samedi 29 août 2015

Le bonheur d'être fou dans un château irlandais



Je vous écris d'un château Irlandais.
La pluie  verte ne brouille plus la vue sur un bras de mer aux eaux plates couleur d'étain, le soleil ne brillera sans doute pas avant longtemps mais personne ne s'en soucie.
Pourtant, c'est encore l'été .Une paix prodigieuse endort le paysage.
A commencer par l'enfilade de tours gothiques s'élevant au dessus des falaises à l'entrée d'un parc aussi vaste et exubérant qu'une libre forêt.
Je vous écris non loin de l'île d'Achille, dans le comté de Mayo; toutefois, mon château aux courbes sévères, rempart irréfragable de l'honneur d'une famille dont les fils portèrent avec éclat leurs épées de fer, ressemble à un héros de roman.
Plus précisément, ce manoir enfanté par le roc irlandais pourrait arbitrer le destin des personnages égocentriques à outrance, capricieux avec une allure folle, accablants d'incohérence et attachants malgré eux, de cette grande Dame irlandaise que fut Molly Keane.
Publiée dans les années cinquante sous le pseudonyme de M.J Farrell, adulée, oubliée, enterrée même, elle eût le bon goût de plonger dans la fontaine de jouvence des écrivains se moquant des aléas du sort .
Trente ans après  succès littéraires de jeunesse , elle réveillera l'art de vivre au château sous les ondées de la passion, l'averse des sentiments meurtris et les cascades d'humour léger.
Ouvrez "Chasse au trésor" et c'est un château qui s'ouvrira dés les premières pages:
"Retranchée derrière son armure de pierre, la maison à face de chat ignorait complètement l'après-midi. C'était une haute maison carrée faite de moellons irréguliers comme des écailles de poisson...
Le soleil qui tapait sur la façade froide de la maison lui donnait malgré elle une allure bienfaisante...
Il n'y avait aucun mouvement nulle part. La maison était vide."
Or, le château contient au contraire le plus bizarre assortiment de châtelains qu'un romancier puisse inventer: un oncle dandy, amateur de champagne à toute heure, racé comme un meuble estampillé et, bien sûr dédaigneux de toute confrontation avec la réalité, une tante du même acabit dont la corpulence n'a d' égale que  la gourmandise et le sens du confort, des neveux tentant d'acquérir un esprit moderne et pragmatique avec l'énergie du désespoir.
Comme si la liste n'était pas assez copieuse, campe aussi à demeure une très chère aïeule, délirante vieille baronne cultivant ses rêves de voyage à bord de l'Orient Express du fond d'une antique chaise à porteurs.
 Le tableau n'est charmant qu'en apparences.
Hélas : "Je n'ai pas d'avenir" laisse échapper la tendre jeune cousine de l'héritier" .
c'est absolument exact. La situation est grave pour le jeune baronnet, beau comme un dieu grec et mélancolique comme un français devant sa feuille d'impôt, qui respire à plein nez la sinistre odeur de la ruine annoncée:
 "il songea à tous les gens qui dans cette maison dépendaient de ses efforts, et il en eut la nausée."
L'intrusion de trois hôtes payants, admis du bout des lèvres par les domestiques choqués et révoltés par ces efforts économiques vulgaires de la part de leur jeune châtelain, bouleversera la douce routine des aînés sans apporter la prospérité tant désirée.
C'est la chaos sentimental qui s'installe !
 La maison va alors prendre les choses en main.
Dans ses flancs baignés d'humidité, le salut attend sous l'apparence d'une parure d'énormes rubis offert à Vienne  par l'époux de la tante Anna-Rose, disparu de manière fort étrange  au soir de leurs noces... l'infortuné baron tomba du train, et sa ravissante veuve en perdit la raison sans parler des rubis.
S'engage ainsi , au bout de cinquante années d'incertitude, une chasse au trésor  sous l'égide d'un hôte esthète assez sensible pour écouter la voix feutrée du génie des lieux.
Les sentiments refoulés sous les vestes de tweed jailliront au moment précis où un flot de rubis ouvrira l'horizon du château; reconnaissant, celui-ci mettra toute l'ancienne vigueur contenue entre ses murs glacés à réchauffer le cœur de ses jeunes gens qui se sont donnés à lui .
A l'ultime instant, le baronnet se déclarera dans les termes les moins romantiques qu'un cerveau amoureux puisse rassembler:
 "Veronica, dit-il, je suis trempé et j'ai horriblement froid".
Et le château de souffler la traduction adéquate à la tendre Veronica:
 "Il avait voulu dire je t'aime. Pardonne-moi. Tu ne dois pas m'en vouloir d'avoir été cruel d'autant plus que je le serai encore ".
 Heureusement Veronica comprend ce langage silencieux, elle voit un oiseau bleu s'envoler dans la noirceur amère des jours :
 "L'éclat de cette voix muette était claire pour elle .
Sa présence certaine la souleva comme des ailes et la transporta dans cet air différent que respirent les femmes aimées ".
Molly Keane fleurit la rude pierre de ses manoirs irlandais par son style musical et enjoué !
On se prend à aimer son petit monde oscillant entre tragédie et comédie, mélancolie, moqueries, recherche du temps perdu et de l'amour retrouvé.
Allez, sans crainte d'un mortel ennui, à la rencontre de ces adorables romans de château qui vous inciteront à aimer sous la pluie.
D'autres trésors attendent comme "les chefs d'oeuvre en périls " d'une émission qui embellit l'enfance de beaucoup d'entre nous .
C'est cela la "vie de château": une déambulation sur des ruines inspirées!
A bientôt,
Lady Alix



                           

lundi 24 août 2015

Contes du vieux château : L'amour: une invention des Troubadours !



Au  12ème siècle, il se passa un événement inattendu dans les contrées s’exprimant en langue d’Oc ,
belle langue chantante allant des Pyrénées à l’ancienne Gaule Narbonnaise : l’amour fut inventé!
 L'amour fou et fatal fut célébré, recherché par les troubadours ranimant passion et printemps au sein des tours dominant des vallées dont les paysages perdurent: Puivert, Mazères, Mirepoix, tant d’autres encore et surtout le surprenant village de Saint-Michel-de Lanès.
 Un  peu oublié entre ses jardins  endormis, son chemin de Croix encerclé de hauts murs dignes des anciens remparts, sa colline ouvrant sur les chemins de randonnée parcourant les « Collines du Vent », sa rivière couleur de sable, ses maisons aux beaux restes médiévaux , son église qui fut le don d’une châtelaine protégeant les troubadours et son château au toit bleu couronné de trois déesses de pierre aux regards mélancoliques, ce  grand hameau se nourrit de l’histoire de son terroir.
 Le passé livre d'ailleurs un détail infiniment tolérant et optimiste: au temps des fameux Cathares deux messes étaient dites le dimanche: l’une catholique, l’autre célébrée par un « Parfait »…
Cet esprit généreux se respire encore en terre occitane .
A deux kilomètres s'étend un lac aux rives sauvages sous leurs hautes herbes, lac si vert que l’on le croirait frère d’un « loch » écossais .
De l'autre côté des collines où croissent blé et tournesols, s'éparpillent quelques charmants villages à la beauté inattendue: ainsi, à Belflou, une intimidante forteresse irisée de l'eau de ses douves se dresse sur un charmant hameau rêveur, resserré autour de son église sans âge, à la pureté émouvante.
A peine plus loin, Salles-sur-l’Hers, bourgade désuète et dormeuse, envoie son rude clocher-mur vers le ciel souvent bleu, et projette son impressionnant donjon au toit béant du haut de sa colline.
 Les écluses du Canal du Midi toutes proches entraînent elles aussi vers de romantiques escapades sur les traces des amoureux de l'époque de Riquet .Gourvielle, minuscule hameau perdu au coeur des collines, semble oublié par le temps.
 Plus encore, Marquein, village coquet et riant est le point de départ d'une campagne profonde envahie de solitude et de vent ...Un paysage agreste, coupé de bois silencieux, immuable et apaisant.
Puis vient une enclave enchantée incitant à la flânerie estivale au bord d'une rivière d'un étrange vert irisé: c'est Mazères, village à la beauté alanguie sur les vertes rives de l'Hers "vif".
Petite citée d'un romanesque hors du temps, à la douceur italienne, Mazères fascine avec douceur. En particulier grâce aux nobles façades de sa rue principale, à son ravissant château- musée d'époque Renaissance ceint de buis, de pelouses et d'un jardin de curé; à son église spectaculaire et rassurante. Le sortilège continue  au hasard heureux des promenades au bord de la rivière, le long des vestiges de l'ancien pont, sur la plage de l'ancien moulin. en face, c'est la découverte de l'architecture exquise, colonnes et loggia étoilées de galets, de l'ancien établissement des Bains sous le Second Empire.
Le paysage devient montagnard autour de Mirepoix, ville rêveuse aux façades médiévales sous ses "couverts" encerclant une place où l'animation garde un rassurant goût familial, une atmosphère attachante, aimable, réellement occitane .
L’aventure attend en pleine campagne hérissée de calvaires engloutis sous le lichen…
Un vers du troubadour Bernard de Ventadour en conclusion :
« J’ai au cœur tant d’amour et de douceur que l’hiver me semble fleur et la neige verdure »…

Il faut relire les troubadours pour qu'en vous s'éveille un immortel printemps occitan.
Il faut laisser le vent d'Autan vous guérir des souvenirs affligeants et la brise des soirs d'été vous ôter votre mélancolie tenace...

Lady Nathalie-Alix de La Panouse




                            

samedi 22 août 2015

Folles héroïnes et vrais châteaux



Les châteaux sont des personnes dictant leurs exigences aux timides mortels qui se font leurs esclaves dévoués.
 Il existe des romans de châteaux et des châteaux de roman. On envoie encore de jolis mots d'amour, d'amitié, de remerciement afin de se montrer digne de la vaste et mystérieuse maison qui a bien voulu vous recevoir en ses murs.
 Les lettres de châteaux se gardent, se donnent, se cachent aussi, et les romans s'écrivent sur le fil des secrets ou à l'abri vert des hauts platanes, des cèdres bleus et noirs, des tilleuls immenses s'élevant sur les pelouses.
Pierre Benoit, auteur hantant les bibliothèques ensevelies sous la poussière provinciale, excelle,
avec un panache qui gagnerait à être admiré de nos jours, à bâtir une intrigue en l'habillant d'un château et d'une femme fatale ! une union fascinante !
Ensorcelantes et fantasques, ses ravissantes héroïnes sont toujours embellies de prénoms commençant par un magnifique A : Alçyone, Axelle, Aédona .
Ces créatures dotées d'un tempérament de feu envoûtent et agacent presque davantage que le château le manoir, la citadelle leur conférant les titres glorieux de déesses lointaines, d'anges déchus, d'ouragans torrides, de capricieuses invétérées ou , osons le mot, d'enquiquineuses exquises.
Le plus merveilleux exemple en reste peut-être le Kalaat-el-Tahara de la ténébreuse comtesse Orlof.
Cette légendaire "châtelaine du Liban" est un savant mélange d'agent double ou triple et de grande dame occidentale vivant une passion orientale.
Sulfureuse, émouvante, touchante, perdue et calculatrice, la brune comtesse Athelstane, sort à la fois d'un roman d'espionnage suranné et d'une chronique mondaine des années 20.
Mais ce côté théâtral est racheté par la magnificence ruinée et ruineuse de la citadelle érigée aux temps lointains des croisades : "le château de la pureté", étrange nom pour une propriétaire dont l'existence se passe à séduire son prochain dans un but assez peu romantique...
La comtesse livrerait-elle son vrai visage grâce à cette passion envers l'écrasante austérité de sa citadelle de la démesure ?
En tout cas, le Kalaat-el- Tahara fait partie intégrante de son charme fatal...
"Le formidable cauchemar produit par ces ruines s'allie à une sorte de fierté mélancolique."nous confie Pierre Benoit avec une délicatesse charmante.
Fière, Athelstane, certainement  mélancolique, qui sait, orgueilleuse et indestructible, victorieuse 
dans l'adversité et ravageuse aussi.
Toutefois, à la fin du roman, une seule grande et sublime image , vision austère , immémoriale,
se détache de ces pages animées d'amour et de folie: celle d'un château "chaos de murailles".
Le roman se referme sur le mystère éternel de cette forteresse accrochée au flanc d'une montagne triste et grandiose , colosse inutile veillant sur une vallée immuable.
Une héroïne bien différente mais encore plus déroutante  emprunte son beau prénom grec au 
rossignol: Aédona.
Sa force et sa tenace douceur, son courage absurde dans une situation mêlant adultère et attachement pur déroute et fascine.elle incarne le charme obscur et lumineux des tragiques héroïnes du singulier Pierre Benoit !
Son tourbillon d'émotions la jetant de la pleine  passion dévastatrice au repentir sincère et enfantin, lui serait inspiré par sa jeunesse sous la protection de la plus bizarre maison de la plus secrète région de Grèce:
"Demeure à la fois caravansérail et château fort, elle étalait sous le ciel délicat de Laconie, 
ses dômes, ses moucharabiehs, les créneaux de ses rouges murailles, ses colonnades de marbre immaculé."
Cette fois, dans le roman "Villeperdue", la citadelle est grecque , mais elle illustre 
également l'épopée des croisés francs.
Ne symbolise-t-elle symbolise la tragédie de la triste Aédona ?
Amante prise au piège d'une passion  violente qui la rattrappe en la rendant victime de ses anciens serments.
Celui qui aurait pu la sauver d'un choix sentimental insensé, d'une descente aux enfers,ce n'est pas une personne, c'est un château , le manoir conjugal ! une gentilhommière rassurante entouré d'un jardin calme, fut la seule capable de ramener Aedona à la raison et, par là même, à son époux !
"Villeperdue", c'est son nom étrange, a l'apparence d'une gentilhommière"remontant à deux siècles, moins élégante que solide, habitée par des gens épris de leurs aises et soucieux de ne pas être incommodés par leurs voisins ".
L'histoire d'Aedona  finira aussi mal  que celle de la tumultueuse "châtelaine du Liban"; et les deux châteaux seront abandonnés ...
Ils auront perdu la bataille mais perdureront dans l'imagination  de ceux pour lesquels ils auront été crées ...
Les amours ne meurent jamais au sein des citadelles de pierre, de coeur, d'esprit .
On peut être soi-même un château fermé sur de cruels tourments .
Parfois aussi, l'on frappe en vain à des portes qui ne s'ouvriront qu'au moment où tout espoir s'est enfui ...
 Les châteaux de romans attendent d'être ranimés avec leur cortège d'amours impérissables !
A bientôt, pour de nouvelles "Lettres de châteaux": confidences chuchotées au fond d'un jardin clos,
ou à l'ombre de tours enguirlandées de lierre...
Rendez-vous dans l'Irlande des années 50, la vie de château dans un climat froid , des jardins baignés de pluie , des aristocrates lunaires cachant leurs sentiments sous leurs vestes de tweed  ; tout un petit monde cinglé par l'humour de Lady Molly Keane .
Mais d'abord , le rêve des troubadours sur un terroir occitan ...
Lady Alix



       
                                                            Le château d'Aédona à Mystra en Laconie