que l'inconscience !
 Qu'importe cette prudence helvète, Kessel et son ami Jean montent sans sourciller dans un Dakota qui a vu des jours meilleurs.
Un vénérable missionnaire en soutane blanche engage une conversation attendrie sur cette France qu'il ne connaît plus. Soudain, "une émotion surprenante altéra son visage si calme. Des espadrilles: "Voyez-vous, dit-il, je suis du Pays Basque... et ça fait près de cinquante ans que je l'ai quitté ."
 Par miracle, le Dakota chargé de passagers aussi hétéroclites et fascinants qu'un écrivain puisse en rêver a la bonne idée d'arriver au port .Kessel et Jean en éprouvent un indicible soulagement... Ils ont franchi les premières étapes d'un périlleux itinéraire, le reste c'est l'inconnu, le danger invisible, la route de montagne sur laquelle déboucheront bandits ou bêtes féroces...
Mogok s'effacera-t-elle ainsi qu'un mirage inatteignable ? Toutefois, l'ami et complice de Jean, son homme de confiance dans la vallée des rubis, Julius vient à leur rencontre parmi les soldats armés jusqu'aux dents surveillant le minuscule aéroport. On ne peut perdre un seul instant ! D'ailleurs une grosse limousine américaine attend les aventuriers ébahis.
C'est la voiture de la reine de Mogok, Dame ou en birman Daw Hla, une femme de tête qui entend prouver à ces occidentaux la politesse souriante des  marchands de pierres précieuses. Aucun tigre ne daigne faire trembler ces pâles voyageurs, Mogok surgit d'un cirque de montagnes, isolé et tranquille du haut de ses huit cent mètres d'altitude et possédant l'infinie élégance des mondes oubliés.
C'est cela qui , encore plus que les rubis somptueusement étalés chez les vendeurs établis ou déposés au creux de la main des pauvres chercheurs, va créer les liens tangibles ou subtils entre les gens de ce pays, et l'écrivain envoûté.
 Le charme du roman prend sa source dans cet enthousiasme jamais lassé,
finalement, au royaume des rougeoyantes gemmes, c'est le coeur qui palpite comme imprégné d'une énergie neuve. Julius en particulier, le secret Julius:
 "En Europe, Julius n'était qu'un bon bourgeois mélancolique résigné à un terne cortège de jours et de semaines. Rien de tout cela ne subsistait à Mogok. Il respirait plus large. Il n'arrêtait pas de parler. Il était chez lui. "
Julius a mené la vie hachée du parfait espion ou aventurier, coureur de brousse, chercheur de trésors, mais l'amour qu'il ressent pour sa fille, cherchant un travail à Paris, le transforme en père timide, craignant de solliciter une recommandation. Jean le tire promptement de cet embarras:
 "Jean, déjà rédigeait son câble. J'avais vu à Mogok des scènes étonnantes, mais je me demande si cet instant qui reliait le pauvre logis birman de Julius  à un bureau de ministre au cœur de Paris, par l'intermédiaire de la Résistance  dans son état le plus héroïque et de la chasse hasardeuse au rubis, n'était pas, entre tous, le plus extraordinaire ".
Les visites à la très noble et suprêmement avisée Daw Hla, la femme détenant puissance, gloire et bonté au pays des rubis, tiennent à la fois du conte de fées et de la leçon de diplomatie commerciale.
Puis, survient un mendiant au passé de brigandage sulfureux, un enfant misérable promis à la richesse car son courage  et son habileté, étonnent. Une dame toute simple se glisse devant l'écrivain, une humble créature que les Dieux ont dotée de l'instinct des pierres:
 elle seule sait si des blocs du brut, "blocs minéraux grossiers de forme", "l'état naturel des pierres précieuses", va jaillir  après les harassants mois de taille à la chandelle, une pierre de sa gangue, une pierre sang de pigeon où passe la lumière et non un caillou mort-né.
Les péripéties se succèdent, la poursuite des rubis volés excite Jean qui court après le butin éblouissant  de village en village, entraînant un Kessel qui a l'esprit ailleurs vers Tchaïpin, à 1 500 mètres d'altitude, univers rayonnant et paisible rassemblant les jours de marché les peuples descendus des  hameaux sauvages abandonnés sous le myrte et la bruyère
.Kessel flâne, répond aux sourires, admire, s'étonne de voir des monceaux de légumes briller au soleil à côté des cuivres lustrés supportant les gemmes embrasées, franches et rieuses dans le matin tiède. Mais le départ est annoncé, c'est un déchirement, l'écrivain  de toutes ses forces  tente de retenir la merveilleuse emprise de la vallée inconnue des simples mortels... Et quand le Dakota s'envole au dessus des mines abandonnées, ces pensées si belles, si simples coulent de son coeur: "Que m'importaient ces cailloux de la teinte du sang le plus pur ! Ce qui m'étreignait d'une nostalgie invincible, c'était le souvenir du petit peuple enfermé dans sa vallée close. Je pensai à sa douceur, son aimable sagesse, son rire léger".
Rendons-grâce à Joseph Kessel  de nous avoir donné les clefs de la "Vallée des rubis ", sans nourrir la moindre convoitise envers les pierres massées  chez  les joailliers d'Orient ou d'Occident.
 En homme bon, altruiste, généreux, il  nous incite à prendre nous aussi un vieux Dakota afin de  guetter les frêles silhouettes dansant sur un lac  couleur d'étain et de perle  tout au bout du monde...
A bientôt, peut-être l'amour des livres et des voyages me guidera-t-il vers Ceylan...

Les caprices sont  de bons conseillers, je vous retrouve vite,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
Parures de rubis de Mogok : les joyaux empourprés de la "Vallée des Rubis"

dimanche 18 octobre 2015

Contes du vieux château: Francis de Croisset en Inde: "Nous avons fait un beau voyage"



Un lointain et pluvieux matin du Paris des années folles, l'écrivain grippé et languissant Francis de Croisset  ouvrit du fond de son lit de malade une invitation qui allait lui offrir le plus beau des voyages.
Elle émanait en toute simplicité, les grands de ce monde sont généralement très simples,
du prince Karam de Kapurthala, un petit état de l'Inde  et proposait cette fabuleuse tentation: "Mon père me charge de vous inviter aux fêtes qu'il donne à Kapurtala, le 24 novembre, pour le cinquantième anniversaire de son règne. Venez! Vous ferez chez nous la connaissance de beaucoup de princes indous qui vous inviteront à leur tour ".
Comment résister à une injonction aussi séduisante ? A cette époque, l'Inde réunissait tous les rêves orientaux, ceux des palais de marbre où l'amour se ciselait de fleurs  précieuses ,des citées d'argent et de pierre rose, des lacs hantés par les pleurs des princesses mortes sur le bûcher de leurs époux, des oiseaux étranges et des foules purifiées au sein d'un fleuve prodiguant sa bénédiction aux vivants et aux âmes envolées...
 Francis de Croisset, charmant homme de lettres très parisien ignore les réalités de ce pays immense et débordant de secrets inconnus aux occidentaux, il ne mesure même pas le poids énorme de l'influence, ou plutôt de la puissance anglaise. Rejetant avec amusement les mises en garde de son jeune ami, le Marquis de Duringham, alias le Capitaine Hollicott, un officier au service des jolies femmes autant que de Sa Majesté, en poste au Khyber-Pass, l'écrivain ranimé par l'aventure, s'embarque. Et déjà, à peine à bord, l'Inde s'empare de son esprit...
Hollicott, dans son jargon français assez surprenant, lui avait fait un singulier aveu: " L'Inde n'est pas Ceylan. A Ceylan, en été, vous as les scorpions, les serpents, la ours qui vous griffe les yeux la crocodile, la panthère et la moustique. En Inde, vous as tout ça, plus les tigres et les puces, mais vous n'es pas forcé de vivre avec, sauf pour les puces. Seulement, vous as une chose qui est bien plus terrible: c'est le danger qu'on ne voit pas ".
Francis de Croisset se voulait déterminé, cartésien, optimiste, mais, les derniers jours en mer se passent mal; l'atmosphère régnant à bord oppose tout doucement l'Orient à l'Occident, les anglais aux indous, fussent-ils éduqués en Angleterre, un malaise titille notre écrivain: " Chaque nuit, je rêve à un mort "... 
Heureusement, Bombay est tout proche ! Et notre ami se reprend, "J'ai de la bonne humeur pour tout le monde, mon âme précède le bateau !"
Première déconvenue: le climat ! le naïf écrivain avait omis ce détail ! " Je m'habille pour le dîner, je m'y reprends à trois fois. L'air gluant semble solide. " Mais, Francis a eu la bonne idée de convier une exquise princesse indoue, héroïne des soirées parisiennes, à l'accompagner dans sa découverte des nuits de Bombay, un couple d'anglais élégants les escorteront. Du moins, l'inconscient Français se l'imagine-t-il... Hélas, il n'est en Inde que depuis quelques heures et ses illusions vont s'envoler d'un seul coup. C'est la débandade ! La princesse le plante là sous le regard froid et la mine figée des anglais si élégants ..."Vous étiez en flirt avec une native ? dit Lady Benverley; " Oui, dis-je, une femme exquise. Mais vous la connaissez très bien?" "Oh! réplique Lady Benverley, je la connais en Angleterre ."
Le ton est donné... Francis comprend que l'Inde l'attend ailleurs que dans ce rutilant hôtel de Bombay. IL est temps de se rendre aux mémorables fêtes de Kapurtala  sous l'égide de princes fastueusement indiens.
Avant le paradis, c'est le purgatoire du voyage en train. Notre écrivain un tantinet dandy combat sur plusieurs fronts: les puces, "il y a des puces,mais je suis décidé à me dire qu'il n'y en a pas: ce que l'on nie n'existe pas ". L'ennui d'une équipée interminable, la vue monotone sur des déserts, aucune distraction si ce n'est la compagnie du boy qui, aimable et serviable, efficace aussi en dépit de son effroyable maigreur, lui indique avec obligeance le nom des animaux entrevus et les castes des passagers soumis à des règles incompréhensibles pour un regard français.
Une note attendrissante sur fond de chaleur et poussière: les petits enfants: "ils sont nus avec des crânes tondus, de pauvres visages émaciés que des yeux immenses éclairent d'un feu sombre. Ils ne sourient pas, ils ne savent pas, ils ne sauront jamais ". La lucide mélancolie de Francis ne l'empêche pas d'arriver plein d'espoir à bon port. Déception ! La première fête a  un goût anglais et Francis cherche l'Inde sans la retrouver.
Le lendemain, l'Inde reprend le dessus: "Tout demeure pompeux, mais plus rien n'est officiel...Toute notion de temps a disparu. "Un train chargé de princes entre dans la gare rutilante en cette occasion. Le ballet merveilleux ne cesse plus ! Les Fêtes commencent. Francis, habillé non sans mal à l'indienne, avance vers la salle du trône, en chemin, dans une glace, il se moque du  reflet d'un ridicule personnage: "Je regarde de plus près. J'aperçois un monsieur maigre en robe d'or et coiffé d'une poule faisane: c'est moi ".
L'effervescence et l'admiration sont à leur comble, le spectacle étourdit une assistance pourtant habituée aux féeries diamantées. Là, c'est l'explosion, le feu roulant de pierres d'une flamme et d'une grosseur inconcevables chamarrant des princes aux allures de divinités:
"l'Aurore sur la neige ",
"Les dieux de l'Automne ", l'extravagant Maharajah de Patiala en "éruptions célèbres"et, clôturant ce
cortège charriant les trésors sortis des coffres afin de rivaliser avec l'éclat du jour, la sombre lueur d'un prince illustrant le visage inconnu de l'Inde. On croirait qu'un tigre vient d'entre :
"Je n'aperçois tout d'abord que deux yeux striés de jaune. J'ai un peu froid dans le dos. Gengis-Khan
devait avoir ce visage-là, un cruel visage d'empereur mongol dont le Maharajah  a du sang ."
La fête est terminée.
 Le voyage continue sous l'égide du sympathique Hollicott. Les deux amis quittent sans regrets Lahore et les rigueurs de l'hiver pour la douceur de citées aériennes en leurs jardins peuplés d'oiseaux et de singes bondissants. Elles chantent en notre imagination lointaine  de toute l'ineffable langueur de leurs noms musicaux: Udaipur, Jaipur, Agra. Toutefois, la poésie en Inde laisse aussi place à l'absurde. Ici, ce dernier prendra la forme anodine d'une chasse au pays de Bikaner.
Les princes ont décidé d'honorer leur charmant invité français et, dans ce but fort louable, ils s'amusent à jouer une farce à cet exécrable  chasseur: Francis se métamorphose en audacieux tireur d'élite tuant coup sur coup une avalanche de gibier et bêtes variées, à l'immense stupéfaction d'Hollicott...
 On ne peut lire le récit de ces chasses  sans éclater de rire à chaque mot ou presque...
Francis de Croisset manie un humour d'une précision redoutable pour le bonheur de son lecteur immédiatement guéri  de tout mal de vivre. Nous récupérons notre âme d'enfant laissée  au placard et c'est tant mieux !
Pourtant les ombres suivent à pas lents ce roman alerte. La découverte de Bénarès, du Temple de Kali, des bûchers populaires, efface l'ensorcellement exaltée de l'esthète pénétrant dans Udaipur.
Francis  cherche l'Inde,sa légèreté de ton cède souvent devant les visages déconcertants de ce pays
où la beauté parfaite se marie avec l'horreur.
"Nous avons fait un beau voyage " reste le livre d'un homme infiniment subtil, drôle  et sensible à la beauté jaillissant d'une montagne, d'une ville en ses remparts ou du fantôme d'une princesse sacrifiée pour la paix de son royaume...
Ces lignes vous donneront peut-être envie de le rejoindre :
"Cinq heures du soir; je suis revenu et, stupéfait, je ne reconnais plus le Taaj. Est-ce possible que ce miracle vaporeux soit vraiment le même monument qui m'a tant déçu ce matin? Il n'y a rien derrière lui que le ciel: on le sent prêt à s'envoler".

Envolez-vous loin des "miasmes morbides " vers l'Inde de Francis de Croisset !

A bientôt ,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Le plus beau visage des Indes, la célèbre Ayesha Maharani de Jaipur


mercredi 14 octobre 2015

Contes du vieux château : un soir chez le duc d' Uzès sur un poème de Mistral



L'autre soir, j'étais de sortie à Uzès.
 Un carton d'invitation hérissé d'une tour, l'envie irrésistible de lire quelques poèmes de Mistral entre Arles et Avignon, l'attrait de la fin de saison au pays chanté par Alphonse Daudet, la douceur du temps d'octobre et une foule de bonnes raisons ou de fausses excuses firent que je promis d'être au rendez-vous devant la Cathédrale du premier Duché de France.
Notre mentor  nous souhaita la bienvenue en nous demandant d'aller au bout de l'esplanade, là, ce fut l'éblouissement: une vallée heureuse, charmante comme un tableau de Corot ou Fragonard, étendait ses feuillages à peine touchés par l'automne, ses jardins éclatants et ses toits harmonieux.
Mais, la ville s'offrait à nous et nous tournâmes le dos à la suave campagne en lui demandant pardon.
Etrange  citée, merveilleuse citée, Uzès résonne des pas de ses visiteurs, on y marche avec respect,
on se tait en frôlant les "palais aux fronts audacieux"qu'élevèrent jadis des notables ayant reçu quelque fortune...
 On s'imaginait faire le tour rapide d'un pauvre et pittoresque village, on débouche, frappé d'admiration dans un dédale où  magnificence et 'orgueil sont gravés sur la pierre immaculée surgie du sol, des fondations de la ville elle-même ! Les caves s'en vont sous les ruelles tandis que les façades haussent frises enguirlandées, frontons hiératiques, jardins suspendus ou fenêtres à meneaux vers la pureté du ciel.
 Le rêveur est roi à Uzès, chaque détail accroche l'imagination, chaque balcon éveille le juvénile caprice de guetter une silhouette, une ombre, un écho de ces mille histoires chuchotées par les pierres...
Soudain, un vertige s'empare de moi, mes amis avaient dès le départ une belle mine, celle que l'on retrouve chez les gens férus du passé au point de s'en faire un compagnon, et, d'un coup, j'ai la nette impression d'être entourée d'une noble assemblée en habits brodés ou grandes robes aux paniers froufroutants de soie fleurie; j'avance, j'essaie de reprendre mes esprits, je respire un parfum "vieille-France", je n'ai plus de doute; nous venons de passer une porte invisible...
Finalement, je commence à m'en réjouir quand notre guide brise le sortilège d'un mot aimable mais ferme :
 " Mes amis , Monsieur le Duc nous attend d'ici 10 minutes, il est temps de vous changer avant d'entrer au Duché".
 Le délicieux mirage s'enfuit sur les ailes du vent de l'histoire, les invités courent affolés, l'un nouant sa cravate à la diable, l'autre enfilant ses escarpins sur les pavés .
Je me cramponne au bras de mon époux, ciel, on va nous présenter au 17ème Duc de cette bonne ville d'Uzès ! Qu'allons-nous lui dire et par où commencer ?
L'entrée au Duché revêt la forme de nos désirs tant la beauté se marie avec la grandeur.
Gracieuse, une fontaine coule dans un bassin au pied d'intimidantes tours, d'épais remparts, de façades à l'austère splendeur. Monsieur le Duc nous rassure d'un geste, d'une parole aimable, d'un regard bienveillant. Tout le monde respire, la soirée se passera bien !
 On nous suggère, peut-être veut-on calmer notre excitation de vieux enfants en vacances, de grimper tout au sommet de la Tour Bermonde, 135 marches et une récompense: la vue sur Uzès, et l'envol en esprit vers les lointains effleurés de brume bleue et de reflets violets à cette heure ...
Après cet immense effort, notre hôte nous ouvre un beau salon bleu , une galerie d'ancêtres de fort belles figures et une pièce vouée aux éternels  gamins: un train électrique amuse et repose après cette rencontre avec une ville , ses palais , son étonnant château ,symbole à la fois de la puissance d'une citée et de la noblesse d'une dynastie .
 La soirée s'éparpille avec le chant de la fontaine. Emus, les invités bavardent  sur le ton de ceux qui savent que les bonheurs sont comptés, bientôt , la nuit d'octobre descendra du balcon de la façade renaissance , glissera le long des feuillages et nous prendrons congé ,le sourire aux lèvres et déjà la nostalgie au cœur...
Vers minuit, j'ouvre notre fenêtre et Uzès m'adresse un signe complice :la tour de la Cathédrale est toute piquetée d'une ronde d'étoiles... Un verset de Mistral monte en ma mémoire et la nuit devient plus claire que le jour;
 "Je vois une étoile d'où partent, à la tombée du jour, mille étincelles;
quelque part brille une beauté, si belle qu'elle éblouit. Moi, je suis là, à languir; et, faute d'ailes, ma nostalgie sera mortelle."
"Vese uno estello, d'ounte part
A jour fali milo belugo
Briho uno bello qu'esbarlugo.
Ieu, sieu aqui
A me langui;
E,fauto d'alo,
Ma languissoun sara  mourtalo"
Rassurez-vous , je survivrai , ne serait-ce que pour revenir à Uzès , beauté dormante en ses palais .

A bientôt , en route vers  un château défendu par son portail couronné de lions,
du côté du vicomte de Chateaubriand , des corsaires et de Saint-Malo... Ou vers l'Inde des Rajahs,
là où soufflera l'inspiration...
En attendant, n'oubliez pas Mistral, Provençal et Grec, poète humain, humaniste, injustement relégué au rayon des articles touristiques démodés. Comment ne pas aimer le créateur de ces tendres provençales qui portent les noms enjôleurs de Magali, Mireille, Nerte et la fée Esterelle ?

A bientôt,

Nathalie-Alix de La Panouse

Lady Alix

La cour du Duché d'Uzès" sous l'aile du soir

mardi 6 octobre 2015

Déclaration d'amour à la Crète


L'écrivain suprêmement anglais Lawrence Durrell a fait une très bonne action .
 Celle d'écrire au profit des voyageurs idéalistes tout un recueil de savoureux conseils, aimables préceptes et leçons diverses allant de la mythologie aux recettes de cuisine locale, afin de les aider à naviguer, marcher ou  rêver d'île en île, éclaboussés par la lumière la plus subtile de ce fol univers: celle de la Grèce tant désirée...
 Au coeur du monde grec, une terre ceinture la cascade aérienne des Cyclades de ses montagnes: la Crète ,île des enchantements, île farouche, sauvage, trompant le touriste, se moquant  de tous ses visiteurs: archéologues amateurs, professeurs de grec ancien, étudiants s'évertuant à déchiffrer son alphabet sorti de la nuit antique, amoureux de Pasiphaé et foule de gens tranquilles préférant les spécialités culinaires en bord de mer à l'escalade du Mont Ida.
Pourtant qui résisterait à la tentation adorable de partir en Crète au printemps prochain ?
Surtout pas Lawrence Durrell ! Suivons-le, guide venu du royaume d'Hadés, se faisant le chantre du pays de la lumière  en  trempant son impérissable humour dans un savant mélange d'élégance, d'ironie et d'humanisme.
Cette île étrange et sauvage, cette île rebelle et lointaine, la Crète ne se gagne pas de la même façon selon que l'on choisisse la côte nord ou la côte sud.
Si notre bateau, imaginons un voilier revêtu de bois merveilleusement astiqué sous la lumière d'un matin de mai, a le malheur de se diriger vers le sud, il cherchera en vain une crique ou un port de pêche au bas de "montagnes surgies directement de la mer et formant de vastes murs contre lesquels la mer cogne, éclate et s'écrase toute l'année ".
Sentant sur notre frêle esquif la malédiction du Minotaure en personne, nous cinglerons vers le nord, et entrerons sans trop trembler dans le port de Souda, près de La Canée. Mais, un poignant regret nous hantera: celui de n'avoir pas suivi le périple de Zeus qui, métamorphosé en taureau, déposa la nymphe Europe, après un long périple à la nage, sur un rivage du sud.
 Là, au creux d'un vallon, non loin de la ville de Gortyne, "le service forestier de Crète a la singulière et admirable courtoisie d'indiquer aux voyageurs, grâce à un panneau rustique que "c'est au pied de ce Platanus Orientalis, arbre très rare et intéressant pour la mythologie, que Zeus transformé en taureau, s'unit à la princesse Europe pour enfanter le roi Minos ".
Ce texte délicieux est cité par l'immense amoureux de la Grèce que fut Jacques Lacarrière...
Il nous faudra traverser les montagnes et oser mille aventures avant de nous reposer sous la ramure printanière de ce platane salvateur...
La Crète, explique Lawrence Durrell "est une grande île qui mérite plusieurs jours au moins, non seulement pour voir des ruines, mais aussi pour apprécier la beauté individuelle de ses paysages et découvrir dans les villages écartés ce qui fait toute la différence".
 A commencer par le poids énorme de l'histoire...
Voici trente siècles, Homère chantait le royaume de Minos comme l'île enrichie de cent cités splendides; bien avant, au coeur des palpitations divines,le futur roi des Dieux, Zeus, enfant traqué par son père Ouranos qui avait l'étrange manie d'avaler ses rejetons à la naissance, trouva en une grotte le refuge de ses jeunes années, et en la douce nymphe Amalthée la première de ses innombrables conquêtes...
Cette émouvante légende flotte encore dans l'air transparent de notre matin de mai; la Crète est une terre où l'on sait défendre vigoureusement la liberté, où l'hôte est sacré, le don naturel  et sincère.
Notre itinéraire, chaudement conseillé par Lawrence Durrell, nous le fera vite réaliser.
De la Canée à Sitia, du nord au sud,
"on a un aperçu de la diversité des paysages " et, pour notre bonheur, des "strictes lois de l'hospitalité".
 Lors de ce printemps de 1978, printemps englouti mais encore vivace, l'écrivain anglais fut ainsi convié par le terrible "pallikar" d'un hameau retiré à un festin de guerriers digne d'un chant de l'Illiade:
"Il peut être difficile d'éviter le festin d'un mouton entier, y compris l'oeil, mets de choix, que l'on vous offrira au bout d'une fourchette avec un moulinet tout odysséen ".
La Crète est une terre où l'on marche sur les mystères, où, selon  Giraudoux dans "La guerre de Troie n'aura pas lieu", "les jambes des déesses pendent du ciel", où le passé se prononce avec des mots de tous les jours. Le labyrinthe a -t-il existé ?
 Le Minotaure sommeille-t-il sous les montagnes ?
Durrell nous rappelle ce proverbe hantant la mémoire collective:
 "Il ne faut pas réveiller le monstre ".
Grâce au Dieu Hermés ou tout  simplement au malicieux Eros, ce ne sont pas des monstres à tête de taureau qui entraînent les voyageurs s'égarant entre les salles du palais de Cnossos mais de radieuses danseuses à la taille étranglée; prestes et légères silhouettes trop élégantes pour surgir d'un passé cruel, se moquant des rudes masses des taureaux lâchés  qu'elles évitent de leurs bonds aériens.
Image cruelle, image irréelle, image vue et revue, et à jamais déroutante.
 Peut-être le symbole de cette civilisation perdue, brillante et cruelle, qui s'offre à vous au moment où vous la croyez aussi hermétique que les signes du disque Solaire de Phaïstos, "si curieux et si beau" dit Durrell.
Un sourire, un bouquet de fleurs, un ouzo donnés par un nouvel ami touché de votre rêverie, et la Crète saura faire de vous son homme-lige. Vous lui appartiendrez, elle vous apprendra que nostalgie est un mot grec... Enfin, même si nous sommes sur une île, c'est aux montagnes de nous révéler l'âme secrète de ce pays baigné d'éternité :
"Entre les Montagnes Blanches et la chaîne des Lassithi, il n'y a guère que la différence symbolique due à la connotation poétique des mots Ta Lefka Ori.Cette grande harpe de rochers est tout éblouissante de neige en hiver et elle personnifie tout le secret et le silence qui gisent au cœur de l'âme crétoise. Solitude, silence, blancheur, telle est la forteresse inviolée de l'esprit crétois, et est donc le plus probable berceau de Zeus ".
Hélas, les beaux voyages ont une fin, s'il nous faut reprendre la mer afin de retrouver notre Ithaque,
gardons le souvenir de la Crète en ouvrant un extraordinaire ouvrage "Le Crétois" de Pandélis Prévélakis  et surtout laissons le charme de Pasiphaé,fille du Soleil, nous envelopper de sa lumière...
Sans oublier Durrell, écrivain épris de la lumière grecque:
"La lumière ! To Phos, mot qu'on entend partout; il y a des ténèbres mais des ténèbres palpitantes de violet, cela donne à toutes choses une sorte de peau brillante de lumière blanche.C'est, si j'ose dire, l’œil de Dieu à nu et qui vous aveugle ".
Laissons cette lumière grecque inonder nos hivers , nos vies malmenées et nos espoirs en déroute !
Passion, sens de la beauté et de la vérité , prodiguent un nouveau goût du bonheur .

A bientôt,peut-être pour un voyage  dans la Grèce française, la Provence chantée par le poète Mistral.

Nathalie-Alix de La Panouse

Lady Alix

lundi 5 octobre 2015

Balzac et Diane de Cadignan: secrets et mensonges !


Je vous écris d’un jardin de la rue de Miromesnil au printemps 1839.
L’œuvre de Balzac ressemble assez à une falaise dure à escalader; on s’égare sur les rochers, on s’épuise à poursuivre tant de destinées qu’un esprit  fécond et puissant noue  et défait.
Toutefois  une étoile du soir anime de sa grâce d’ange déchu  la subtile intrigue des « Secrets de la Princesse de  Cadignan ».
Cette princesse fut d’abord une duchesse bien connue des lecteurs du vigoureux écrivain: le modèle de la femme fatale, ne craignant ni Dieu, ni Diable :
« elle avait passé sa vie à s’amuser, elle était un vrai don Juan femelle, à cette différence près que ce n’est pas à souper qu’elle eût invité la statue de pierre, et certes elle aurait eu raison de la statue. »
Mais, la ruine est venue à force de folies coûteuses désastre financier  aggravé encore par l’établissement des Orléans au pouvoir; une ruine totale et aussi un nouveau nom; la sulfureuse duchesse de Maufrigneuse a hérité du titre de princesse de Cadignan.
On peut être princesse et vivre chichement. Diane de Cadignan  accepte de se retirer rue de Miromesnil  en compagnie de ses souvenirs et des épaves de son immense fortune, elle loue quelques pièces et un jardin tenu comme un jardin de curé, adorable salon de plein air où, sous le jasmin, ses confidences éclosent sans craindre l’indiscrétion et la calomnie. 
Sa réputation grandement blessée guérit peu à peu:
«Le monde, dont elle fut l’ornement, lui savait gré d’avoir pris en quelque sorte le voile en se cloîtrant chez elle".
Après les amours faciles,
les passions audacieuses, les conquêtes boulimiques, la princesse se consacre à  son  fils de 20 ans, l’héritier d’une noble lignée, qui ne doit en aucun cas pâtir du passé orageux de sa mère.
Elle s’est juré de le marier dans les cinq prochaines années à une riche jeune fille…
A l’horizon, hélas , elle ne voit qu’ennui et solitude…
 «Elle aima d’autant mieux son fils, qu’elle n’avait plus autre chose à aimer».
Or, Diane approche à peine de la quarantaine, à l’époque de Balzac, autant dire qu’elle compte déjà un pied dans la tombe !
Pourtant, elle éclate de jeunesse, à l’instar des séductrices ayant profité d’un repos forcé, sa beauté reste étonnante, le destin l’a-t-il réellement mise à l’écart de la vie ? Amoureux de sa créature, Balzac vole au secours de cette Marie-Madeleine du grand monde.
Il n’a pas cherché bien loin, une étonnante histoire d’amour courait les salons parisiens au même moment: les mauvaises langues cancanaient sans vergogne sur les nouvelles amours de l’austère ministre Guizot et de l’indomptable princesse russe à la voix rauque: Dorothée de Lieven. Balzac eut peut-être ainsi l’idée fort romantique d’une surprise du sentiment entre deux êtres  qui n’auraient jamais dû se rencontrer, à un âge où l’on s’imagine qu’aucune pousse verte ne viendra métamorphoser les cœurs blasés.
Tout commence par une promenade au jardin, un bel après-midi de mai, la douceur de l’air fait fleurir les aveux, la princesse ose révéler à sa "meilleure ennemie "(il n’existe pas d’amies féminines, seulement des complices ) la Marquise d’Espard, qu’elle a accumulé les séductions sans éprouver la flamme:
 «Comme vous, peut-être ai-je été plus aimée que ne le sont les autres femmes; mais à travers tant d’aventures, je le sens, je n’ai pas connu le bonheur.»
La princesse cherche toujours un homme providentiel, un homme  de génie; denrée rare à Paris… Rêveusement, elle laisse échapper un nom: celui de Michel Chrestien, « un jeune homme aux yeux de feu », auquel elle est sûre d’avoir inspiré une «sainte et belle passion».
 Il n’en faut pas davantage à l’esprit inventif de la Marquise ! Ce fou, mort pendant les journées de Juillet, elle en a entendu parler ! Et justement par un « homme de génie », l’écrivain et homme politique d’Arthez.
Un caractère entier, une personnalité solitaire, un homme  se moquant des ragots et rumeurs d’un milieu qui lui inspire méfiance et dédain… Un plan s’échafaude à toute vitesse dans la tête de la Marquise;
 « Voulez-vous vous  trouver un soir avec d’Arthez chez moi ? Vous causerez de votre revenant. »  
La stratégie réussit à merveille: le naïf d’Arthez n’a jamais vu femme plus ravissante que cette princesse aux « exquises manières », incapable de deviner les manigances d’une experte en science de la séduction, il sent son cœur devenir parfaitement adolescent.
C’est certain: il vient de rencontrer la femme idéale:
 « la réunion d’un esprit fin et d’une belle âme ».
 Mais, la princesse aussi  repart reverdie,  une sorte de fièvre s’empare d’elle, elle comprend qu’elle est victime du charme qu’elle a jeté… Pour la première fois de sa vie, elle voudrait être une autre,: « Elle voulut être digne de cet amour ». La princesse n’y va pas par quatre chemins, d’Arthez la croit férue d’art, de littérature, de philosophie, elle ne le décevra pas ! Et la voici se lançant dans une épuisante course: ses nuits se passent à s’user yeux et cerveau sur tout ce qu’elle peut glaner: elle lit à s’en rendre malade ! A commencer par les œuvres de l’innocent d’Arthez, ému de susciter tant d’intérêt  et d’éloges…
En conquérante avertie, elle sait que l’amour  se nourrit d’invention afin d’atteindre sa  propre vérité. la voici qui s’invente aussitôt un passé d’abnégation et de sacrifices aussi éloigné de sa vie que l’Inde ou la Chine . Qu'importe !
Elle sait ce que d’Arthez a besoin d’entendre et par là de croire…
Au comble de l’indignation ironique, les anciens amants de la redoutable princesse lancent une cabale à son encontre !
 D’Arthez monte au créneau avec la vigueur de l’homme violemment épris à l’âge mûr et l’intelligence de l’écrivain mis au défi  devant les attaques odieuses outrageant son « roman humain».
Habile et déterminé, il trouve les mots afin «de venger une femme sans la défendre»…
Mais est-il dupe lui-même ?
Va-t-il renoncer à cette princesse que le véritable amour a poussé aux plus inconcevables tromperies ?, Si la lucidité lui vient, d’Arthez aura-t-il pitié de cette femme    emportée par une passion inconnue ? Rue de Miromesnil, Diane attend :
 «Pour la première fois de sa vie, cette femme souffrait dans son cœur et suait dans sa robe». D’Arthez se fait annoncer, la princesse est quasiment mourante , «elle aimait D’Arthez; elle était condamnée à le tromper car elle voulait rester  pour lui l’actrice sublime qui avait joué la comédie à ses yeux».
 Le dénouement approche…
 Il aura l’énergique inconscience de l’amour fou récompensé…
Le mot de la fin appartient à une autre princesse, russe celle-là, cette Dorothée de Lieven qui « enleva » au galop le froid ministre et ambassadeur François Guizot au point de réchauffer cette statue trempée dans la glace de l’ambition politique en lui insufflant son romantisme libre et  poignant:
 «Je vous aime, je vous aime, je vous attends, je vous le dirai autrement quand vous serez là devant moi, près de moi !»
 Ou encore:
 « Ce n’est qu’avec vous que je sais parler, ce n’est que vous que j’aime à entendre. Je n’ai que tristesse et ennui là où vous n’êtes pas ».

A bientôt pour d’autres lettres aussi touchantes ! pourquoi ne pas croire au romantisme absolu ?

Lady Alix

Je n’ai pas oublié la croisière promise sous l’égide de Lawrence Durrell , dès que les vents  seront favorables, au pays de la belle Pasiphaé et des « Parisiennes » dansant  aux murs du palais de Minos